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dire quelle a été, quelle est ma perplexité. C'est ici que j'ai vu que le tems était le grand maître, et que dans toutes choses il y avait un moment de maturité qu'il fallait savoir saisir. J'ai marché à travers ces écueils avec autant de prudence qu'il m'a été possible, ayant toujours pour guide ma concience et le sentiment du bien.

Je n'ignore pas qu'on me calomnie; je n'ignore pas qu'on cherche à égarer l'opinion sur mon compte, Ön n'ose pas encore me faire des inculpations graves et directes; on se contente de préparer les esprits à les recevoir au besoin. J'opposerai à ces manœuvres ma vic entiere et quelques bonnes actions; je dirai à mes amis et à mes ennemis de citer un seul fait dont un homme d'honneur ait à rougir; je continuerai à remplir mes devoirs avec zele, avec courage et peut-être qu'en terminant ma carriere, j'obtiendrai l'estime de ceux qui chérissent leurs semblables et la liberté.

Le Maire de Paris,

Signé PETION.

Nous voici parvenus au premier Septembre', & Marat eft au pofte où Danton l'a appellé. Alors commença un nouvel ordre de chofes. L'ancienne haine de Robespierre contre Briffot & les députés de la Gironde fe renouvella avec toute la force que lui donnaient les circonftances. Dès le matin du 1er. Septembre, le bruit était répandu que Verdun bloqué de toutes parts, & dépourvu de tout, ne pouvait long-tems fe défendre. Dès avant midi, rien n'était épargné pour multiplier les grouppes. Des émiffaires des Jacobins y faifaient entendre que jamais le Duc de Brunswick n'auraiteu l'audace de s'avancer jusques là, s'il n'avait eu avec quelques membres du confeil exécutif, & l'affemblée nationale, un traité fecret. Le foir, au confeil-général de la commune, commencerent les dénonciations. Les affidés de Robefpierre y disaient hautement que les dangers actuels de la

patrie leur paraiffaient moins le fruit des complots de Louis XVI, & même des perfidies de La Fayette, que l'ouvrage de quelques hommes auxquels le peuple trompé croyait du patriotifme; ainfi lorfque la curiofité des auditeurs fut fuffifamment excitée, Robefpierre s'élança à la tribune, & voici les propres expreflions dont il fe fervit : personne n'ose donc nommer les traîtres; eh bien, moi, pour le salut du peuple, je les nomme. Je dénonce le liberticide Brissot, la faction de la Gironde la scélérate commission des 21 de l'assemblée nationale. Je les dénonce pour avoir vendu la France à Brunswick, et pour avoir reçu d'avance le prix de leur lacheté. Il promettait les preuves pour le lendemain, & l'on était au 1er. Septembre.

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La Providence éternelle qui avait permis aux forfaits de Briffot, de Condorcet & de leurs affociés de réuffir fans contradicteurs pendant 20 jours confécutifs, cette volonté fuprême qui avait livré à leurs fureurs tant de miniftres, tant de gentilshommes & de prêtres, réfolut enfin de les punir à leur tour. Marat fut la verge dont elle fe fervit pour châtier leur orgueil & leur froide férocité. Ce n'était pas affez de leurs remords pour les pourfuivre, il fallait des vengeurs visibles, qui, comme des vautours dévorans, s'attachaffent fans relâche à les déchirer. Eh! n'appercevons-nous pas déja depuis près de huit mois l'accompliffement de cette vengeance divine. Marat, Robefpierre & Danton, font les furies qui pourfuivent chaque jour ces parricides impies. On dirait que pour ajouter à leur fupplice, elle s'eft plu à faire fortir en dernier lieu Marat triomphant de l'accufation qu'ils avaient ofé porter contre lui. Marat couronné par le peuple a bravé Pétion, ainfi que Pétion avait bravé fon maître; Marat les traînera fur l'échafaud où ils ont porté aulli eux leurs enne

mis; & fi du milieu de tant de catastrophes, il s'élevait une voix qui fe plaignît de voir le fang innocent mêlé avec celui des coupables, je lui représenterais foudain le tableau de notre ancienne corruption, je le forcerais de s'humilier devant l'Etre-Suprême, dont les voies font incompréhenfibles, & je lui répéterais avec le pontife,

Soit que le ciel récompenfe ou puniffe,
C'eft aux mortels d'adorer fes décrets.

Dans la nuit du 1er. Septembre, le confeil des affaffins fe tient chez Danton. Chacun reçoit fes ordres, les fonctions font affignées, les rôles diftribués comme au 10 Août; enfin, de crimes en crimes, de complots en complots, nous arrivons au dimanche 2.

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Le 2 Septembre,

Il s'eft levé ce jour de fang. Le foleil eft encore venu prêter fa lumiere à un nouveau feftin des Atrides. Obfédé d'un preffentiment funefte rempli d'idées lugubres, feul, à pied, j'étais allé dès le matin, raffurer mon cœur fur le départ d'un ami. Il était déporté mon ami, il fuyait fa patrie, & pourtant il avait été, auffi lui, envoyé aux états-généraux, mais toujours fidele à fon Dieu à fon Roi & à l'honneur, il n'avait ceffé de fiéger à côté de Cazalès & Maury. Il était parti d'affez bonne heure pour échapper aux maffacres du jour. Je revenais de l'hôtel du Cardinal de la Rochefoucault à ma retraite, & je traverfais triftement les Thuileries. L'afpect de la pyramide élevée aux morts du 10 Août fur le baffin du milieu, le dra

peau flottant où je lifais en caracteres noirs l'apothéose de Pétion encore vivant, les belles ftatues de marbre mêlées avec les images hideufes de la liberté nouvelle, les arbres qui commençaient à fe dépouiller de leur verdure, tout jufqu'à ce finistre entourage de planches de bateaux qui circonvenait & fermait le château de toutes parts, fes colonnes dégradées, fes fculptures mutilées; la guillotine permanente au Carroufel, dont j'appercevais les appendices au travers des grilles du Palais, & qui femblait correfpondre pour le point de vue, au piedestal nud de la belle ftatue de la place Louis XV, renversée & brifée; tout portait dans mon ame l'image de la deftruction & du néant; je tombai infenfiblement dans une rêverie profonde; mon imagination me plaçait au milieu des ruines de Palmyre, & ma mémoire me appellait involontairement ces vers que j'appropriais au lieu & aux circonftances :

Superbes monumens de l'orgueil des humains
Pyramides, tombeaux, d'étonnante ftructure,
Jardins, où maintenant nos modernes Romains
De s'entr'affaffiner fe donnent tablature....

Affaiffé, dégoûté, je perdais quafi le fentiment de l'existence, & j'allais errant ça & là, fans m'appercevoir feulement que déja mon nom était répété depuis long-tems autour de moi. Je dûs mon réveil & mon falut à un des Suiffes de porte du jardin. Il me reconnut & m'avertit du péril qui me menaçait. Je pus rentrer dans mon afyle, & là, le compas à la main, je mefurais fur la carte la diftance qui féparait Verdun de Paris, & je mẹ difais dans ma folle espérance, avant le 15 Septembre, Paris doit être fauvé, lorfque tout à coup le bruit du canon d'alarme & le fon du tocfin vinrent m'arracher à mes calculs, & me rendre à

mes premieres inquiétudes. Une agitation fourde fe manifeftait dans toutes les rues, la nouvelle de la prife de Verdun s'était confirmée vers midi, la curiofité portait tout le monde vers la falle de l'affemblée nationale où les miniftres venaient de fe rendre. Le commun des factieux préparait fes poumons; les Marfeillois & les membres de la commune aiguifaient leurs coûteaux.

Pour augmenter l'effroi général, le Brun, miniftre des affaires étrangeres, prévient que la Ruffie fe ligue avec les autres ennemis de la France, que 20 mille Ruffes quittent la Pologne pour venir du côté de l'Allemagne, qu'il eft parti d'Archangel une flotte dont on ne fait pas la deftination, & mille autres menfonges; le minifre de la guerre, Servan, propofe pour se rendre populaire, une amélioration dans le pain de munition; enfin le terrible miniftre de la juftice, Danton, vient enfler de fa voix révolutionnaire toutes les trompettes de la renommée, & enlever les applaudiffemens des tribunes par un difcours de la plus profonde fcélératelle. En voici un

extrait.

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Il est bien fatisfaifant pour des miniftres choi,, fis par le peuple, d'annoncer à fes représentans , que la patrie va être fauvée. Tout l'empire va y ,,concourir avec la capitale. Verdun n'est pas pris.

Les habitans ont juré d'exterminer celui qui parlerait de fe rendre. Au moment où nous ,, nous concertions avec des membres de la com,, mune, & des députés pour le falut du peuple, Paris vient nous en offrir les moyens. Que tous les citoyens volent donc à l'ennemi. Que les piques feules fuffifent pour garder la capitale; ", que tout citoyen qui refufera de marcher, ou ,, de donner fon fufil, foit puni de mort. L'hom

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me, avant d'appartenir à foi-même, fe doit à

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