Étrennes de Polymnie et de Mnemosyne, qui donnaient asile chaque année à tant de rimeurs de salon, habiles dans l'art suprême et délicat de composer un bouquet, de rompre un lacet, de délacer un corset. Rivarol avait déjà sans doute, sur la poésie du XVIIIe siècle, l'opinion qu'il exprima plus tard sur les œuvres de je ne sais quel versificateur : <« C'est de la prose où les vers se sont mis. >> Nous ne suivrons pas l'auteur de l'Almanach des grands Hommes au Journal politique et national de l'abbé Sabatier. Royaliste passionné, il mérita d'être surnommé Tacite par Burke, le plus éloquent ennemi de la Révolution française. Son ròle politique, d'ailleurs, ne dura guère. Rivarol émigra en Allemagne, passa en Hollande, en Angleterre, et s'en vint mourir à Berlin, qui avait couronné le Discours sur l'universalité de la langue française, avant que la belle langue française n'eût émigré. Un biographe raconte qu'à ses derniers moments, celui que Voltaire avait appelé le Français par excellence, demanda dans son délire des figues attiques et du nectar. Si le biographe a menti, le mensonge est charmant. HIPPOLYTE BABOU. OEuvres de Rivarol, 5 volumes; Paris, Léopold Collin, 1808, édition Chenedollé. t LE CHOU ET LE NAVET LE CHOU A M. L'ABBÉ DELILLE Lorsque sous tes emprunts masquant ton indigence, Des vrais trésors de l'homme une peinture aisée : N'est-ce pas moi, réponds, créature fragile, Qui soutins de mes sucs ton enfance débile? Le navet n'a-t-il pas, dans le pays latin, Longtemps composé seul ton modeste festin, Avant que dans Paris ta muse froide et mince Égayât les soupers du commis et du prince? Enfant dénaturé, si tu rougis de moi, Vois tous les choux d'Auvergne élevés contre toi! Songe à tous mes bienfaits, délicat petit-maitre, Ma feuille t'a nourri, mon ombre t'a vu naître : Dans tes jardins anglais tu me proscris en vain; Adam au paradis me plantait de sa main; Le Nil me vit au rang de ses dieux domestiques, Et l'auteur immortel des douces Géorgiques, De ses grandes leçons interrompant le fil, S'arrêta dans son vol pour chanter le persil. Que ne l'imitais-tu? Mais ta frivole muse, Quêtant un sentiment aux échos de Vaucluse, De Pétrarque en longs vers nous rabâche la foi, Réponds donc maintenant aux cris des chicorées, LE NAVET AU CHOU J'ai senti, comme toi, notre commune injure; Le ciel fit les navets d'un naturel plus doux, Mais le temps a détruit Memphis et nos grandeurs : Je permets qu'aux boudoirs, sur les genoux des belles, Quand ses vers pomponnés enchantent les ruelles, Un élégant abbé rougisse un peu de nous, Et n'y parle jamais de navets et de choux. C'est assez qu'il effleure en ses légers propos LE CHOU Qu'importent des succès par la brigue surpris? On connaît les dégoûts du superbe Paris. Combien de grands auteurs dans les soupers brillèrent, Qui, malgré leurs amis, au grand jour s'éclipsèrent! Le monde est un théâtre, et, dans ses jeux cruels, L'idole du matin, le soir, n'a plus d'autels. Nous y verrons tomber cet esprit de collége, De ses dieux potagers déserteur sacrilége : Oui, la fortune un jour vengera notre affront; Sa gloire passera, les navets resteront! VERS A UNE JEUNE IGNORANTE Vous dont l'innocence repose Sur d'inébranlables pivots, Pour qui tout livre est lettre close, Et qui de tous les miens ne lirez pas deux mots; Que ceux qu'un jardinier arrose, Et qui ne soupçonnez de plumes qu'aux oiseaux; Ou quelques bouts de fil pour coudre mes propos; Dont votre tête se compose. Si jamais quelqu'un vous instruit, Tout mon bonheur sera détruit Sans que vous y gagniez grand'chose. Ayez toujours pour moi du goût comme un bon fruit, Et de l'esprit comme une rose. RÉPONSE AUX VERS PRÉCÉDENTS Cette morale peu sévère Séduira plus d'un jeune cœur; Il est commode et doux de n'employer pour plaire Que ses attraits et sa fraîcheur : Mais un amant que l'esprit indispose, Peut-il être constant? Oh! non; Celui qui, pour aimer, ne cherche qu'une rosc, |