Sont les atomes analogues Qui m'attachent à tes écrits. Mais avec le talent dont nous sommes épris, Pourquoi donc mettre ton étude A hérisser tes meilleurs vers Des mots surannés qu'a couverts La mousse de la désuétude? Mais ils sont justes!-Soit.-Expressifs!-J'en conviens. - Mais Régnier, Rabelais, s'en servaient avec grâce. -Ces mots sont de leur siècle, il faut qu'on les leur passe; Après deux cents ans, toi, tu viens : De leurs expressions sépare leur morale. Veux-tu parler comme eux? fais donc en même temps La même qu'au temps de César? L'art d'un moine en nos mains a remis un tonnerre; Rapproche-toi donc de notre âge, Pour les termes gaulois prends un peu moins d'amour; Celui qu'on n'entend plus devient un abat-jour; Chacun suit son attrait; le pamphlet est le tien. Tu n'attaques point la personne; L'honneur est comme l'œil, il se blesse d'un rien. Tu n'en veux qu'aux écrits qu'un bel esprit pomponne, Au sentiment que l'on raisonne, A ce philosophique argot Dont notre langue s'empoisonne, Aux vers maniérés, au faux goût, en un mot. HOROSCOPE A MADAME DE BOIS ROGER L'avenir est lettre close, On n'en rompt point le cachet; Et qui de vous tient le jour, Doit en tenir autre chose. Votre esprit, plus vif que doux, Même esprit, même art de plaire, Ni superbe financier, Ni ronfleur à l'audience; Vers les hasards entraîné, Malgré sa vivacité, Comme une triste momie, Il agite son hochet De l'air dont, un jour, en salle, Sa main, déjà martiale, S'escrimera du fleuret. Ce n'est à faux que j'augure Qu'en cet âge de raison. Où la tête est si peu mûre, Pétulant, mais le cœur bon, Il fera, par aventure, Tapage à la garnison; Charmera par sa tournure Les cornettes du canton, Et, bien pourvu d'inconstance, Les trompera sans façon, En vertu de l'ordonnance. Le vers de Gilbert si connu, que le nom de Malfilâtre le rappelle toujours au souvenir des plus simples lettrés, demeure désormais comme un trait d'union entre ces deux infortunes de la vie littéraire. Ces deux poëtes, morts, si jeunes, dans les angoisses de la pauvreté, passent devant le regard de l'imagination comme ces ombres de Dante que le courant de la brume infernale emporte. Amoureux d'idéal, que châtient, tels que des révoltés, les nécessités de la vie commune, ils restent ainsi pour nous la désolée vision de ces luttes où succombe trop souvent le pauvre, qui semble ne pas avoir le droit de se vouer à la pure religion du Beau. « La faim, le tombeau, » Voilà les deux mots qui tintent comme un glas dans le vers populaire de Gilbert. Combien de courageux imprudents les ont entendus au départ, et cependant se sont mis en marche, oubliant le funeste présage! Quand quelqu'un de ces nobles insensés vient à disparaître tristement, il est trop souvent vrai que, «< si la pauvreté n'a pas été cause de cette fin prématurée, elle n'y a pas nui, » comme le remarque un grand poëte allemand 1, à propos d'un de ces navrants trépas. Malfilâtre fut de ceux que les conditions de sa naissance et de sa nature semblaient vouer fatalement à ces douloureuses destinées. Charles-Louis Clinchant de Malfilâtre naît à Caen, de parents auxquels une position difficile et précaire impose tout d'abord d'onéreux sacri 1 Henri Heine. fices (quelque modeste que fût en réalité la dépense), pour donner à leur fils une éducation qui pût lui préparer l'accès des carrières élevées. Le goût des lettres, que développait si complaisamment l'enseignement des jésuites, se déclara vivement, dès le collége, chez le futur écrivain; ou plutôt cette imagination tendre et rêveuse était déjà tout ouverte aux vagues séductions de l'enchanteresse qui devait dominer et perdre ce pauvre enfant : la poésie, avec ses impérieux instincts, était en lui. Ce fut la circonstance, plutôt qu'un libre choix cependant, qui détermina la forme que prit d'abord la pensée du poëte. Une institution littéraire, d'origine ancienne, mettait chaque année au concours, dans les deux premières villes normandes, le sujet d'une ode, ou bien, laissant aux concurrents la liberté de leur inspiration, ne se réservait que le droit de couronner l'ode la meilleure. Malfilâtre écrit donc une ode, l'envoie aux juges littéraires de l'endroit, et, d'un assentiment unanime proclamé lauréat, il devient en peu de temps une innocente gloire de clocher. Le premier pas était fait dans la route dangereuse : le second devait être sans retour. L'ode applaudie et doublement couronnée aux palinods de Caen et de Rouen (c'était ainsi que se nommaient ces bonnes petites académies) fut expédiée un beau jour à l'un des gros seigneurs de la littérature, de la retentissante littérature qui, de Paris, donnait le ton à l'Europe. Marmontel fit un cordial accueil au poétique message; et tout aussitôt les strophes : Le soleil fixe au milieu des planètes, furent insérées au Mercure, encadrées d'encouragements qui devinrent le principe de cette vie d'amertume. Malfilâtre accourut à Paris; et dès cette heure fatale commença la lutte terrible de l'écrivain sans fortune, au milieu de ce tourbillon des frivolités et des égoïsmes. Personne plus que lui ne dut très-vite y ressentir, jusqu'au fond de l'âme, tous les froissements et toutes les angoisses. Il était d'un caractère confiant, facile et doux jusqu'à la faiblesse. Il dut croire d'abord, avec un touchant aveuglement, à tous les sourires, à toutes les promesses. Par quelles circonstances devint-il alors le secrétaire du comte de Lauraguais, qui se piquait de talent littéraire, et qui, vers cette époque, donna de ses prétentions, sous forme de tragédie, un témoignage assez mal reçu en général, et par quelques critiques impitoyablement raillé? En quelle mesure fut-il, pour cette œuvre médiocre, le complice du grand seigneur qui, sous l'influence du goût régnant, n'était pas fâché de semer son, blason de quelques feuilles du laurier d'Apollon, comme on disait? Eb mon Dieu! qui le sait au juste, et qui ne le devine? La pauvreté prenait |