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Sont les atomes analogues

Qui m'attachent à tes écrits.

Mais avec le talent dont nous sommes épris,

Pourquoi donc mettre ton étude

A hérisser tes meilleurs vers

Des mots surannés qu'a couverts

La mousse de la désuétude?

Mais ils sont justes!-Soit.-Expressifs!-J'en conviens. - Mais Régnier, Rabelais, s'en servaient avec grâce. -Ces mots sont de leur siècle, il faut qu'on les leur passe; Après deux cents ans, toi, tu viens :

De leurs expressions sépare leur morale.

Veux-tu parler comme eux? fais donc en même temps
Découper sous ton nez la moustache royale;
Chausse soulier carré, quoiqu'on le porte ovale.
L'usage est une loi, tout change avec les ans :
Au moyen d'une digue, autrefois Tyr fut prise;
Est-ce ainsi dans nos jours qu'elle serait conquise?
Employons-nous la fronde et les faux sous un char?
Notre mode est-elle, à la guerre,

La même qu'au temps de César?

L'art d'un moine en nos mains a remis un tonnerre;
Est-ce avec le bélier qu'on battrait Gibraltar?

Rapproche-toi donc de notre âge,

Pour les termes gaulois prends un peu moins d'amour;
La clarté tient au mot d'usage:

Celui qu'on n'entend plus devient un abat-jour;
Garde ton feu, ton style, et change ton langage.

Chacun suit son attrait; le pamphlet est le tien.
Censeur amer, mais ferme ami du bien,

Tu n'attaques point la personne;

L'honneur est comme l'œil, il se blesse d'un rien.

Tu n'en veux qu'aux écrits qu'un bel esprit pomponne,

Au sentiment que l'on raisonne,

A ce philosophique argot

Dont notre langue s'empoisonne,

Aux vers maniérés, au faux goût, en un mot.
Mais quand ton démon te gouverne,
D'aucun terme vieilli ne te laisse tenter:
Et, par les froids rimeurs te sentant irriter,
Entre en colère à la moderne.

HOROSCOPE

A MADAME DE BOIS ROGER

L'avenir est lettre close,

On n'en rompt point le cachet;
Cependant si chaque effet.
Doit correspondre à la cause,
Ce poupon couleur de rose,
Aussi joli que l'amour,

Et qui de vous tient le jour,

Doit en tenir autre chose.

Votre esprit, plus vif que doux,
Est franc comme volontaire;
Votre fils aura de vous

Même esprit, même art de plaire,
Et votre ardeur dans ses goûts.
Vous n'en ferez, que je pense,
Ni chanoine irrégulier,

Ni superbe financier,

Ni ronfleur à l'audience;

Vers les hasards entraîné,
Tant le plumet a de charmes!
Il voudra porter les armes :
En temps de guerre il est né.
Dans ses langes trop gêné,
Déjà las, je le parie,
De se voir empaqueté,

Malgré sa vivacité,

Comme une triste momie,

Il agite son hochet

De l'air dont, un jour, en salle, Sa main, déjà martiale, S'escrimera du fleuret.

Ce n'est à faux que j'augure Qu'en cet âge de raison. Où la tête est si peu mûre, Pétulant, mais le cœur bon, Il fera, par aventure, Tapage à la garnison; Charmera par sa tournure Les cornettes du canton, Et, bien pourvu d'inconstance, Les trompera sans façon,

En vertu de l'ordonnance.

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Le vers de Gilbert si connu, que le nom de Malfilâtre le rappelle toujours au souvenir des plus simples lettrés, demeure désormais comme un trait d'union entre ces deux infortunes de la vie littéraire. Ces deux poëtes, morts, si jeunes, dans les angoisses de la pauvreté, passent devant le regard de l'imagination comme ces ombres de Dante que le courant de la brume infernale emporte. Amoureux d'idéal, que châtient, tels que des révoltés, les nécessités de la vie commune, ils restent ainsi pour nous la désolée vision de ces luttes où succombe trop souvent le pauvre, qui semble ne pas avoir le droit de se vouer à la pure religion du Beau. « La faim, le tombeau, » Voilà les deux mots qui tintent comme un glas dans le vers populaire de Gilbert. Combien de courageux imprudents les ont entendus au départ, et cependant se sont mis en marche, oubliant le funeste présage! Quand quelqu'un de ces nobles insensés vient à disparaître tristement, il est trop souvent vrai que, «< si la pauvreté n'a pas été cause de cette fin prématurée, elle n'y a pas nui, » comme le remarque un grand poëte allemand 1, à propos d'un de ces navrants trépas.

Malfilâtre fut de ceux que les conditions de sa naissance et de sa nature semblaient vouer fatalement à ces douloureuses destinées. Charles-Louis Clinchant de Malfilâtre naît à Caen, de parents auxquels une position difficile et précaire impose tout d'abord d'onéreux sacri

1 Henri Heine.

fices (quelque modeste que fût en réalité la dépense), pour donner à leur fils une éducation qui pût lui préparer l'accès des carrières élevées. Le goût des lettres, que développait si complaisamment l'enseignement des jésuites, se déclara vivement, dès le collége, chez le futur écrivain; ou plutôt cette imagination tendre et rêveuse était déjà tout ouverte aux vagues séductions de l'enchanteresse qui devait dominer et perdre ce pauvre enfant : la poésie, avec ses impérieux instincts, était en lui. Ce fut la circonstance, plutôt qu'un libre choix cependant, qui détermina la forme que prit d'abord la pensée du poëte. Une institution littéraire, d'origine ancienne, mettait chaque année au concours, dans les deux premières villes normandes, le sujet d'une ode, ou bien, laissant aux concurrents la liberté de leur inspiration, ne se réservait que le droit de couronner l'ode la meilleure. Malfilâtre écrit donc une ode, l'envoie aux juges littéraires de l'endroit, et, d'un assentiment unanime proclamé lauréat, il devient en peu de temps une innocente gloire de clocher. Le premier pas était fait dans la route dangereuse : le second devait être sans retour. L'ode applaudie et doublement couronnée aux palinods de Caen et de Rouen (c'était ainsi que se nommaient ces bonnes petites académies) fut expédiée un beau jour à l'un des gros seigneurs de la littérature, de la retentissante littérature qui, de Paris, donnait le ton à l'Europe. Marmontel fit un cordial accueil au poétique message; et tout aussitôt les strophes : Le soleil fixe au milieu des planètes, furent insérées au Mercure, encadrées d'encouragements qui devinrent le principe de cette vie d'amertume.

Malfilâtre accourut à Paris; et dès cette heure fatale commença la lutte terrible de l'écrivain sans fortune, au milieu de ce tourbillon des frivolités et des égoïsmes. Personne plus que lui ne dut très-vite y ressentir, jusqu'au fond de l'âme, tous les froissements et toutes les angoisses. Il était d'un caractère confiant, facile et doux jusqu'à la faiblesse. Il dut croire d'abord, avec un touchant aveuglement, à tous les sourires, à toutes les promesses. Par quelles circonstances devint-il alors le secrétaire du comte de Lauraguais, qui se piquait de talent littéraire, et qui, vers cette époque, donna de ses prétentions, sous forme de tragédie, un témoignage assez mal reçu en général, et par quelques critiques impitoyablement raillé? En quelle mesure fut-il, pour cette œuvre médiocre, le complice du grand seigneur qui, sous l'influence du goût régnant, n'était pas fâché de semer son, blason de quelques feuilles du laurier d'Apollon, comme on disait? Eb mon Dieu! qui le sait au juste, et qui ne le devine? La pauvreté prenait

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