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Dufresny, plus sage et moins dissipateur,

Ne fût pas mort de faim, digne mort d'un auteur;

nous resterons fidèles à la cause des cigales; nous n'insulterons pas ceux qui nous ont charmés, nous saluerons d'un sourire mélancolique ceux qui ne furent hostiles qu'à eux-mêmes, les Sheridan et les Dufresny qui, en écrivant leurs comédies, oublièrent la formule d'Aristote : « La tragédie nous apprend à fuir la vie, la comédie à l'arranger; » et qui, en contemplant leurs désastres, ne maudirent pas, ne doutèrent pas, assez contents de la vie, puisqu'ils avaient encore le droit d'aimer la poésie, la musique et les roses.

PHILOXENE BOYER.

Il faut lire sur Dufresny Cizeron Rival (Amusements littéraires); Niceron, les frères Parfait (Histoire du théâtre français); Geoffroy (Cours de littérature dramatique); Vitet (Sur la théorie des jardins); Jules Janin (Histoire de la littérature dramatique, t. VI); Arsène Houssaye (Galerie du XVIIIe siècle). Osera-t-on rappeler que M. Théodore de Banville et l'auteur de la précédente notice ont essayé de faire une comédie avec le mariage de Dufresny, déjà exploité plus d'une fois par le Vaudeville et l'Opéra-Comique (le Cousin du roi, 1857)?

CHANSONS

LES LENDEMAINS

Philis, plus avare que tendre,
Ne gagnant rien à refuser,
Un jour exigea de Silvandre
Trente moutons pour un baiser.

Le lendemain, seconde affaire ;
Pour le berger le troc fut bon:
Il exigea de la bergère
Trente baisers pour un mouton.

Le lendemain, Philis, plus tendre, Craignant de moins plaire au berger, Fut trop heureuse de lui rendre Tous les moutons pour un baiser.

Le lendemain, Philis, peu sage,
Voulut donner mouton et chien,
Pour un baiser que le volage
A Lisette donna pour rien.

LA BELLE DORMEUSE

Réveillez-vous, belle dormeuse,
Si ce baiser vous fait plaisir;
Mais si vous êtes scrupuleuse,
Dormez, ou feignez de dormir.

Craignez que je ne vous réveille,
Favorisez ma trahison;

Vous soupirez, votre cœur veille,
Laissez dormir votre raison.

Pendant que la raison sommeille, On aime sans y consentir,

Pourvu qu'amour ne nous réveille Qu'autant qu'il faut pour le sentir.

Si je vous apparais en songe,
Profitez d'une douce erreur;
Goûtez le plaisir du mensonge,
Si la vérité vous fait peur.

JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU

1669

1741

Le grand mouvement littéraire qui se produisit en France au milieu du XVIe siècle, et qui, dans ses audaces naïvement généreuses, n'hésita devant aucune tentative, créa l'ode dans notre littérature, en prenant pour point de départ, selon son goût de procédés savants, l'imitation des poëtes antiques. Sous l'influence de la Grèce et de Rome, tous les modes du genre furent dès lors essayés. On voulut, et l'on crut ingénument faire à loisir du Pindare, de l'Horace et de l'Anacréon. On prétendit lutter avec les maîtres de souplesse de forme, et d'ingénieuse invention dans la composition et la variété des rhythmes. Tous ces efforts d'esprits délicats et pleins d'adoration pour l'art exquis des anciens eurent en effet des résultats dont les successeurs profitèrent amplement, sans trop sembler tenir compte de tout ce que les premiers chercheurs avaient apporté. Il y eut, au lendemain de la conquête de ce nouveau continent poétique, comme un concert d'ingratitude envers ces courageux aventuriers qui, les premiers, avaient mis le pied sur la plage inexplorée, et qui avaient entrepris sur-le-champ, avec une ardeur pleine de foi et tout à fait touchante, les plus profonds et les plus essentiels défrichements. Malherbe, tout en les condamnant avec sa sèche sévérité, savait au fond tout ce qu'il avait recueilli de ces primitives et hasardeuses entreprises. Ceux qui le suivirent immédiatement s'efforcèrent, comme lui, d'épaissir le voile d'oubli sur l'œuvre des hardis devanciers. Moins d'un siècle après, lorsqu'à son tour apparut Jean

Baptiste Rousseau, tout, dans le sens des heureux usurpateurs, était accompli, et le nouveau venu n'était pas homme à remonter religieusement aux sources premières, à s'y retremper avec audace, et à reprendre de plus haut que l'avénement du maître consacré de son temps les traditions de l'art qu'il abordait. Ébloui par les richesses poétiques du siècle dont il voyait la fin, il ne songeait guère à chercher au delà les filons d'or que gardaient cependant, sous leur profond éboulement, les anciennes mines abandonnées. Il ne faut pas que son apparente prédilection pour un talent poétique d'une époque ancienne et ses fréquentes tentatives de poésie marotique nous fassent illusion. En étudiant le charmant trouvère de la reine Marguerite et négligeant avec un aveugle dédain tout le grand mouvement littéraire qui lui a immédiatement succédé, Rousseau n'entendait guère demander aux origines du xvi° siècle qu'un piquant pastiche des formes vieillies d'une phase de notre langue, s'accommodant avec ragoût aux instincts satiriques fortement prononcés dans sa nature. Pour la pénétrer et la comprendre, cette nature complexe où le factice joue un rôle si dominant, cherchons donc à la suivre dans son entier développement.

Nous ne croyons pas que d'abord Jean-Baptiste Rousseau, obéissant aux entraînements d'une vocation décidée, se soit résolùment tracé le plan d'une carrière de poëte lyrique. Il ne s'est pas dit non plus, sous l'influence d'une vue réfléchie, que ce xvII° siècle, si riche en presque tous genres de poésie, avait laissé une large place à prendre dans le domaine exclusif de l'ode. Non, Jean-Baptiste Rousseau a d'abord fait des odes comme il a fait des épigrammes, comme il a fait des comédies, selon l'occasion souvent, selon l'instinct caustique de son esprit, selon aussi le besoin de demander des ressources à l'ingrate et noble profession qu'il embrassait. On incline sans peine à se persuader que sa première et plus décisive ambition fut celle du théâtre. Ce qu'il rêva le plus ardemment, au début, ce fut la gloire de poëte dramatique. Il fallut la sévère leçon de l'insuccès et les dégoûts venant d'échecs coup sur coup réitérés, pour l'y faire renoncer; encore ne refoula-t-il jamais qu'avec amertume au fond de lui-même cette douce chimère. En y regardant de près, nous voyons que partout où fut forcée d'errer cette triste vie sans repos, la préoccupation de la scène suivit le poëte, et l'intérêt toujours très-vif qu'il prenait aux nouvelles œuvres qui s'y produisaient n'est pas pour nous la seule et vague preuve de cette assertion formelle : il en est de plus concluantes. Sept ans seulement avant sa mort et déjà plus que sexagénaire, il envoyait, de Bruxelles, aux comédiens ordinaires

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