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Laisse-toi gouverner par cette enchanteresse Qui seule peut du cœur calmer l'émotion, Et préfère, crois-moi, les dons de la paresse Aux offres d'une vaine et folle ambition.

A LA COMTESSE DE CAYLUS

M'abandonnant à la tristesse,
Sans espérance, sans désirs,

Je regrettais les sensibles plaisirs
Dont la douceur enchanta ma jeunesse.
« Sont-ils perdus, disais-je, sans retour?
Et n'es-tu pas cruel, Amour,

Toi que je fis, dès mon enfance,
Le maître de mes plus beaux jours,
D'en laisser terminer le cours
Par l'ennuyeuse Indifférence? >>
Alors j'aperçus dans les airs
L'enfant maître de l'univers,

Qui, plein d'une joie inhumaine,
Me dit en souriant : « Tircis, ne te plains plus.
Je vais mettre fin à ta peine :

Je te promets un regard de Caylus. »

MADRIGAL

Présents de la seule nature,
Amusements de mon loisir,
Vers aisés, par qui je m'assure
Moins de gloire que de plaisir;
Coulez, enfants de ma paresse;
Mais si d'abord on vous caresse,
Refusez-vous à ce bonheur :
Dites qu'échappés de ma veine,
Par hasard, sans force et sans peine,
Vous méritez peu cet honneur,

DUFRESNY

16481724

<< Tout est amusement dans la vie; la vertu seule mérite d'être appelée occupation. Les uns s'amusent par l'ambition, les autres par l'intérêt, les autres par l'amour, les hommes du commun par les plaisirs, les grands hommes par la gloire, et moi je m'amuse à considérer que tout cela n'est qu'amusement. Encore une fois, tout est amusement dans la vie, et la vie même n'est qu'un amusement en attendant la mort. » Qui donc prend si lestement les choses, et quel est ce philosophe en gaieté? Saluez, s'il vous plaît. Nous sommes presque devant un fils de France, et ce n'est pas la faute de la jardinière d'Anet, sa bisaïeule, si ce beau garçon au fin visage qui écrit à cette heure la préface de son meilleur livre, entre une belle fille et une bouteille vide, seules parures de sa chambre en désordre, ne brille pas aux petits appartements, et n'appelle pas Louis XIV mon cousin. Tout comme un autre, il est petit-fils de Henri IV, et vous devinez, à ses maximes qu'il pratique, en pieux héritier, la morale du vert-galant. Saluez, ou plutôt tendez la main à cet enfant prodigue, soldat et poëte, journaliste et jardinier, musicien et agioteur, Charles Rivière Dufresny, Parisien ! C'est un Gaulois de la grand'ville, comme Villon, comme Charron, comme Molière, comme Chapelle; comme est Regnard, comme sera Voltaire. Par tant de rares qualités d'esprit, il se placerait peut-être parmi les plus dignes représentants de l'illustre compagnie, si, plus que tous les autres ensemble, il n'était un Parisien, un de ces naturels qu'il a dépeints « toujours agités et toujours actifs, commençant mille choses avant que d'en finir une, et en finissant mille autres avant de les avoir commencées. » Il ne sait pas, il ne veut pas savoir le prix du recueillement, cette rançon de la véritable gloire, et sa pensée incontinente va s'éparpillant à ce vent de l'occasion qui ne souffle pas d'ordinaire du

côté de l'avenir. Mais qu'importe à notre Dufresny? Son logis est en fête aujourd'hui, et, par miracle, il a fait des économies d'amusement pour demain..

Relisez, parcourez au moins l'œuvre de Dufresny, vous aurez de quoi deviner les meilleurs chapitres de son histoire intime. Il connaît, pour en avoir pâti, les patelinages et les trigauderies de ces aigrefins experts dans l'art « de déposséder et d'abîmer leurs voisins avec justice»; il a coudoyé « ces médecins d'épée, enjoués, galants, badins, et qui traitent la médecine cavalièrement; » il a consulté ces profonds docteurs qui décident « quand ils ont fait seulement trente ou quarante questions sublimes » ; il a eu affaire à ces juges « dont le premier mouvement est toujours pour les belles plaideuses, et il n'ose le leur pardonner; mais que leur second mouvement ait été une fois pour la justice, il les admire »; ruiné dans les tripots, il a songé que « le jeu est une espèce de succession ouverte à tout le monde », et il ne lui a pas déplu d'être un généreux légataire; cet Ulysse du Cours-la-Reine et des Tuileries ne s'est point soucié d'éviter les sirènes; il a voulu plutôt étudier dans toutes leurs volières « ces oiseaux amusants, volages d'inclination, faibles de nature, forts en ramage..., paons dans les promenades, pies-grièches dans la vie domestique, colombes dans le tête-àtête »; il a hanté la nation policée des femmes du monde, la tribu sauvage des provinciales, la caste errante des bohémiennes ; puis, au retour de ces vagabondages, curieux encore de fruits nouveaux et désireux d'un plus simple amour, il a épousé en seconde noces sa blanchisseuse, non pas seulement pour lui payer son mémoire. Toutes ces belles folies tous ces excès d'une âme enivrée ont leur écho dans les comédies alertes de Dufresny, dans ses aimables chansons, dans ses amusements sérieux et comiques d'un Siamois, un livre qu'on peut ouvrir sans ennui, même quand on vient d'achever pour la vingtième fois Labruyère! Partout pétillent les saillies heureuses de ce poëte qui veut être gai quand même, qui nargue le malheur, et dont la muse est la jeunesse :

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J'admire la jeunesse et sa vivacité !

« Passant toujours de l'une à l'autre extrémité,

De l'excessive crainte à l'espérance folle;

» Parlant, parlant, parlant, puis perdant la parole;

« Courant, courant, courant, puis s'arrêtant tout court;
En un seul jour aimant, et perdant son amour,
Pour un amant nouveau le retrouvant ensuite,

« Voulant, ne voulant plus; sans règle, sans conduite
Sans arrêt, sans raison: que de défauts elle a,
« Cette jeunesse; on l'aime avec ces défauts-là! »

Ainsi dit la soubrette Nérine dans la Réconciliation normande ! Ainsi aimerions-nous à dire, en repensant à tant de fragments bien inspirés, à tant de scènes faciles, à tant de fantaisies brillantes. Un critique au sourcil sévère, M. Nisard, a récemment malmené Dufresny. Il lui prête un parti pris d'esprit à toute outrance qui, ce semble, jurerait avec l'abondante effusion de cette nature dont la marque originale est la naïveté. « Les paysans de Dufresny,» dit le juge un peu dur, « ne sont que Dufresny en paysan... Ses personnages ne songent qu'à faire honneur à celui qui les souffle. On se trouve de l'esprit en lisant Molière; en lisant Dufresny, on craint d'être un sot. Et comme c'est l'espèce de peur qu'on pardonne le moins, on se venge du livre en le fermant. Cependant, il faut avoir beaucoup d'esprit pour en avoir comme Dufresny, plus qu'il n'est besoin; et à ne parler que de la Coquette de village, il n'était pas donné à tout le monde de trouver tous les traits dont Molière n'eût pas voulu pour Célimène. » Pourquoi Molière et pourquoi Célimène? Dufresny n'eut jamais l'idée d'une rivalité avec le grand contemplateur. Jamais écrivain ne prétendit moins compter parmi les maitres immortels,

Contemporains de tous les hommes
Concitoyens de tous les lieux!

Il voulait seulement exister au jour le jour, et divertir les autres avec les choses qui l'avaient diverti! Il y réussissait à merveille, et, chemin faisant, sans y tâcher, en plus d'une rencontre, il trouva la poésie. Les Lendemains et la Belle dormeuse ont leur saveur d'Anacréon. N'estimerait-on pas d'ailleurs singulièrement Dufresny, rien qu'en comptant les fameux esprits dont il reste le créancier, lui le prodigue négligent, lui le débiteur universel? Regnard lui a acheté cent écus Attendezmoi sous l'orme; mais il lui a bel et bien dérobé le plan du Joueur; Montesquieu a écrit les Lettres persanes en se souvenant du Siamois; Voltaire dépouillait Dufresny quand il prétendait créer le Freeport de l'Écossaise; et, à côté du grand larron, le larronneau Collé prenait sans façon son Jaloux honteux de l'être, dans une pièce presque oubliée de ce trouveur de filons d'or. Je ne voudrais pas dénombrer les emprunts de nos modernes vaudevillistes; mais le jour où la France aura son Gozzi, le jour où la comédie fantastique montera sur notre scène affranchie, l'innovateur donnera peut-être un pieux souvenir à l'auteur des Fees, des Chinois, de la baguette de Vulcain, de tant d'autres inventions légères. Essayistes, moralistes d'hier et d'aujourd'hui, ne l'oubliez pas.

il fut des vôtres. Joubert, et vous aussi, Bulwer, quand vous vantez les avantages de la maladie, vous êtes, le saviez-vous? les copistes de Dufresny. Je vous renvoie à sa Lucinde. Et vous, ingénieux nomenclateur qui, rapprochant tous les sommets, avez, d'une expression de génie, nommé Homère bouffon celui qui raconta Pantagruel, avezvous lu, dans le Mercure de France, le parallèle d'Homère et de Rabelais, lestement esquissé par Dufresny l'improvisateur?

Laissons donc Molière dans son Olympe, et n'allons pas, comme Marivaux, égaler Dufresny à Corneille; mais n'abaissons pas trop ce paresseux infatigable dont les ébauches rapides ont laissé tant de marques vivantes. Sedaine fut plus juste que le moderne critique. Il consacra l'argent que lui rapportaient les représentations du Philosophe sans le savoir au paiement d'un buste de Molière pour le foyer de la Comédie française. Houdon ayant fini son œuvre, il restait du marbre. « Qu'on en fasse, dit l'excellent Sedaine, le buste de notre ami Dufresny. » Où n'aimerait-on pas à revoir cette figure narquoise et voluptueuse? Où n'a-t-il pas marqué sa trace? « Sans savoir la musique, il composait des airs pour ses pièces, et les chantait à Grandval qui les lui notait. Il faisait de charmantes découpures, et formait des paysages d'un effet très-original avec des fragments d'estampes qu'il déchirait et collait sur du carton 1. » Après avoir dessiné à Vincennes le jardin de son ami l'abbé Pajot, il fut sur le point de tracer les jardins de Versailles pour son cousin Louis XIV. Ce n'est pas Bridgeman, ce n'est pas Brown, ce n'est pas Kent qui ont inventé les jardins anglais; c'est Dufresny qui, là comme ailleurs, portait les audaces d'une libre imagination. Si Lenôtre fut chargé de créer Versailles, si le plan de Dufresny, irrégulier, pittoresque, charmant, fut repoussé par le roi, c'est que <«< Louis XIV ne pouvait en conscience faire infidélité à Lenôtre, c'està-dire à l'ordre et à la symétrie; tout son système monarchique en eût été ébranlé2. »>

Arrêtons-nous. A quoi bon raconter les misères de ce pauvre homme que le roi de France n'était pas assez riche pour mettre à son aise? Sa vieillesse semblait devoir être à l'abri de ces tourments. Mais le système de Law abattit Dufresny, plus que n'avaient jamais fait le lansquenet ou les oiseaux des Tuileries. Que la fourmi opulente de Ferney consigne en ces vers prosaïques, la plus sèche et la plus cruelle des

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