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Je réponds que cet inconvénient ne pourroit arriver que par la mal-adreffe du Gouvernement, s'il mettoit entre les nobles & les roturiers une barrière que ceux-ci ne puffent jamais franchir, mais qu'il ne peut avoir lieu dans un état où la carrière de l'honneur eft ouverte à tout le monde.

Patere honoris fcirent ut cuncti viam,
Nec generi tribui, fed virtuti gloriam.
PHEDR.

Il ne peut avoir lieu dans un État, où la nobleffe conferve fon origine refpectable, où elle continue d'être ce qu'elle a été dans fa fource, c'est-à-dire le prix de la valeur, des talens, des fervices, des vertus; alors le roturier envisage la nobleffe comme un but propofé à fes travaux, il la regarde d'un œil, non d'envie, mais d'émulation; il dit: Voilà où je peux parvenir, voilà l'héritage que je puis laisser à mes enfans. Il s'établit alors entre le noble & le roturier une concurrence heureuse; l'un travaille à n'avoir point d'égal, l'autre à n'avoir point de fupérieur; celui-ci veut atteindre celui qu'il voit devant lui; celui-là craint d'être atteint, & l'État eft fervi. La nobleffe peut donc être regardée comme une inftitution politique avantageufe. Que l'annobliffement foit ce qu'il doit être, c'est-à-dire la récompenfe d'une grande, d'une belle, d'une bonne action d'un fervice public & connu, non une fimple marque de faveur toujours suspecte d'être le fruit de l'intrigue, & les nouveaux nobles n'envieront point aux anciens cet avantage de l'ancienneté, tout considérable tout confidérable qu'il eft & qu'il doit être en matière de nobleffe. Nous difons: & qu'il doit être, car fi les fils n'ont pas dégénéré de la vertu de leurs pères, plus une race eft ancienne, plus elle a produit de fujets utiles à la patrie, plus par conféquent elle doit être chère & refpectable à cette même patrie.

M. le chevalier de Jaucourt étant fi peu favorable à la nobleffe, ne pouvoit pas l'être davantage au Blafon, qui n'eft que la connoiffance des fignes par lefquels les nobles fe diftinguoient des roturiers & fe diftinguoient auffi entre eux.

» Il n'y a pas, dit-il, une feule brochure fur l'art de faire des chemifes, des bas, » des fouliers, du pain; l'Encyclopédie eft le premier & l'unique ouvrage qui décrive » ces arts utiles aux hommes, tandis que la librairie eft inondée de livres fur la fcience » vaine & ridicule des armoiries; je ne les vois jamais, ces livres, dans des biblio»thèques de particuliers, que je ne me rappelle la converfation du pâtre, du mar» chand, du gentilhomme, & du fils de Roi, que la Fontaine fait échouer au bord » de l'Amérique ; là, fe trouvant ensemble & raisonnant fur les moyens de fournir à leur » fubfiftance prochaine, le fils de Roi dit, qu'il enfeigneroit la politique. Le noble » pourfuivit :

Moi je fais le Blafon, j'en veux tenir école,

Comme fi devers l'Inde, on eût eu dans l'esprit
La fotte vanité de ce jargon trivole.

» Le temps n'eft pas encore venu parmi nous, où l'art héraldique fera réduit à fa » jufte valeur, &c. ».

M. le chevalier de Jaucourt commence par avoir raison; avant l'Encyclopédie, les objets les plus utiles, les objets mécaniques, étoient négligés comme ignobles. Cette erreur venoit du régime féodal & tenoit à des idées fauffes & exaltées fur la nobleffe & fur la roture qu'on regardoit comme féparées par un intervalle immenfe. Tout exercice inconnu à l'ancienne nobleffe étoit réputé vil, les métiers, les arts, les fciences même; on fait aujourd'hui que tout ce qui eft utile, eft noble, & l'Encyclopédie n'a pas peu contribué à établir cette vérité.

Le reste du discours de M. de Jaucourt eft d'une exagération manifeste. La fcience 'des armoiries n'a rien de plus ridicule que celle des autres diftinctions établies parmi les hommes; elle eft ignorée & chez les fauvages de l'Amérique & dans les états defpotiques de l'Orient, par des raifons qui ne font pas à l'avantage de cette ignorance; mais dans la plupart des monarchies mitigées, la nobleffe & fes diftinctions tiennent à

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la conftitution de l'État ; quelque progrès que faffent dans la fuite nos lumières, & quelque contraires qu'elles puiffent être aux diftinctions de la nobleffe, l'art héraldique ne fera probablement jamais oublié ; il tient trop effentiellement à l'histoire. Quand les révolutions du temps, de la fortune & de la politique auroient tout changé à cet égard, le paffé ne pouvant pas n'avoir pas été, le Blafon fubfifteroit toujours comme monument hiftorique. C'eft, fi l'on veut, l'hiftoire de la vanité, mais l'histoire de la vanité humaine ne fe diftingue pas de l'hiftoire des hommes.

Au refte M. le chevalier de Jaucourt, avec tout fon mépris pour le Blafon, n'auroit pu répandre fur cette fcience autant de ridicule que certains écrivains héraldiques avec leur refpect exceffif & mal-adroit. Jaloux d'affurer à l'art qu'ils profeffoient, la plus haute antiquité (manie commune des favans fans lumières), ils en ont été puiser l'origine dans les fources les plus reculées de l'hiftoire tant facrée que profane; ils voient par-tout, dès l'enfance du monde, le Blafon en honneur ; ils le voient fous la même forme, ils l'énoncent dans les mêmes termes que le Blafon moderne ; s'ils ne nous préfentent pas l'écuffon d'Adam & des premiers Patriarches, ils commencent peu de temps après la tour de Babel & la confufion des langues; ils triomphent fur-tout au temps de Jacob; les figures emblématiques par lefquelles ce Patriarche mourant défigne le caractère ou annonce les destinées futures de fes enfans (Genèfe, chapitre 49) » Juda est un jeune » lion; Issachar eft un âne fort; que Dan devienne comme un ferpent; Nepthali fera » comme un cerf; Benjamin sera un loup raviffant ». Les pierres précieuses à quatre rangs & à trois pierres par rang, qui étoient pofées fur le Rational du jugement, dans l'habillement du Grand- Prêtre, & fur lesquelles étoient gravées les noms des douze tribus (Exode, chap. 28), leur paroiffent de véritables armoiries, qu'ils blafonnent avec toutes les formules ufitées aujourd'hui. Ils difent que le lion de Juda étoit d'or en champ de Sinople; qu'Ephraïm portoit d'or, à un bœuf de gueules, &c.

Un artiste, nommé Bara, qui a deffiné les Blafons anciens, donne à Jofué un écu d'or, à une tête de lion de gueules, arrachée, lampaffée & armée d'argent. ; comment ne lui donnoit-on pas le foleil qu'il avoit arrêté ?

David portoit d'azur à une harpe d'or cordée d'argent, la bordure de même, diaprée de gueules, la diaprure remplie d'un mot hébraïque.

Les mêmes auteurs placent le Blafon jufques dans la fable; ils le retrouvent dans l'expédition des Argonautes & dans les fièges de Thèbes & de Troie. Bara, déja cité, donne à Jafon la toifon d'or, mife en pal, accornée d'azur.

Tiphis portoit de pourpre à un griffon d'argent, membré, becqué de gueules, tenant dans fa griffe droite la toifon d'or.

Caftor porte d'azur à une étoile d'argent; Pollux de gueules à une étoile d'argent, car ces deux freres n'étoient pas tout-à-fait de la même maison. D'ailleurs les armes, de l'aveu de ces favans, étoient alors perfonnelles & non héréditaires.

Hercule portoit de pourpre à l'hydre d'argent, ombrée de finople, armée de gueules. Théfée, de gueules, au minotaure d'or, tenant fur fon épaule droite une maffue de pourpre. Amphiaraus portoit un écu de pur argent, comme n'ayant encore rien fait de glorieux,

Parmâque inglorius albâ.

Au contraire, Agamemnon portoit la tête d'un lion, avec cette infcription en un vers grec:

Voici l'effroi du monde, Agamemnon le porte.

Cet emblême du moins eft naturel, & Agamemnon pouvoit en effet le porter fur fon bouclier ou fur fon cafque.

Mais qui a dit à Bara, que Priam portoit de gueules, au lierre d'or?

Anchife d'or, au demi-fol de pourpre ?

Antenor, d'azur à un lion d'argent, ayant la tête d'un homme couverte d'un chapeau de gueules, tenant une houlette d'or avec fes deux pattes ?

a ij

Hedor, d'or à un lion de gueules, armé & lampassé d'argent, affis fur une chaire de pourpre, tenant avec fes pattes une hallebarde d'argent, dont le manche est d'azur? Et leur ennemi Diomède, Roi d'Etolie, d'argent à un paon rouant d'azur, aillé d'or accompagné de trois molettes de gueules ?

Le Blafon des héros de l'hiftoire ancienne n'eft pas moins détaillé. Alexandre le Grand portoit d'or à un lion de gueules, armé & lampaffé d'azur.

Les armes d'Alcibiade font d'un Blafon moins chimérique & d'une allégorie plus ingénieufe; c'eft un Cupidon embraffant la foudre de Jupiter.

Les royaumes & les républiques de l'antiquité avoient auffi leur Blafon, c'eft-à-dire qu'ils portoient dans leurs enfeignes une marque diftinctive, comme les particuliers en portoient dans leurs armes ; & fi c'est-là ce qu'on entend par le Blafon antique, foit des nations, foit des individus, c'eft une chofe qui peut ailément fe fuppofer, qui eft même connue jufqu'à un certain point par un certain point par des devifes & des emblêmes que l'hiftoire nous a confervés; mais il eft ridicule de s'engager à détailler jufqu'aux moindres pièces de ce Blafon dans le jargon moderne qui appartient à cette science.

Ce jargon eft une autre objection qu'on fait contre le Blafon. Ce n'eft, dit-on, qu'une fcience de mots, qui rejette les noms communs que tout le monde entendroit, pour en adopter d'étrangers & de barbares dont l'intelligence eft réfervée aux feuls initiés qui a même une fyntaxe à part, laquelle n'appartient à aucune langue connue. Si je dis que les armes de France ont un fond bleu d'où fortent trois fleurs de lys jaunes, deux en haut, une en bas, tout le monde m'entend, & j'ai 'donné une idée exacte des armes de France; mais je n'ai pas parlé le langage du Blafon. Si je dis au contraire: Les rois de France portent d'azur à trois fleurs de lys d'er, deux en chef, une en pointe, je parle la langue du Blafon, mais je ne fuis plus entendu que de ceux à qui cette langue eft familière. Il y a plus. Suppofons un homme qui ait fait une étude profonde des armoiries, qui fache diftinguer celles de toutes les maifons de l'europe & les faire diftinguer aux autres en fe fervant du langage commun; fuppofons au contraire un homme qui ne fache aucunement diftinguer les armoiries, ni les appliquer aux maifons qu'elles défignent, mais qui fache nommer en langage de Blafon chaque pièce des diverfes armoiries qu'on lui présentera, il eft clair que toutes les idées héraldiques feront d'un côté, tous les mots de l'autre, & que celui qui faura reconnoître les différentes maisons à leurs armes, fera l'ignorant en blafon, faute de favoir blafonner, c'est-à-dire faute d'avoir fu retenir une nomenclature bizarre.

En général la multiplicité des fignes nuit à l'acquifition des connoiffances; on furcharge la mémoire de nomenclatures infinies, & on préfente à peine une idée à l'efprit. Les noms grecs font d'un grand ufage dans les fciences, parce qu'ils contiennent prefque toujours en un feul mot une définition complette de la chofe; mais de quelque langue que viennent les mots de gueules, d'azur, de fable, de finople, ils ne fignifient toujours que rouge, bleu, noir & verd. C'eft bien la peine de changer de noms pour ceffer d'être entendu. Au lieu de créer ainfi par l'abus des mots & la multiplication des fignes, des branches ftériles d'une même fcience, il faudroit plutôt rapprocher, & pour ainfi dire identifier par un même figne tout ce que les différentes fciences peuvent avoir de commun. Si, par exemple, l'ortographe avoit confervé les étymologies dans toutes les langues, quelle facilité n'auroit-on pas à faifir la chaîne & la filiation de ces langues, à en démêler les reffemblances & les différences, à diftinguer les langues-mères & celles qui en font dérivées, à fuivre la route par laquelle certains mots, dans chaque langue, font arrivés de leur fignification primitive à la fignification fouvent très éloignée qu'ils ont prife, à comparer dans ces variations la marche des différentes langues, à en obferver les rapports avec le génie & le caractère des peuples.

Les favans ont cherché une langue favante & univerfelle, à la faveur de laquelle ils puffent s'entendre & communiquer entre eux de toutes les parties du monde : le moyen de parvenir à ce but, ou d'en approcher, ou au moins d'y tendre, feroit de fimplifier

beaucoup, d'unir tout ce qui pourroit être uni, de confondre tout ce qui feroit commun, de rendre les fignes auffi rares qu'on le pourroit, fans les rendre équivoques. Des rapports ou fenfibles & manifeftes, ou finement apperçus, ont fouvent fait donner un même nom à des objets entièrement difparates; les mêmes dénominations ont souvent été transportées du physique au moral & du moral au physique, ou appliquées à des objets du même genre, mais très-différens les uns des autres; on a, par exemple, appellé ciel de lit la partie fupérieure qui couvre le lit, comme ce que nous appellons le ciel, nous paroît couvrir la terre. Jufques-là tout va bien. Cette méthode de défigner une chose par fes rapports avec une autre, tend à fimplifier la science des fignes : mais pourquoi affoiblir enfuite l'idée de ce rapport par des diftinctions inutiles, & qui font même en contradiction avec le premier deffein, qui étoit d'exprimer ce rapport? Pourquoi des ciels de lit au plurier, tandis que le plurier naturel de ciel eft cieux ? Craignoiton l'équivoque? Comment feroit-elle plus à craindre au plurier qu'au fingulier ?

La contradiction eft encore plus forte, quand on applique ce plurier irrégulier ciels aux représentations que les peintres font du ciel; car c'eft affurément bien le ciel, ce font les cieux, foit ouverts foit fermés qu'ils veulent repréfenter.

Pourquoi encore le travail qu'un miniftre fait avec le roi exigera-t-il le plurier irrégulier travails? La raifon qui fait donner le nom de travail au compte qu'un miniftre rend au roi des affaires de fon département, n'eft-elle pas que ce compte eft censé êtrè le résultat d'un travail important, & cette raifon n'eft-elle pas la même au plurier qu'au fingulier?

Il en eft de même du mot ail de bœuf & du plurier ails de bœuf.

Mais il en eft autrement du mot : lit de juftice; on a eu beau faire, il a fallu qu'au plurier il fit lits de juftice.» On a tenu deux ou trois LITS DE JUSTICE pour cette affaire. Pourquoi toute cette bigarure? C'eft qu'on ne fuit pas affez conftamment un même principe, qu'on n'eft pas affez frappé de l'inconvénient de multiplier les fignes & d'augmenter les difficultés de l'inftruction. J'infifte fur cet article, car je le crois de quelque importance, & peut-être auroit-il befoin de réforme. L'inconvénient dont je me plains, celui de donner, indépendamment des idées, une langue particulière à apprendre, n'eft point propre au Blafon, il n'y a point de fcience ou d'art où il n'ait lieu jusqu'à un certain point. Tout art, toute fcience a & doit avoir fes mots techniques : les inftrumens, les outils, la manœuvre, les procédés divers de chaque art, foit libéral, soit mécanique, ne peuvent trouver leurs noms dans la langue commune. Mais que doivent être ces mots techniques, & quand doivent-ils être employés? Voilà ce qu'il importe d'examiner. Quand ils font les fignes néceffaires & uniques des idées qu'ils repréfentent, rien de fi utile que les mots techniques, mais ils ne font utiles que quand ils font neceffaires, & toutes les fois qu'il y a dans la langue commune un mot qui donne à tout le monde une idée précise de la chofe qu'on veut exprimer, pourquoi créer un mot technique & dès-lors à charge, puifqu'il faut commencer par en apprendre la fignification? Par exemple, & fans aller plus loin, qu'étoit-il befoin dans la marine des mots ftribord & babord? N'avoit-on pas dans la langue commune les mots de droite & de gauche, de côté droit & de côté gauche du vaiffeau, qui étoient fans embarras & fans équivoque? Je fais que cette réflexion appliquée ainfi à deux mots devenus d'un ufage familier quoique les ignorans les entendiffent à peine au commencement de la dernière guerre, peut paroître petite; mais donnons-lui toute fon étendue, envisageons dans fa totalité l'inconvénient dont nous parlons, on verra qu'on perd à apprendre cette partie fuperflue de la langue de certaines fciences, un temps qu'on auroit pu employer à faire des progrès dans la science même, & que cette lifte de fignes fur-abondans tient dans la téte la place d'idées & de connoiffances réelles ; c'eft un abus qui n'eft pas fans ridicule, & pour s'en convaincre, il ne faut que voir ce qu'on pense de cet étalage de mots techniques, quand il n'eft pas autorifé, & en quelque forte néceffité par l'usage, C'eft un ridicule qui n'a point échappé à Molière.

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Quoi, monfieur, dit le pédant Lyfidas, la protase, l'épitase & la péripétie..............' DORANT E.

» Ah! monfieur Lyfidas, vous nous affommés avec vos grands mots! Ne paroiffez » point fi favant, de grace; humanifez votre difcours, & parlez pour être entendu. » Penfez-vous qu'un nom grec donne plus de poids à vos raifons ? & ne trouveriez» vous pas qu'il fût auffi beau de dire l'expofition du fujet, que la protafe; le nœud » que l'épitafe, & le dénouement, que la péripétie?

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LYSIDAS.

» Ce font termes de l'art dont il eft permis de fe servir ».

Lyfidas fe trompe, cela n'eft permis que quand cela eft commandé; mais auffi dans ce cas, ce feroit un autre genre de pédanterie que d'éviter avec affectation le mot technique autorifé par l'ufage; quand la convention eft faite, quand la règle est établie, il faut s'y foumettre.

Il en eft de même des termes du Blafon & de fa fyntaxe particuliere. La convention eft faite, il faut la fuivre. Après tout, les fciences font bien auffi souvent le résultat des conventions arbitraires des hommes que de leurs connoiffances réelles.

On peut alléguer encore en faveur de la nomenclature héraldique, qu'elle abrège, & que fouvent elle exprime en un feul mot, ce qui ne pourroit être rendu en termes communs que par des périphrafes, raifon qui a fuffi pour charger de mots techniques toutes les fciences & tous les arts.

Mais c'eft fur-tout par l'allégorie, c'est par toutes ces chimères myftiques de la fcience hieroglyphique & fymbolique, que les héraldiftes ont défiguré & déshonoré le Blafon; ils l'ont traité comme les pédans traitent Homère & Mathanafius fa chanfon de pontneuf, ils ont entendu fineffe à tout, ils trouvent une fignification emblématique dans les métaux, dans les couleurs, dans les fourures, dans les animaux, dans les plantes, dans tous les meubles dont fe compofent les armoiries; l'un cite le Timée de Platon en faveur de la couleur de gueules; un héraldiste moderne s'écrie, avec le zèle & le ton d'un miffionnaire: >> Impies, qui dans le cœur voudriez qu'il n'y eût point de Dieu, dont vos remords qui ne vous quittent point, vous font fentir l'existence, ap» prochez, ouvrez les yeux; que la cigogne vous faffe admirer par fa piété, celui dont » elle eft ainfi que vous l'ouvrage, & que fa reconnoiffance vous infpire une fainte » horreur de votre ingratitude!.... Quoi! vous régimbez contre l'Être fuprême qui » vous a tiré des horreurs du néant, & vous voyez tous les jours la docilité du cheval » qui n'a point d'entendement ! »

Quand les allégoriftes trouvent un lion, ou un aigle dans des armes, ils ont beau jeu, c'est la valeur, c'eft l'élévation du héros qui eft représentée ; mais quand ils y trouvent la tête d'un âne, le groin d'un porc, la gueule d'un loup; alors ce n'eft plus le héros, c'est un ennemi vaincu qu'on repréfente, & cet ennemi étoit un lâche ou un méchant; mais cette explication a au moins deux inconvéniens, l'un que rien n'indique quand l'allégorie regarde le vainqueur ou le vaincu, l'autre qu'en avilissant le vaincu on affoiblit le mérite de la victoire; en un mot, rien de plus ridicule que ces explications, rien de plus arbitraire que ces rapports; n'ajoutons pas de nouvelles chimères à un art qu'on accufe déja d'être effentiellement chimérique; mais auffi n'imputons point à l'art héraldique les folies des héraldiftes.

De quoi s'agit-il dans les armoiries? De fe diftinguer par un figne quelconque la multitude & la variété infinie de ces fignes prouvent que s'ils ont pu avoir dans l'origine quelque allégorie, ils l'ont perdue par fucceffion de temps & qu'ils font devenus très-indifférens; y chercher aujourd'hui le rafinement d'un fens allégorique, c'eft imiter les fots qui mettent de l'efprit par-tout, & qui n'ont jamais conçu la fimplicité. Les armoiries n'en feront pas moins utiles pour n'être qu'une diftinction & non pas un emblême. Les diftinctions font néceffaires dans un état, où, par la conftitution, tous les hommes ne font pas réputés égaux, on ne peut s'en paffer par-tout où il y a de la noblesse.

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