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pour leur époque : c'est le vol de la colombe au milieu des orages. Personne n'écouta la voix d'un homme qui n'avait de passion que le bien de l'humanité. Une suite aux Vœux d'un solitaire, donnée en 1791, porte le même caractère et eut le même sort. La plus profonde solitude qu'entourait et trahissait une grande célébrité, fut le choix du reste de sa vie. Deux fois il se maria à deux très-jeunes femmes, une fois à 54 ans, et l'autre à 64. Le philosophe n'avait pas songé qu'en rapprochant la jeunesse de la vieillesse, il rompait la plus douce et la plus délicate des harmonies de la nature. Soit par une sensibilité inquiète, soit par toute autre cause difficile à expliquer ici, il fut maiheureux, et se plaignit. Une grande susceptibilité, une irritation vive contre les critiques les plus injustes, une continuelle maladie de nerfs, faisaient de cet homme si envié un être véritablement à plaindre. Cependant la gloire le comblait, et il était dans l'aisance. Professeur de morale à l'école normale, membre de l'institut, devenu possesseur d'OEragui, jolie maison de campagne près de Pontoise, il reçut la décoration de la légion-d'honneur, une pension de 2,000 francs, et une autre de 6,000 francs sur la cassette du prince Jérôme. Les nombreuses éditions de ses ouvrages avaient considérablement augmenté sa fortune. Le 21 janvier 1814, il s'éteignit dans sa maison de campagne, à 76 ans. Bernardin de Saint-Pierre est un des hommes dont cette époque s'honore le plus. Vers la fin d'un siè

cle où les arts s'égaraient presque tous dans de fausses routes, s'il erra, c'est en fait de sciences; et qui, sous ce rapport, ne s'est jamais trompé ? Mais en fait de littérature, retrouvant la bonne route, il fut naïf, éloquent, original. Observateur judicieux, doué d'une imagination poétique, mais toujours fidèle et dévouée à la vérité, il a fait, dans son célèbre ouvrage des Etudes de la nature, un hymne à Dieu, qui ne périra qu'avec le sentiment du beau. Ses Harmonies de la nature, composées pendant les crises de la révolution, et au moment où toutes les harmonies sociales se confondaient pour se reproduire sous leurs véritables formes, offrent plus d'imagination peut-être, et une sensibilité moins pénétrante que les Etudes. Le roman de l'Arcadie est un tableau antique, peint par Apelle tout y respire l'air des montagnes de la Grèce. Le Café de Surate est une piquante allégorie qui rappelle Voltaire. Avec moins de finesse et de trait, la Chaumière indienne est une délicieuse idylle, remarquable par un récit plein de charme, et une haute pensée philosophique. C'est la révolte de la nature contre la société, grande idée, qui a tourmenté les plus grands hommes, et qui, mystérieusement et sous d'autres formes, tourmente aujourd'hui le monde politique. Le drame de la Mort de Socrate semble dicté par J. J. Rousseau; quelques traits adoucis font reconnaître la plume délicate de Bernardin de Saint-Pierre. Cet homme célèbre avait la physionomie noble, douce, antique. Ses

deur à Vienne. Convaincu que ce changement était l'effet de la faiblesse du directoire et de l'ascendant de Bonaparte, Bernadotte refusait de se rendre à Vienne. Berthier lui représenta que son refus allait retarder l'exécution des ordres qu'il avait reçus luimême de marcher sur Rome; que łe directoire avait pensé qu'il fallait, dans cette circonstance, envoyer à Vienne un homme qui eût assez d'influence pour faire entendre à ce cabinet que la marche de l'armée française n'avait nullement pour but de détruire le gouvernement papal, mais seulement d'obtenir une réparation éclatante de l'assassinat du général Duphot. Berthier ajouta qu'il trouverait à Vienne des instructions dans ce sens. Bernadotte voyant alors une trop grande responsabilité à retarder, par son refus, la marche de l'armée, se rendit à Vienne, où sa loyauté connue iui valut un accueil trèsdistingué. Huit jours après, la Suisse était envahie, et Berthier avait proclamé la république romaine. La cour de Vienne gardait le silence; et Bernadotte, sentant le besoin de la circonspection, vécut d'une manière très-retirée. Ce fut à cette époque que certains journaux de Paris se déchaînèrent contre Bernadotte absent. On rappelait ses premières hésitations relativement aux adresses de l'armée d'Italie; on annonçait que les officiers et la suite de l'ambassadeur français à Vienne ne portaient la cocarde tricolore que dans l'intérieur de l'hôtel, conséquence naturelle, ajoutait on, de la condescendance que

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Bernadotte avait montrée pour le cabinet de Vienne, après les préliminaires de Léoben, et à des époques antérieures. Le directoire envoya ces articles de journaux à Bernadotte, en lui écrivant <« qu'il ne pouvait croire qu'un général, qui avait si bien >> servi la nation sous le drapeau tricolore, négligeât de faire res»pecter ses couleurs, et qu'il lui » ordonnait de faire distinguer »>son hôtel par les couleurs na» tionales, s'il ne l'avait déjà fait.>> A l'instant même, l'hôtel de l'ambassadeur français arbora le drapeau tricolore, qui fut le prétexte, et qui donna le signal de l'émeute, dans laquelle, sans le sang-froid le plus rare, et l'intrépidité la plus active, Bernadotte eût éprouvé à Vienne le sort du général Duphot à Rome. Il serait triste de penser que ces deux événemens aient été le résultat des mêmes combinaisons. Bernadotte, après un tel éclat, ne pouvait rester à Vienne. Il envoya son rapport au directoire, et se rendit à Rastadt, pour y attendre des ordres ultérieurs. L'indifférence ou la faiblesse avec laquelle le directoire traita l'affaire de Vienne, décida Bernadotte à refuser l'ambassade de La Haie; ce fut du moins le motif apparent de cette conduite. Avant cette époque, il avait épousé la fille d'un des négocians les plus considérés et les plus estimables de Marseille, Mile Eugénie Clary, sœur de l'épouse de Joseph Bonaparte, depuis roi d'Espagne. On assure que le père de Me Clary l'avait d'abord refusée à Bonaparte, et qu'il la destinait au général Du

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phot, depuis assassiné à Rome. En 1799, la guerre ayant été déclarée à l'Autriche, Bernadotte fut nommé général en chef de l'armée d'observation sur le Rhin. Les frontières garanties, le commerce de Manheim assuré, l'université d'Heidelberg protégée, le soulagement du pays opéré par des restrictions apportées au droit de réquisition, tels sont les actes qui signalèrent son commandement. Il chassa de Francfort les agens de l'Autriche, et fit retirer les émigrés français à vingt lieues au-delà des positions occupées par les armées de la république. Bientôt arriva la révolution du 30 prairial, qui fit sortir du directoire Merlin, Treilhard et La Réveillère-Lépeaux. Le parti qui venait de triompher, considérant dans Bernadotte le militaire plutôt que le citoyen, espéra trouver en lui un instrument docile, et l'éleva au ministère de la guerre. Le nouveau ministre, par sa fermeté et sa gestion, ne tarda point à tromper cette espérance. A peine installé, il écrivit aux généraux pour exciter leur patriotisme et enflammer celui des armées. Il leur recommandait la discipline et l'unité d'action. Il confia le commandement en chef des armées des Alpes et d'Italie au général Championnet, antérieurement disgracié. Il invita, de la manière la plus pressante, le général Moreau à examiner la conduite des commandans qui, en Italie, avaient rendu les places fortes qui leur étaient confiées. Il fit incorporer dans les bataillons de leurs départemens les officiers qui étaient à Paris en ré

clamation. Enfin, sous le gouvernement le plus faible, et dans un temps où les revers de nos armées portaient le découragement dans, toutes les âmes, il signala son ministère par une énergie et une activité remarquables à toutes les époques. Le pouvoir d'opinion, l'influence acquise par de tels moyens, portèrent ombrage au directoire, jaloux d'une autorité dont l'exercice plein et entier était au-dessus de ses forces. Bernadotte fut remplacé par le général Milet-Mureau; et le directoire, en annonçant au premier cette détermination, lui écrivit « qu'il »> ne faisait en cela que céder au » vœu manifesté par le ministre, » de reprendre un service actif » dans les armées. » Bernadotte répondit qu'il n'avait jamais parlé de démission, demanda son traitement de réforme, et, youlant rester étranger aux intrigues qui s'ourdissaient à Paris, se retira à la campagne. Il ne prit aucune part à la révolution du 18 brumaire, qu'il désapprouva même assez hautement, ainsi que beaucoup d'autres. Cependant il fut nommé, après l'installation des consuls, conseiller-d'état et général en chef de l'armée de l'Ouest. Il battit, en diverses rencontres, les royalistes insurgés; et le 16 mai 1800 (16 floréal an 8), il empêcha le débarquement des Anglais à Quiberon. L'année suivante, le mauvais état de sa santé le força de remettre le commandement de son armée au général Laborde, ce qui donna lieu à différentes conjectures. Les uns prétendaient qu'il avait été empoisonné comme le général Hoche c'était

une calomnie. Les autres supposaient qu'il avait été disgracié par suite de la découverte d'une conspiration formée en Bretagne, contre le nouveau gouvernement, dans laquelle figuraient quelques officiers de son état-major, et dont il avait eu connaissance : c'était une autre calomnie. Ce qui pouvait donner naissance à de tels bruits, c'est que Bernadotte n'avait jamais été ni le courtisan, ni l'instrument, ni l'ami du premier consul. Il y avait toujours eu plus que de la froideur entre eux. Cette disposition avait pris le caractère d'une sorte d'hostilité, à l'époque de l'expédition de Saint-Domingue, dont le commandement, demandé par Bernadotte, fut donné au général Leclerc. Au passage de ce dernier à Rennes, pour se rendre à Brest, une explication très-vive, et où rien ne fut dissimulé, eut lieu entre ces deux généraux. Ce fait est positif. Ce qui l'est également, c'est l'antipathie qui éloigna Bernadotte de Bonaparte, quand il arriva sous ses ordres à l'armée d'Italie, et qu'il témoigna publiquement pour son général en chef, devenu premier consul. Aussi Joseph Bonaparte, son beau-frère, crut devoir se charger de les rapprocher. Cette pacification conserva toujours la couleur politique d'un traité de circonstance, prescrit par la nécessité. Au mois de mai 1804 (29 floréal an 12), Bernadotte recut le bâton de maréchal d'empire et le commandement de l'armée d'Hanovre, en remplacement du maréchal Mortier, depuis duc de Trévise. Nommé, quelque temps après, chef de

la 8m cohorte de la légion-d'honneur, institution à la création de laquelle il s'était opiniâtrément opposé dans le conseil-d'état, il fut choisi, en mars 1805, malgré son absence, pour présider le collége électoral du département de Vaucluse. Le département des Hautes-Pyrénées le nomma candidat au sénat--conservateur. Décoré, presque en même temps, des ordres de l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge de Prusse, de la grand' croix de Saint-Hubert de Bavière, il ne tarda point à quitter le pays d'Hanovre, avec la plus grande partie de ses troupes, pour marcher contre l'Autriche. Le 25 septembre, ilarriva à Wurtsbourg, où il réunit les Bavarois à son corps d'armée. De là, il se dirigea sur Munich, où il entra, le 21 octobre; et le 30 du même mois, il s'empara de Salzbourg. A Austerlitz, il occupa le centre de l'armée, et eut une part signalée à la grande victoire qui a immortalisé cette journée. Créé prince souverain de Ponte-Corvo, le 5 juin 1806, il entra en campagne à la tête du 1 corps. Le 9 octobre, il battit 10,000 Prussiens; et le 10, il leur fit éprouver, avec la coopération du général Suchet, un second échec à Saalfeld, où périt le prince Louis de Prusse. Après la bataille d'Iéna, Bernadotte attaqua, le 17, à Halle, la réserve prussienne, commandée par le prince Eugène de Wirtemberg. Après l'avoir battu, il entra dans Halle. Le 25, il s'avança dans le Brandebourg et arriva, le 6 novembre, avec les maréchaux Soult et Murat, devant Lubeck, où s'étaient retirés les dé

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bris de l'armée prussienne; là, il se livra un combat très-sanglant, à la suite duquel les Français entrèrent de vive force dans la ville, que les généraux français, malgré leurs efforts, ne purent entièrement garantir du pillage. La prise d'un nombre considérable de drapeaux, de soldats, d'officiers et de généraux, parmi lesquels on distinguait le duc de Brunswick-Oels et le général Blucher, furent le résultat de cette victoire. Le 8 du même mois, le boulevart de la monarchie prussienne, Magdebourg, fut obligé de se rendre; et le maréchal, prince de Ponte-Corvo, reçut l'ordre de marcher sur la Pologne, audevant des Russes, qui arrivaient, un peu tard, au secours de la Prusse. Les généraux russes avaient formé le projet de couper l'empereur et la division Ney du reste de l'armée française, et il s'avancèrent en force dans la plaine en avant de Mohrungen. Bernadotte avait reçu, la veille, l'ordre de se retirer sur le petit Strasbourg, à 7 ou 8 milles de Thorn; mais étant mieux instruit du mouvement des Russes qu'on ne l'était au quartier général, il prit son parti en grand capitaine. Comme il n'y avait pas de temps à perdre, il réunit, de minuit à midi, tout son corps d'armée sur les plaines avant Mohrungen, où bientôt arriva la colonne russe, qui fut complètement battue. Par cette résolution, il sauva le quartier-général de l'empereur et la division du maréchal Ney; et ce qu'il y a de remarquable, c'est seulement dans les journaux étrangers qu'on lui a décerné le juste tribut d'éloges

que

méritait un service si important. Le 26 février, le maréchal Bernadotte assura, par la victoire remportée à Braumberg, la position de l'armée française. Des négociations avaient été entamées; mais ayant été rompues, deux colonnes russes tentèrent de passer la rivière à Spandau; Bernadotte les repoussa, après un combat meurtrier, dans lequel il fut grièvement blessé, et, obligé de se retirer, il prit, en 1808, le commandement d'un corps considérable de Français, d'Espagnols et de Hollandais, cantonnés dans les environs de Hambourg, et qui passèrent ensuite dans la Fionie et le Jutland. On sait comment le général espagnol La Romana s'échappa, à l'aide des Anglais, avec 10,000 hommes. Il n'emmena que ceux qui étaient en Fionie. La division Kindelan, qui se trouvait dans le Jutland, ne voulut pas se rendre aux ordres de La Romana. La modération du prince de Ponte-Corvo dans son gouvernement, la sagesse de son administration, ses efforts pour réparer les malheurs qui accablaient depuis longtemps ces contrées, lui concilièrent l'affection et l'estime de tous leurs habitans. Nous verrons bientôt le résultat de l'impression que la justice, l'humanité, les talens du général français, produisirent sur ces peuples. La guerre que l'Autriche déclara à la France, au commencement de 1809, ramena le prince de Ponte-Corvo sur le champ d'honneur. Il reçut le com. mandement du ge corps, presque entièrement composé de Saxons; le 17 mai, il engagea et battit les

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