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l'élève sera le spectateur de scènes toutes opposées de celles que son éducation lui aura appris à attendre. Il est à redouter que de tels exemples n'anéantissent peu à peu l'œuvre de l'éducation, comme les mauvaises herbes d'un sol, en traçant, envahissent les champs voisins.

La Justice politique est exempte de toutes les infériorités de la littérature et de l'éducation. Par (( justice politique », il faut entendre l'adoption des principes de moralité et de vérité dans l'administration de la communauté (1) ».

Les institutions politiques ont, sur la littérature, cette supériorité d'embrasser dans leur étreinte tous les citoyens d'un Etat, et sur l'éducation cet avantage de les maintenir sous leur règle depuis la naissance jusqu'à la mort. Par l'envergure de leur action, les institutions politiques constituent ainsi le grand agent de réformation de l'humanité. Quand la forme du gouvernement, quand les lois civiles et pénales, et généralement quand les institutions publiques sont organisées suivant un plan d'équité, il est

(1) Pol. Just., vol. Ier, liv. Ier, chap. iv, p. 19.

impossible que les hommes qu'elles gouvernent ne soient pas vertueux et bons. Ce sont les institutions qui façonnent l'âme des hommes. Et si l'histoire de l'humanité jusqu'à l'heure présente n'est que l'histoire de ses vices et de ses crimes, la responsabilité en pèse sur les gouvernements et les lois.

Les Etats modernes les plus civilisés, tels que la France et l'Angleterre, sont sans cesse troublés par des violences, dont la plupart et les plus importantes ont le vol pour mobile, et pour cause l'inégale répartition des richesses. Les pauvres, malgré un travail accablant, parviennent à peine à gagner ce salaire minime qui rend la vie possible: le besoin les incite naturellement au vol. Et ils y sont d'autant plus poussés que les riches abusent de leur puissance. Un homme est capable de supporter de fortes privations, quand celles-ci sont également réparties sur tous les membres de la société. Mais quand il se trouve seul, ou à peu près, en face de l'opulence et de l'insolence des riches, le sentiment de son oppression l'étreint. « Il est nécessairement conduit à regarder l'état de société comme un état de guerre, comme une injuste combi

naison faite, non pour protéger chaque homme dans ses droits et lui assurer les moyens d'existence, mais pour conférer tous les avantages à un petit nombre d'individus favorisés, et réserver aux autres le besoin, la dépendance et la misère (1). »

Or, ce sont les institutions politiques qui entretiennent cette inégalité. Les gouvernements n'ont aucun souci de justice. Ils sont simplement les organes de la domination d'une classe sur une autre. Les lois, par lesquelles la puissance gouvernementale s'exerce, ne sont destinées qu'à protéger la fortune et l'autorité des riches. C'est ainsi qu'en France, avant la réforme d'il y a deux ans, les lois sur le revenu frappaient le pauvre seul, et qu'en Angleterre, au cours du dix-huitième siècle, la taxe sur la terre s'est vue remplacer peu à peu par les taxes de consommation, ce qui constituait un effort pour décharger sur les pauvres le poids auparavant supporté par les riches. Pareillement, les lois pénales n'atteignent que le pauvre. Les peines les plus dures sont dirigées contre le vol et les autres attentats

(1) Pol. Just., vol. Ier, liv. fer, chap. v, p. 35.

à la propriété, que les riches n'ont aucune tentation de commettre.

L'application de la loi n'est pas moins inique que la loi elle-même. Le pouvoir judiciaire est exercé par les riches, dans l'intérêt exclusif des riches. En France, sous l'ancien régime, où l'office de juge s'achetait, un ami puissant, une femme gracieuse ou un beau présent valaient mieux qu'une bonne cause. Et en Angleterre, les procès relatifs à la propriété sont si longs et si chargés de frais que les pauvres ne peuvent songer à les engager.

Les institutions politiques soutiennent les injustices sociales. Aucun progrès moral ne peut être espéré d'institutions iniques. C'est donc sur elles qu'il faut porter la hache. Puisque l'âme de l'homme est tout entière formée par le milieu, des institutions publiques soucieuses de justice doivent engendrer une humanité vertueuse. La << politique » devient la première des sciences humaines.

Mais, dira-t-on, comment déterminer avec sûreté quelles sont les institutions équitables? Et si cette découverte est possible, comment

l'imposer sans retour à toutes les intelligences?

Une telle objection ne saurait embarrasser Godwin, qui a, toute prête, la réponse. La vérité, dira-t-il, est une, et l'esprit de tout homme, abandonné à son propre raisonnement, doit la découvrir.

Il n'y a pas de proposition plus fausse que d'affirmer qu'un gouvernement doit être adapté aux caractères, aux habitudes et aux préjugés de la nation (1). Ceci entraînerait pour conclusion que la vérité est multiple, qu'il y a autant de gouvernements vrais que de nations, et que les hommes d'un Etat possèdent des caractères particuliers et irréductibles, auxquels la forme des institutions politiques doit se plier. Or, la seconde de ces propositions a été déclarée fausse; la première ne l'est pas moins.

Sans doute, il existe entre les mœurs des nations des différences éclatantes, et l'on peut observer une certaine relation entre les mœurs et la forme du gouvernement. Mais cette constatation, loin d'être une objection, constitue un argument en faveur de la thèse de la formation

(1) Pol. Just., vol. Ier, liv. Ier, chap. vII.

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