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DEUXIÈME PARTIE

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

(1789-1796)

CHAPITRE PREMIER

L'ANGLETERRE ET LA RÉVOLUTION

FRANÇAISE

L'Angleterre et la France avaient eu, au dixhuitième siècle, trop de rapports, et de préférence hostiles, pour que la Révolution n'intéressât pas, dès le début, le peuple anglais. De fait, à partir de juin 1789, les journaux de Londres consacrent aux événements de France la majeure partie de leurs colonnes.

Certains périodiques, particulièrement gallophobes, se réjouissent de l'aventure qui arrive

à Louis XVI (1). Beaucoup d'Anglais, et même de ceux, comme le radical Thomas Day (2), qui avaient pris parti contre la guerre d'Amérique, ne pardonnaient pas à la France d'avoir appuyé les colons américains. Et comme ils se rendaient compte que l'exemple des Etats-Unis était pour un peu dans la Révolution française, ils se réjouissaient que Louis XVI payât, par une diminution de son pouvoir, son intervention pour l'Indépendance.

Mais une telle attitude est rare. La majorité des journaux, fidèles reflets de l'opinion publique, manifestent une vive sympathie pour la Révolution (3). Les Etats généraux, dans les premiers mois de leur existence, demandaient simplement que la nation fût appelée à consentir l'impôt et à en surveiller l'emploi, que le clergé et la noblesse fussent dépouillés de leurs privilèges, et que le roi ne se considérât pas comme au-dessus des lois. Or, ces exigences paraissaient

(1) Morning Post, july, 8, 17, 1789. — The O racle, july, 2, 1789. (2) Reflections upon the present State of England and the Independence of America, by Thomas DAY, 1785. Voir aussi Quarterly Review, vol. 8, p. 322.

(3) Morning Post, july, 21, 22, 23, 24, 1789.

The Oracle, july,

23, 25, 1789. — The World, february, 11, 18, 1790. - Saint-James Chronicle, july, 30; august, 1, 1789.

naturelles à un peuple qui, depuis des siècles, votait ses impôts, jouissait de l'Habeas Corpus, et où les classes élevées n'étaient pas dotées de privilèges exagérés.

La Révolution française, jusqu'en 1790, apparut seulement comme l'effort immense entrepris par une nation pour imposer des bornes légales à son gouvernement. Par là, elle se rapprochait de la Révolution anglaise de 1688. Et comme les Anglais cultivés savaient quelle admiration les philosophes et les publicistes français, pendant tout le dix-huitième siècle, avaient nourrie pour les institutions anglaises, ils ne doutaient point que la France, en ces circonstances, prenait l'Angleterre pour modèle (1). Et leur amourpropre satisfait les rendait aimables. «< Longtemps, les Français ont révéré leurs monarques, disait le Morning Post (2). La littérature et la philosophie ont toutefois répandu des lumières nouvelles sur le pays: les écrits de plusieurs grands et illustres auteurs, et leurs relations ininterrompues avec la Grande-Bretagne, ont contribué pour une large part à modifier le

(1) Morning Post, july, 8, 23, 1789.

(2) Ibid., 1789.

caractère national... C'est le vœu avoué du peuple français de relever sa Constitution originelle et de la façonner d'après le modèle britannique. Pour ce projet, il est décidé (si l'on rencontre un appui pacifique de la Cour) de consulter certains des hommes les plus intelligents de notre pays sur les purs principes de la Constitution anglaise et leur mise en pratique. Un tel projet est digne de ces caractères élevés qui se sont appliqués à se dégager des audacieuses emprises de l'ambitieux despotisme (1). »

Le Morning Post (2) donne des conseils aux Français « L'un des principaux objets qu'ils doivent conquérir, c'est l'émancipation de la presse. Ils pourront ensuite obtenir le bienfait inestimable du jugement par un jury. » Mais les mouvements populaires inquiètent déjà les Anglais, pour qui la France reste « le triste pays des séditions (3) ». Et, dès le 31 juillet 1789, le Morning Post, avec un sens prophétique, dont on a fait l'honneur exclusif de Burke, et que nombre d'autres Anglais possédaient, disait : «< Le

(1) Morning Post, july, 23, 1789.

(2) Ibid., 24, 1789.

(3) Ibid., 16, 1789.

danger vient du peuple armé. L'Assemblée nationale, après avoir fait la loi au roi, pourrait être obligée de la recevoir de ces hommes. Les sanglantes exécutions dont la populace a déjà donné le spectacle, peuvent donner une idée de ce qu'elle peut faire, de ce qu'elle fera probablement (1). »

Malgré ces redoutables prévisions, les Anglais conservaient pour la Révolution une sympathie désintéressée. Et même il y en eut certains pour adopter à l'égard de la France une attitude plus énergiquement bienveillante. Ce sont les hommes et les sociétés qui, depuis maintes années, luttaient contre l'agrandissement du pouvoir royal et pour la réforme parlementaire. Les Etats généraux de France, à peu de choses près, avaient été élus au suffrage universel; et, dès l'abord, le Tiers Etat avait manifesté une force et une conscience de ses droits, auxquelles le roi, la noblesse et le clergé avaient dû céder. Sur plusieurs points, la Révolution française dépassait la Révolution anglaise de 1688; et les réformateurs anglais pensaient que la France atteignait à un régime de liberté et d'égalité, que

(1) Morning Post, july, 31, 1789. Voir aussi july, 16, 20,

1789.

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