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pour la première fois depuis mon indisposition qui voulait le repos et les bains; on m'amène un fiacre. En approchant du Carrousel, je ne vois plus de force armée; deux canons et quelques hommes étaient encore à la porte du Palais national; j’avance, la séance est levée!

Le jour d'une insurrection, lorsque le son du tocsin cesse à peine de frapper les airs, lorsque, deux heures auparavant, quarante mille hommes en armes environnaient la Convention, et que des pétitionnaires menaçaient ses membres à la barre, l'Assemblée n'est pas permanente! Elle est donc entièrement subjuguée? Elle a donc fait tout ce qu'on lui a ordonné? Le pouvoir révolutionnaire est donc si puissant qu'elle n'ose le balancer, et qu'il n'a plus besoin d'elle?«< Citoyens, dis-je à quelques sans-culottes groupés près d'un canon, cela s'est-il bien passé? -Oh! à merveille! ils se sont embrassés, et l'on a chanté l'hymne des Marseillais, là, à l'arbre de la liberté. - Est-ce que le côté droit s'est apaisé ? Parbleu ! il fallait bien qu'il se rendît à la raison. Et la commission des douze?- Elle est f.... dans le

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fossé. - Et ces vingt-deux? Ah! la municipalité les fera arrêter. Bon! est-ce qu'elle le peut ? Jarnigué ! est-ce qu'elle n'est pas souveraine ? il faut bien qu'elle le soit pour redresser les b...... de traîtres et soutenir la République. Mais les départemens seront-ils bien aises de voir leurs repréQu'appelez-vous? les Parisiens ne font

sentans...

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rien que d'accord avec les départemens; ils l'ont dit à la Convention.-Cela n'est pas trop sûr, car, pour savoir leur vou, il aurait fallu des assemblées primaires. Est-ce qu'il en a fallu au 10 août? et les départemens n'ont-ils pas approuvé Paris? Ils feront de même; c'est Paris qui les sauve. — Ce pourrait bien être Paris qui se perd...... » J'avais traversé la cour et je gagnais mon fiacre en finissant ce dialogue avec un vieux sans-culotte, assurément bien payé pour endoctriner les dupes. Un joli chien se pressait dans mes jambes. « Est-ce à vous ce pauvre animal?» me dit mon cocher, avec un accent de sensibilité fort rare dans ses pareils, et qui me frappa singulièrement. Non, je ne le connais pas, lui répliquai-je gravement, comme s'il s'agissait d'une personne, et songeant déjà à toute autre chose : vous m'arrêterez aux galeries du Louvre. » Je voulais y voir un ami avec lequel je me proposais d'aviser au moyen de faire sortir Roland de Paris; nous n'avions fait que vingt pas, la voiture s'arrête. Qu'est-ce donc? dis-je au cocher. Eh! il m'a quitté comme un sot, tandis que je voulais le garder pour mon petit garçon qui s'en amuserait bien : petit! petit! viens done! » Je me souvins du chien: je trouvai doux et aimable d'avoir pour cocher, à cette heure, un bon homme, père et sensible : « Tâchez de l'attraper, lui criai-je, vous le mettrez dans la voiture, et je vous le garderai. » Le bon homme, tout joyeux, prend le chien, ouvre la

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por

tière et me donne compagnie. Cette pauvre bête paraissait sentir qu'elle trouvait protection et asile; je fus bien caressée, et je me rappelai ce conte de Saadi, qui nous peint un vieillard, las des hommes, rebuté de leurs passions, retiré dans une forêt où il s'était fait une habitation dont il animait le séjour par quelques animaux qui payaient ses soins des témoignages affectueux d'une reconnaissance à laquelle il s'était borné, faute d'en trouver autant chez ses semblables.

Pasquier venait de se coucher; il se lève; je lui propose mes moyens : nous convenons qu'il se rendra chez moi le lendemain après sept heures, et que je lui indiquerai où prendre son ami. Je rentre dans ma voiture; elle est arrêtée par la sentinelle du poste de la Samaritaine. « Un peu de patience, me dit tout bas le bon cocher en se retournant sur son siége, c'est l'usage à cette heure. Le sergent arrive, ouvre la portière. « Qui est là? - Une citoyenne. - D'où venez-vous? De la Convention. Ah! c'est bien vrai, glisse le cocher, comme s'il eût eu peur que l'on ne me crût pas. Où allezvous? Chez moi. -- N'avez-vous pas de paquets? Mais la séance est levée.

Je n'ai rien, voyez.

Oui, dont bien me fâche, car j'avais à faire une pétition. Une femme! à cette heure, c'est inconcevable; c'est bien imprudent! -Sans doute, cela n'est pas ordinaire et n'a rien pour moi d'agréable; il fallait bien que j'eusse de grands motifs.

Mais,

Madame, toute seule?-Comment, Monsieur, seule ! Ne voyez-vous pas avec moi l'innocence et la vérité;

que

faut-il de plus?

Allons, je me rends à vos rai

sons. Et vous faites bien, répliquai-je d'un ton

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plus doux, car elles sont bonnes. »

Les chevaux étaient si fatigués, qu'il fallut que le cocher les tirât par la bride pour leur faire monter ma rue. J'arrive, je le paye : j'avais déjà monté huit ou dix marches; un homme qui s'était fourré, je ne sais comment, sous la porte cochère sans que le portier l'aperçût, est sur mes talons et me prie de le conduire au citoyen Roland. « Chez lui, j'y consens, si vous avez quelque chose d'utile à communiquer; mais à lui, c'est impossible. - C'est qu'on veut absolument le mettre ce soir en arrestation. Ils seront bien habiles, s'ils en viennent à bout! Vous me faites plaisir, car c'est un bon citoyen qui vous parle. A la bonne heure ; » et je monte, sans trop savoir qu'en penser.

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Pourquoi, dans ces circonstances, rentrâtes-vous dans votre maison? pourrait-on me demander.

Cette question n'est point déplacée ; car la calomnie m'avait aussi attaquée, et la malveillance pouvait s'exercer sur moi; mais pour y bien répondre, il faudrait, en développant entièrement l'état de mon âme, entrer dans des détails que je réserve pour un autre instant; je n'indiquerai donc que les résultats. J'ai naturellement de l'aversion pour tout ce qui n'est point conforme à la marche évidente, grande

et hardie, convenable à l'innocence; le soin de me soustraire à l'injustice me coûte plus que de la subir. Dans les deux derniers mois du ministère de Roland, nos amis nous pressèrent souvent de quitter l'hôtel, et parvinrent trois fois à nous faire coucher dehors: ce fut toujours malgré moi. C'était un assassinat que l'on craignait alors; je trouvais qu'il était difficile de se porter à violer l'asile d'un fonctionnaire public, et que si des scélérats pouvaient tenter ce crime, il n'était pas inutile qu'il se consommât; que, dans tous les cas, le ministre devait être à son poste, parce que là sa perte crierait vengeance et instruirait la République; tandis qu'il était possible de l'atteindre, dans ses allées et venues, avec autant de profit pour les auteurs de l'entreprise, moins d'effet pour la chose publique et de gloire pour la victime. Je sais que ce raisonnement est ridicule pour quiconque met sa vie avant tout; mais celui-là qui la compte pour quelque chose en révolution, comptera pour rien vertu, honneur et patrie. Aussi je ne voulus plus quitter l'hôtel en janvier 1793; le lit de Roland était dans ma chambre pour que nous courussions le même sort, et j'avais un pistolet sous mon chevet, non pour tuer ceux qui viendraient nous assassiner, mais pour me soustraire à leurs indignités, s'ils voulaient mettre la main sur moi.

Sorti de place, l'obligation n'était plus la même, et je trouvais fort bon que Roland évitât la fureur populaire, ou les serres de ses ennemis. Quant à

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