Page images
PDF
EPUB

laisse ici mes collègues. L'idée me vint aussitôt qu'il serait bon de dénoncer ce fait à la Convention avec quelque éclat, afin de prévenir l'arrestation de Roland, ou de le faire promptement relâcher, si elle s'effectuait : en communiquer le projet à mon mari, faire une lettre au président et partir, fut l'affaire de quelques minutes. Mon domestique était absent ; je laisse un ami, qui était à la maison, près de Roland; je monte seule dans un fiacre, à qui je recommande la plus grande vitesse, et j'arrive au Carrousel. La cour des Tuileries était remplie d'hommes armés : je traverse et franchis l'espace au milieu d'eux, en sautant comme un oiseau : vêtue d'une robe du matin, j'avais pris un schall noir, et je m'étais voilée : parvenue aux portes des premières salles, toutes fermées, je trouve des sentinelles qui ne permettent pas d'entrer, ou qui se renvoient alternativement d'une porte à l'autre : j'insiste inutilement; enfin je m'avise de prendre le langage qu'aurait pu tenir quelque dévote de Robespierre: «Ehmais, citoyens! » dans ce jour de salut pour la patrie, au milieu des > traîtres que nous avons à craindre, vous ne savez › donc pas de quelle importance peuvent être des » notes que j'ai à faire passer au président? Faites» moi venir un huissier, pour que je les lui confie. » La porte s'ouvre, et j'entre dans la salle des pétitionnaires; je demande un huissier: « Attendez » qu'il en sorte un, » me répondent les sentinelles de l'intérieur : un quart-d'heure s'écoule ; j'aperçois

[ocr errors]
[ocr errors]

Rose, le même qui était venu m'apporter le décret de la Convention qui m'invitait à me rendre à sa barre, lors de la ridicule dénonciation de Viard, que je couvris de confusion (1); je sollicitais d'y

(1) « Les Jacobins, dit M. Lacretelle dans le Précis historique de la révolution française, crurent avoir trouvé une oc»casion de perdre madame Roland. Un dénonciateur se pré>> senta contre elle; mais son habileté ne répondit point à son impudence. Chabot, avec qui il s'était concerté, l'intro» duisit devant la Convention, et prépara les esprits à la dé» couverte du plus affreux complot. L'accusation était grave >> en effet il ne s'agissait de rien moins que d'une correspon» dance entretenue par madame Roland avec le ministère britannique. Elle fut mandée à la barre pour être confrontée » avec son accusateur. Elle parut avec l'air le plus serein. » Elle confondit le calomniateur par des questions imprévues; » elle le fit se contredire, se troubler, et presque se rétracter. » Les Jacobins s'efforçaient en vain de soutenir la contenance » de leur stupide agent: tout ce qu'ils faisaient pour l'aider >> les associait à sa confusion. »>

[ocr errors]

Las d'une scène qui devenait humiliante pour ceux qui l'avaient concertée, Robespierre se lève et dit: Que le seul homme qui lui paraît coupable est celui qui vient de répondre. On l'arrête. Madame Roland est admise aux honneurs de la séance. Les membres de l'Assemblée applaudissent. Les tribunes, qui attendaient un autre dénoûment, restent stupéfaites; et Marat, qui d'un geste les montre aux députés, s'écrie : Voyez le silence du public, il est plus sage que vous.

Les détails les plus intéressans d'une séance dans laquelle madame Roland que ses ennemis voulaient perdre, confondit ses ennemis, se retrouvent dans l'extrait du Moniteur qu'on a joint aux Pièces (L). (Note des nouveaux éditeurs.}

paraître en ce moment, et j'annonçais les dangers de Roland liés à la chose publique; mais les données n'étaient plus les mêmes, quoique mes droits fussent égaux; autrefois invitée, aujourd'hui suppliante, comment obtenir de semblables succès? Rose se charge de ma lettre, comprend le sujet de mon impatience; il part pour la remettre au bureau et en presser la lecture. Une heure se passe. Je me promenais à grands pas ; je portais mes regards dans la salle, chaque fois qu'on en ouvrait la porte; mais elle était aussitôt refermée par la garde : un bruit affreux se faisait entendre par intervalles: Rose reparaît. «Eh bien! - Rien encore; il règne dans l'Assemblée un tumulte impossible à peindre; des pétitionnaires actuellement à la barre demandent l'arrestation des vingt-deux; je viens d'aider Rabaut à sortir sans être vu; on ne veut pas qu'il fasse le rapport de la commisson des douze: il a été menacé, plusieurs autres s'échappent; on ne sait qu'attendre.

- Qui donc préside en ce moment? — Hérault-Séchelles. —Ah! må lettre ne sera pas lue : faites-moi venir un député que je puisse entretenir. —Qui? -Eh? j'en connais beaucoup; mais je n'estime que les proscrits; dites à Vergniaud que je le demande. » Rose va le chercher et le prévenir : il paraît après un fort long temps; nous causons durant un demiquart d'heure ; il retourne au bureau, revient et me dit : « Dans l'état où est l'Assemblée, je ne puis vous flatter, et vous ne devez guère espérer; si vous êtes

admise à la barre, vous pourrez, comme femme, obtenir un peu plus de faveur; mais la Convention ne peut plus rien de bien. - Elle pourrait tout, m'écriai-je, car la majorité de Paris ne demande qu'à savoir ce qu'elle doit faire; si je suis admise, j'oserai dire ce que vous-même ne pouvez exprimer sans qu'on vous accuse; je ne crains rien au monde, et si je ne sauve pas Roland, j'exprimerai avec force des vérités qui ne seront pas inutiles à la République prévenez vos dignes collègues; un élan de courage peut faire un grand effet, et sera du moins d'un grand exemple. » J'étais effectivement dans cette disposition d'âme qui rend éloquent : pénétrée d'indignation, au-dessus de toute crainte, enflammée pour mon pays dont je voyais la ruine, tout ce que j'aime au monde exposé aux derniers dangers, sentant fortement, m'exprimant avec facilité, trop fière pour ne pas le faire avec noblesse, j'avais les plus grands intérêts à traiter, quelques moyens pour les défendre, et j'étais dans une situation unique pour le faire avec avantage. «Mais dans tous les cas, votre lettre ne peut être lue d'une heure et demie d'ici; on va discuter un projet de décret en six articles: des pétitionnaires, députés par des sections, attendent à la barre; voyez quelle attente! — Je vais donc chez moi savoir ce qui s'y est passé; je reviens ensuite; avertissez nos amis. Ils sont absens pour la plupart; ils se montrent courageusement quand ils sont ici, mais ils manquent d'assi

duité. C'est malheureusement trop vrai! » Je quitte Vergniaud, je vole chez Louvet; j'écris un billet destiné à l'instruire de ce qui est et de ce que je prévois; je me jette dans un fiacre que je fais tourner vers mon logis; ses maudits chevaux n'avançaient point à mon gré : bientôt nous rencontrons des bataillons dont la marche nous arrête ; je m'élance hors de la voiture, je paye le cocher, je fends les rangs, je m'échappe; c'était vers le Louvre : j'accours dans ma maison, rue de la Harpe, vis-à-vis Saint-Côme. Le portier me dit tout bas que Roland est monté chez le propriétaire, au fond de la cour; je m'y rends; j'étais en nage; on m'apporte un verre de vin, et l'on m'apprend que le porteur du mandat d'arrêt étant revenu, sans avoir pu se faire entendre au Conseil, Roland avait continué de protester contre ses ordres; que ces bonnes gens avaient demandé sa protestation écrite, et s'étaient retirés ; d'après quoi Roland était sorti de la maison par les derrières. J'en fais autant pour aller le trouver, l'instruire de ce que j'ai tenté et de ce que je me propose de suivre. Je me rends dans une maison où il n'était pas ; je vais dans une autre où je le trouve : à la solitude des rues, d'ailleurs illuminées, je présume qu'il est tard, et je ne me dispose pas moins à retourner à la Convention. J'aurais ignoré la rétraite de Roland et parlé comme dans le premier cas; j'allais repartir à pied, sans m'apercevoir qu'il est plus de dix heures, que je suis sortie ce jour-là

« PreviousContinue »