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DES NOTICES HISTORIQUES

SUR

LA RÉVOLUTION.

PREMIÈRE DÉTENTION.

Aujourd'hui sur le trône, et demain dans les fers;

C'EST le sort de la vertu dans les temps de révolutions. Après les premiers mouvemens d'un peuple lassé des abus dont il était vexé, les hommes sages qui l'ont éclairé sur ses droits, ou qui l'ont aidé à les reconquérir, sont appelés dans les places: mais ils ne peuvent les occuper long-temps; car les ambitieux, ardens à profiter des circonstances, parviennent bientôt, en flattant le peuple, à l'égarer et l'indisposer contre ses véritables défenseurs, afin de se rendre eux-mêmes puissans et considérés. Telle a dû être la marche des choses, notamment depuis le 10 août. Peut-être, un jour, les reprendrai - je de plus loin, pour tracer ce que ma situation m'a donné

la faculté de connaître; je n'ai pour objet, en ce moment, que de consigner sur le papier les circonstances de mon arrestation; c'est l'espèce d'amusement du solitaire qui dépeint ce qui lui est propre et exprime ce qu'il sent.

La retraite de Roland n'avait point apaisé ses ennemis. Il avait quitté le ministère malgré ses résolutions d'y conjurer l'orage et braver tous les dangers, parce que l'état du Conseil bien développé, parce que sa faiblesse, toujours croissante et singulièrement caractérisée vers le milieu de janvier, ne lui présentaient plus la perspective que de fautes et de sottises dont il faudrait partager la honte; il ne pouvait même obtenir de faire consigner, sur le registre des délibérations, son opinion ou ses motifs lorsqu'ils étaient contraires aux décisions de la majorité.

Ainsi, à dater du jour de ce pitoyable arrêté, relatif à la pièce de l'Ami des Lois, qu'il ne voulut point signer, parce que la seconde partie en était au moins ridicule, il ne signa plus aucune délibération du Conseil. C'était le 15 janvier (1). La Convention ne lui offrait rien d'encourageant; son nom seul y était devenu un sujet de trouble et de division; il n'était plus permis de l'y prononcer sans rumeur. Lorsqu'un membre voulait répondre aux inculpa

(1) Roland donna sa démission sept jours après, le 22 jan(Note des nouveaux éditeurs.

vier 1795.

tions odieuses, gratuitement faites au ministre, il était traité de factieux et condamné au silence. Cependant Pache accumulait dans le département de la guerre toutes les fautes que sa faiblesse et son dévouement aux Jacobins laissaient commettre à l'ineptie ou à la perfidie et à l'audace de ses agens ; et la Convention ne pouvait congédier Pache : car dès qu'il s'élevait une voix contre lui, les aboyeurs rétorquaient de Roland. Ainsi la prolongation de sa lutte courageuse dans le ministère ne pouvait plus arrêter les fautes du Conseil, et elle ajoutait aux motifs de désordre dans la Convention. Il donna donc sa démission (1). La preuve qu'elle était né

(1) La faiblesse des amis qu'il avait dans l'Assemblée l'y détermina bien plus encore que la haine de ses ennemis; il ne s'éleva pas, dans la Convention, une seule voix qui prît sa défense contre les accusations les plus absurdes. « On semblait même, dit Roland dans l'écrit que nous avons déjà cité plus haut, page 23, on semblait avoir quelque crainte ou quelque honte de laisser paraître son indignation. Les uns craignaient les poignards dont j'étais moi-même menacé à chaque instant; les autres, se croyant quelque popularité, craignaient de la compromettre: on prétextait quelquefois la nécessité de conserver son influence pour des circonstances importantes; quelquefois aussi on affectait de dire, et on le disait de bonne foi: Qu'importe? il faut les laisser dire; il ne faut pas les irriter; ils se font connaître; ils s'usent. Il n'est pas d'ineptie ou de faiblesse dont je n'aie été témoin et patient.

» J'ai honte de le dire, et j'en ai le cœur nâvré, je n'ai pas

cessaire, c'est que la saine partie du corps législatif, toute pénétrée qu'elle fût des vertus et des talens du ministre calomnié, n'osa pas faire la moindre observation à cet égard. Ce fut, sans contredit, une faiblesse ; elle avait besoin d'un homme juste et ferme au ministère de l'intérieur; c'était le meilleur appui qu'elle pût se conserver ; et il fallait, en le perdant, qu'elle subît le joug des exagérés qui cherchaient à élever et soutenir une autorité rivale de la représentation nationale.

Roland contenait une Commune usurpatrice; Roland imprimait à tous les corps administratifs un mouvement uniforme, harmonique et régulier : il veillait à l'approvisionnement de la grande famille; il avait su rétablir la paix dans tous les départemens; il y inspirait cet ordre qui naît de la justice, cette confiance qu'entretiennent une administration active, une correspondance affectueuse et la commu

un homme à citer; tous déplorant le sort des choses, voyant l'avenir sous des couleurs telles que pouvaient les faire peindre ou présager les circonstances, mais trop attérés du présent, ne trouvaient plus dans leur âme aucun ressort : ce n'était que la pâleur de la frayeur et l'abandon du désespoir. »

De pareils traits peignent les hommes et les événemens. On retrouve en entier, dans les Éclaircissemens historiques (K), l'écrit intéressant dont ce passage est extrait, et que son étendue ne nous permettait pas de placer en note.

(Note des nouveaux éditeurs.)

nication des lumières. Il aurait donc fallu soutenir Roland; mais, puisque la faiblesse en ôtait la faculté, lui, qui connaissait bien cette faiblesse, n'avait plus qu'à se retirer.

Le timide Garat, aimable homme de société,. homme de lettres médiocre et détestable administrateur (1); Garat, dont le choix pour le ministère de la justice prouvait la disette de sujets capables, disette dont on ne se fait pas une idée, et que connaîtront seuls ceux qui, occupant de grandes places, ont à chercher des coopérateurs; Garat n'eut même pas l'esprit de rester dans le département où il y a le moins à faire, où sa pauvre santé, sa paresse habituelle et ses difficultés pour le travail, devaient être

(1) De semblables reproches se détruisent par leur exagération même. Madame Roland était prisonnière, Roland était proscrit les plus honorables caractères ne sauraient se placer toujours au-dessus des passions humaines.

L'ami de madame Roland, le second éditeur de ses Mémoires, M. Champagneux, a pris lui-même, dans la note ci-dessous, le soin d'adoucir l'injustice de ces reproches ; M. Garat y répond bien mieux encore dans ses Mémoires. (Note des nouveaux éditeurs.)

Note de M. C. - Ce fut moins Garat qui ambitionnait alors le ministère, de l'intérieur, que Gohier, qui fit tous ses efforts pour l'y pousser et se faire adjuger le ministère de la justice. Je peux même assurer que le portefeuille de l'intérieur étant resté pendant un mois entre les mains de Garat, avant qu'il y eût été nommé définitivement; je l'ai souvent entendu gémir sur le fardeau qu'on voulait lui imposer; mais Gohier ne lui permit pas de s'y soustraire, et Garat fut victime de l'ambition de son successeur au ministère de la justice.

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