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reaux trois ou quatre personnes d'un bon esprit, qu'il fit diriger par celle d'entr'elles qui avait le plus de sensibilité dans l'âme, d'austérité dans les principes, de douceur dans le style, pour suivre cette correspondance patriotique, et faire l'envoi des imprimés; il nourrit souvent cette correspondance de ses propres circulaires dictées par les circonstances, et respirant toujours cette moralité, ce charme d'affection qui gagne les cœurs. On ne peut se figurer l'excellent effet qui en est résulté: aussi les troubles de toute espèce s'apaisèrent; les corps administratifs opérèrent avec régularité; cinq à six cents sociétés, des curés en assez grand nombre, se vouèrent avec un zèle touchant à répandre l'instruction, à intéresser et lier à la chose publique des hommes jusque-là livrés à leurs travaux, mais abandonnés à leur ignorance, et prêts à recevoir des fers, plus qu'à maintenir une liberté dont ils ne connaissaient ni l'étendue, ni les limites, ni les droits, ni les devoirs.

Cette correspondance patriotique est un monument précieux qui atteste également la pureté des principes, la vigilance éclairée du ministre, la bonne volonté d'un grand nombre de sages citoyens, et les fruits admirables de la sagesse, du civisme et de la -raison.

Les hommes soupçonneux et jaloux virent beaucoup moins, dans la chose et dans ses effets, le triomphe de la liberté, le maintien de la paix, l'af

fermissement de la république, que la gloire et le crédit qui pouvaient en résulter pour le premier coopérateur. Dès lors Roland fut représenté comme un homme dangereux qui avait des bureaux d'esprit public; bientôt, comme un corrupteur de l'opinion, un ambitieux de la suprême puissance; enfin comme un conspirateur.

Il ne fallait que lire ses écrits, visiter sa correspondance les départemens qui les recevaient lui répondaient par des actions de grâces; mais les brigands de Paris calomniant toujours et ne prouvant jamais, élevèrent, à l'aide de mille mouvemens, une sorte de défiance et d'opinion populaire que les Jacobins soutenaient de tout leur pouvoir; car ils n'étaient plus régis que par Danton, Robespierre et Marat.....

Qu'est-ce, par exemple, que ce fameux bureau d'esprit public dont ils ont fait un si grand crime à Roland? Je suis tentée de répéter aussi cette question à ceux-là mêmes qui la font; je ne conçois pas de chimère comparable à celle de ce nom.

Roland, redevenu ministre après le 10 août, n'imagina rien de plus pressant que de répandre un même esprit dans les administrations, afin de leur faire prendre une marche uniforme et d'assurer les succès de la Révolution; il adressa aux corps administratifs une circulaire tendante à ce but, et qui produisit un bon effet. L'Assemblée législative sentit le besoin de l'étendre, et, à défaut de l'instruc

tion publique, non encore organisée, elle voulut que cent mille livres fussent mises à la disposition du ministre de l'intérieur, pour répandre des écrits utiles dont elle lui abandonna le choix.

Roland, économe et sévère, s'occupa d'un emploi bien entendu de ces fonds; il profita des papiers publics alors en crédit, et les fit expédier gratis aux sociétés populaires, aux curés et aux particuliers zélés qui s'annonçaient pour désirer de concourir au bien de l'État. Quelques-unes de ces sociétés, plusieurs de ces particuliers, voyant le gouvernement s'intéresser à leur instruction, prirent confiance et s'adressèrent quelquefois au ministre pour lui faire des demandes de tels écrits ou pièces dont l'impression avait été ordonnée par la Convention, et qui ne leur étaient pas parvenus. Le ministre, empressé de les satisfaire, affecta à l'un de ses bureaux le soin de répondre à ces sortes de lettres, et de faire les expéditions en conséquence. Voilà à quoi se réduit tout ce terrible échafaudage dont on a fait tant de bruit, et qui n'est que la simple exécution des devoirs imposés par un décret. Roland a été si réservé, qu'au bout de six mois il n'avait dépensé, sur les cent mille francs mis à sa disposition, qu'environ trente-quatre mille livres; et il en a donné le compte rigoureux (1), avec l'énoncé des ouvrages

(1) Le compte de ce qu'avait coûté l'esprit public à cette époque nous paraissait curieux à conserver. Nous savions

répandus ou acquis. Mais comme Roland, par sa place et dans les circonstances où il se trouvait, faisait quelquefois lui-même des instructions qu'il répandait par cette voie ; comme ses écrits respiraient, en général, une philosophie douce et une véritable philantropie, on craignit que la considération qui en résulterait pour sa personne ne le rendît trop puissant.

Il s'ensuivait seulement qu'il inspirait une grande confiance, laquelle facilitait beaucoup les opérations administratives et produisait un grand bien; mais en supposant qu'il fallût empêcher qu'il n'acquît trop d'estime ou trop d'ascendant, il n'y avait autre chose à faire qu'à rapporter le décret, et à lui interdire tout envoi qui ne tiendrait pas nécessairement à la correspondance avec les corps administratifs. C'est que ce n'était pas l'amour de la chose, mais la jalousie contre l'individu, qui faisait fermenter les esprits; aussi l'on commença de crier, de l'accuser, de le dénoncer vaguement, et sans montrer le but; car s'il l'eût jugé, il eût été le premier à apporter remède au mal redouté. Il ne songea qu'à se défendre, d'abord en continuant de bien faire, ensuite en expliquant quelquefois sa conduite, en réfutant

qu'il avait été publié au bas d'une longue affiche, suivant l'usage du temps; nos recherches nous l'ont procuré: on le trouvera parmi les Pièces (I).

(Note des nouveaux éditeurs.)

ses calomniateurs. Ses réponses victorieuses aigrirent encore l'envie, on ne parla plus de lui que comme d'un ennemi public; il s'établit une véritable lutte entre le fonctionnaire courageux qui restait au gouvernail malgré la tempête, et les jaloux trompeurs ou trompés qui soulevaient les flots pour l'engloutir. Il tint ferme tant qu'il espéra que ce serait utilement; mais la faiblesse et l'insuffisance du parti des sages ayant été démontrées dans une grande circonstance, il se retira.

Ses comptes firent frémir ses ennemis; ils empêchèrent, non qu'on les examinât, mais qu'on en fît le rapport à l'Assemblée; les calomniateurs en campagne ne songèrent plus qu'à justifier leurs mensonges par la perte de celui qui en était l'objet : de-là leurs efforts redoublés, la persécution ouverte, dirigée jusque sur moi; et au défaut de raisons valables, l'accusation tant répétée de la corruption de l'esprit public, de la formation d'un bureau à cet effet; ma prétendue complicité à cet égard : le tout sans citer un fait, un écrit, une phrase repréhensible. -Et la gloire de Roland, dans la postérité, sera attachée en partie aux sages écrits sortis de sa plume!

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