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sairement soumise à l'autorité municipale qui ne connaissait aucun frein. Dans cet état de choses, j'aurais mieux aimé que Roland consacrât ses talens à sa patrie comme député, qu'en qualité de membre d'un Conseil sans énergie, et de ministre d'un gouvernement sans action. Je ne dissimulai pas cette façon de penser à quelques personnes faites pour l'apprécier; car le vulgaire n'aurait rien compris à la préférence d'une existence modeste sur le traitement et l'entourage d'une place ministérielle; et faute d'y voir clair, il aurait fait de sottes suppositions.

Le département de la Somme, que Roland avait long-temps habité, le nomma son représentant : cette nomination excita des regrets presqu'universels; on trouvait absurde et fâcheux de voir ôter du gouvernail un homme intègre, éclairé, courageux, difficile à remplacer, pour le faire passer dans une Assemblée où tant d'autres pouvaient voter utilement sans une égale capacité. Roland n'avait point à hésiter; il écrivit à l'Assemblée en conséquence, en la priant de nommer à sa place, et lui indiquant la personne qu'il croyait pouvoir lui succéder. L'agitation fut extrême à cette nouvelle, on se récria de toutes parts, et l'on opina pour qu'il fût invité à rester au ministère. La Convention s'était déjà formée du grand nombre de députés à l'Assemblée législative qui s'y trouvaient nommés, et de ceux des députés les premiers arrivés, ou ceux-ci prenaient place dans l'Assemblée législative; c'est ce que je ne

me rappelle pas parfaitement à ce moment où je n'ai près de moi aucune espèce de renseignemens : mais Danton était présent (1); il s'éleva avec beaucoup de chaleur contre cette invitation; son impétuosité trahit sa haine, lui fit dire beaucoup de choses ridicules, et entr'autres, qu'il faudrait donc aussi mʼadresser l'invitation, parce que je n'étais pas inutile au ministère de Roland. Les murmures de la désapprobation repoussèrent ces propos envieux; mais le décret ne fut pas rendu, quoique le désir général fût bien marqué; la démission ne fut pas non plus acceptée, et le ministre demeura dans la possibilité de choisir encore. La foule des députés se porta chez lui pour l'engager à ne pas quitter le ministère ; on le pressa vivement comme pour un sacrifice qu'il devait à son pays; on lui représenta que la Convention une fois complète ferait prendre aux affaires une marche grande et décisive, dans laquelle son caractère et son activité seraient nécessaires, et par laquelle il serait soutenu. Deux jours s'étaient passés dans ces sollicitations, lorsqu'on vint lui apprendre que sa nomination était mauvaise, parce qu'elle avait été faite en remplacement d'une autre que l'on

(1) Je me souviens que, pendant plus d'un mois, il continuait d'agir au Conseil, en allant voter à l'Assemblée : cette cumulation de pouvoirs paraissait très-condamnable à Roland, qui, durant la dernière quinzaine de cette allure de Danton, s'abstint d'aller au Conseil, influencé par un homme qui ne devait plus s'y trouver.

croyait nulle et qui ne l'était point; qu'ainsi il n'avait point de raison de quitter le ministère.

Il se détermina donc à rester; il l'écrivit à l'Assemblée avec l'accent d'un courage et d'une fierté qui fut couvert des applaudissemens de la majorité, et fit pâlir ses ennemis (1). Il n'y eut plus de relâche dans le parti Danton contre lui: chaque jour c'étaient de nouvelles attaques; le journal de Marat, des pamphlets ad hoc, des dénonciations aux Jacobins, répétèrent sans cesse des accusations, des calomnies plus bêtes ou plus atroces les unes que les autres.

(1) « Je dois rester au ministère, dit Roland dans cette » lettre, puisque la très-grande majorité de la Convention a » manifesté ses intentions à cet égard; le vœu de représen» tans des 83 départemens est une loi nouvelle et supérieure » à la volonté encore douteuse des électeurs d'un seul dé» partement.

» J'y reste parce qu'il y a des dangers; je les brave parce » que je n'en crains aucun dès qu'il s'agit de servir ma pa>> trie. Sans doute beaucoup de citoyens pourraient aussi » bien et mieux peut-être remplir les mêmes fonctions; mais » la confiance m'a désigné, elle me retient; j'obéis à sa » voix et je serai digne d'elle. Je sacrifie l'honneur bien grand à mes yeux de coopérer à la formation d'un gouver» nement qui doit être le code du monde; je renonce au >> repos que j'ai pu mériter et qui serait doux à ma vieillesse. » J'achève le sacrifice, je me consacre tout entier, et je me » dévoue jusqu'à la mort.

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» Je sais quelles tempêtes vont se former........... Des hommes » ardens, peut-être égarés, prenant leurs passions pour

Mais la persévérance et l'effronterie dans ce genre ont toujours des succès auprès du peuple naturellement défiant et léger. On alla même jusqu'à lui faire un crime de ce qui aurait dû lui mériter des éloges, et l'on eut l'art d'inspirer des craintes à d'honnêtes gens timides, par celle de ses sollicitudes qui concourait davantage au salut de la république; je veux parler du soin d'éclairer l'opinion. Il ne faut pas être profond politique pour savoir que l'opinion fait la force des gouvernemens ; aussi toute la différence qui existe à cet égard entre une admi

» vertus, et croyant que la liberté ne peut être bien servie » que par eux, ou voulant s'en réserver les premiers avanta» ges, sèment les défiances contre toutes les autorités qu'ils » n'ont pas créées, dénoncent toutes les personnes qui ne » sont pas de leur choix, ne parlent que de trahison, ne veu» lent que des mouvemens, paralysent le glaive de la loi » pour y substituer le poignard des proscriptions. Ils se font » un droit de leur audace, un rempart de la terreur qu'ils » essaient d'inspirer; ils veulent de l'autorité, du pouvoir, » dont ils se croient seuls capables de bien user : ils traîne>> raient à l'anarchie, à la dissolution, l'empire assez mal» heureux pour n'avoir pas de citoyens capables de les recon>> naître et de les arrêter.

» Telle a été la marche des usurpateurs depuis Sylla » jusqu'à Rienzi; tels sont les dangers qui suivent les révo>>lutions : ils n'ont rien de particulier pour nous, ils tiennent ⚫ à la nature des choses: il faut les connaître, les observer, >> les combattre : voilà le devoir des fondateurs de la liberté. »

(Note des nouveaux éditears.)

nistration tyrannique et celle qui prend la justice pour base, c'est que la première n'est occupée que de resserrer les lumières, de contraindre la vérité, tandis que l'autre s'impose pour loi de les répandre.

L'Assemblée avait bien jugé que les événemens du 10 août produiraient des impressions diverses, suivant les préjugés ou les intérêts des individus, et la manière dont ils seraient présentés : elle fit dresser un récit des faits, décréta son impression, l'appuya par la publication de toutes les pièces qui justifiaient de leur exactitude, chargea le ministre de l'intérieur de les expédier par toute la France, et lui enjoignit en outre de faire publier des écrits propres à remplir le même but. Roland sentit que, dans cette circonstance, l'art de répandre avait besoin d'être perfectionné, et qu'il s'agissait de former un courant de lumières qui suppléât, en quelque sorte, à l'instruction publique toujours négligée. Il s'assura dans les départemens, par les informations et les recherches, d'un petit nombre d'hommes sages et zélés qu'on pût regarder comme les fidèles distributeurs des écrits qui leur seraient envoyés; il se fit une règle de répondre à tout, d'entretenir correspondance avec les sociétés populaires, les curés et les particuliers qui s'adresseraient à lui; il envoya aux sociétés une circulaire, où il les rappelait à l'esprit de leur institution, au soin fraternel d'instruire et de s'éclairer, dont elles tendaient trop à s'écarter pour délibérer et gouverner: il choisit dans ses bu

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