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l'envie de le voir, et lui dis de me l'amener; car il faut connaître les monstres, et j'étais curieuse de savoir si c'était une tête désorganisée ou un mannequin bien soufflé (1). Danton s'en défendit comme d'une chose bien inutile, même désagréable, puis qu'elle ne m'offrirait qu'un original qui ne répondrait à rien ; au ton de l'excuse, je jugeai qu'il n'aurait point égard à cette fantaisie, lors même que j'aurais insisté; je n'eus pas l'air d'y avoir sérieusement songé.

Le Conseil trouva que les manuscrits de Marat devaient être remis à Danton qui saurait bien s'arranger avec lui: c'était couper le nœud gordien au lieu de le dénouer. Le ministre de l'intérieur ne devait point employer les fonds publics à solder un extravagant; la prudence exigeait qu'il ne s'en fît pas un ennemi; le refus pur et simple du Conseil aurait tout concilié.

Commettre ce soin à Danton, c'était lui donner un nouveau moyen de s'attacher ce chien enragé,

(1) Il existe un morceau rare et curieux sur Marat, c'est son portrait par Fabre-d'Églantine: ce portrait est un éloge! On y vante la grâce de Marat, la bonté de son naturel, la déli– catesse de son goût, sa sensibilitė naïve, son invincible courage; et ce qui donne beaucoup de prix à ce morceau, c'est qu'on y retrouve les défauts, mais aussi le talent de l'auteur du Philinte. Nous donnerons cette brochure en publiant les Mémoires où figure Charlotte Corday.

(Note des nouveaux éditeurs. )

de le faire courir et mordre ceux contre lesquels il lui plairait de l'exciter. Trois semaines et plus s'étaient écoulées, les journées de septembre étaient passées; Marat avait eu l'impudence d'afficher la demande des quinze mille livres à d'Orléans, en se plaignant du ministre qui avait eu l'incivisme de ne pas les lui donner, lorsqu'il fit un placard contre moi nommément. Je n'y fus pas trompée. «Voilà, dis-je à mon mari, du Danton tout pur : il veut vous attaquer, il commence par rôder autour de vous, puis, avec son esprit, il a la bêtise d'imaginer que je serai sensible à ses sottises, que je prendrai la plume pour y répondre, qu'il aura le plaisir de traduire une femme sur la scène, et de jeter ainsi du ridicule sur l'homme public à qui je suis attachée. Ces gens-là peuvent avoir quelque opinion de mes facultés, mais ils ne sauraient juger mon âme; ils n'ont qu'à me calomnier tant qu'il leur plaira, ils ne me feront pas bouger, ni me plaindre, ni m'en

soucier. »

Roland fit son rapport sur l'état de Paris, le 22 septembre (1): il fut exact et vigoureux; c'est dire qu'il peignait les désordres qui y avaient été commis, et les inconvéniens de laisser plus long-temps les autorités constituées dans l'insubordination la plus

(1) Voyez un extrait du rapport dans les Pièces officielles (H). (Note des nouveaux éditeurs.)

grande, dans l'exercice de l'arbitraire le plus dangereux (1).

Il parla du zèle de la commune du 10, et de l'utilité dont elle avait été pour la révolution de ce

(1) La lettre suivante donnera une idée du caractère de Roland et de son intrépide constance à désigner et à poursuivre les hommes qui excitaient des troubles et provoquaient les massacres dans Paris. Le comité de sûreté générale de la Convention écrivit à Roland, le 10 novembre 1792, sur la fermeture des barrières de Paris. On voulait s'opposer, par cette mesure, à la sortie d'un grand nombre de citoyens, qui paraissaient chercher à s'éloigner de la capitale. La lettre du comité arrive à deux heures du matin. Roland n'attend pas que les bureaux soient ouverts pour commander une réponse au comité; il prend la plume, et son indignation le fait s'exprimer ainsi :

par

« J'ai reçu, à deux heures après minuit, la lettre laquelle vous m'annoncez que des personnes effrayées s'enfuient de Paris, et que ce fait, contraire à la tranquillité publique, doit être arrêté par la fermeture des barrières. Assurément, depuis un mois, beaucoup de personnes, indépendantes par leur état et leur fortune, abandonnent une ville où l'on ne parle chaque jour que de renouveler des proscriptions dont le souvenir fait horreur et dont l'attente est affreuse; assurément, depuis bien des jours, vous avez reçu et je vous ai communiqué moi-même de nombreux avis sur la fermentation qui règne, sur les projets de massacre et la prédication du meurtre; assurément la marche irrégulière de quelques autorités, les arrêtés incendiaires de plusieurs sections, la doctrine sanguinaire professée dans des clubs, enfin l'arrivée des canons qui étaient à Saint-Denis, et qu'on a

jour; mais il fit voir que l'usage prolongé des moyens révolutionnaires produisait exactement le contraire de ce qu'on espérait obtenir par eux, puisqu'on ne détruisait la tyrannie que pour faire régner la justice

fait venir hier pour les répartir dans les sections, et cela sur la demande particulière de celle des Gravilliers, dont on connaît les indécentes délibérations, assurément, dis-je, toutes ces choses doivent effrayer les individus paisibles qui n'ont point oublié la stupeur dans laquelle des milliers d'hommes ont laissé une poignée de brigands dévaster les prisons et déshonorer la France aux fameux jours de septembre.

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Qu'y a-t-il donc d'étonnant que l'on fuie ? mais n'est-ce pas le comble de l'audace ou de l'aveuglement que de dénoncer cette fuite comme contraire à l'ordre public, et de proposer de fermer les barrières pour la tranquillité de Paris! Grand dieu! les assassins en sont-ils donc au point d'oser se servir de l'effet même de leurs trames pour en assurer les derniers succès! je n'en doute plus, et je ne vois de projets sinistres que dans ceux que propose cette mesure atroce. Fermer les barrières d'une ville agitée, d'où l'ordre et la sûreté sont bannis, pour mieux retenir et choisir les victimes qu'on se propose d'immoler!.... L'indignation m'enflamme à cette idée, quand j'y vois joindre l'impudeur d'offrir comme suspecte cette émigration si naturelle! Eh! laissez fuir ceux qui ont peur; mettez-vous entre les assassins pour arrêter leurs bras sanguinaires, et ces mêmes victimes dont le sang rejaillira sur vous-mêmes qui avez la puissance, si vous n'empêchez qu'on les immole. Je sais que la commune et Santerre assurent que Paris est tranquille; je sais qu'ils l'assuraient aussi au 2 septembre; je sais que je fis alors de vaines réquisitions: je n'ai pas plus de pouvoir aujourd'hui

et l'ordre, également incompatibles avec l'anarchie; et il démontrait la justice et la difficulté d'obtenir des comptes de cette commune à laquelle il en avait inutilement demandé. L'Assemblée, saine par l'esprit, mais incapable et faible par caractère, applaudit, fit imprimer, ordonna peu de chose et ne rectifia rien. Il n'est guère possible d'imaginer une situation plus pénible que celle d'un homme équi– table et ferme, à la tête d'une grande administration dans laquelle il paraît avoir une puissance considérable, et se charge effectivement d'une grande responsabilité; témoin journalier d'abus révoltans dont il n'a pourtant que la dénonciation, et sur lesquels l'autorité législative qu'il éclaire ne sait ou n'ose prendre un parti. Casser la commune, ordonner l'élection, dans les règles, d'une nouvelle municipalité, organiser la force publique et lui faire nommer un commandant par les sections, étaient véritablement les seules mesures propres à rétablir dans Paris l'ordre, sans lequel on y citerait vainement les lois, et faute duquel une Convention y serait néces

qu'alors: la même faction existe, les mêmes malheurs nous menacent; j'userai de toutes mes facultés pour les conjurer; mais je ne puis guère que donner un grand exemple en désignant et bravant jusqu'au dernier instant mes propres bourreaux. C'est à la Convention, c'est à vous, qu'elle a investis de grands pouvoirs, à faire davantage pour le salut public, et c'est vous qui serez déshonorés si vous ne l'opérez pas. »

(M. C.)

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