Page images
PDF
EPUB

L'histoire conservera sans doute l'infâme circulaire (1) du comité de surveillance de la commune, renfermant l'apologie des journées de septembre, et l'invitation d'en célébrer de semblables par toute la France; circulaire expédiée avec profusion dans les bureaux et sous le contre-seing du ministre de la justice (2).

Les circonstances faisant juger l'inconvénient d'amener à Paris les prisonniers d'Orléans, dont la translation avait été ordonnée, et qui déjà étaient en chemin, le ministre de l'intérieur donna des ordres, d'après l'avis du Conseil, pour les conduire à Versailles. On envoya une nombreuse escorte; des hommes qui jouaient l'horreur pour les assas→ sinats de Paris, obtinrent, sous ce manteau, d'en faire partie, et dirigèrent la boucherie qui s'exécuta dans les charrettes, à l'arrivée des prisonniers à Versailles (3).

(1) Pieces officielles (F).

(2) Ce ministre était Danton; l'accusation terrible portée contre lui dans ce passage, et dans ceux qui précèdent, n'est jusqu'à présent démentie par aucun écrivain, et se trouve répétée par plusieurs. Quelques-uns l'ont fortifiée par des révélations importantes. A ce sujet, nous citerons de nouveau dans les notes la Galerie historique des contemporains, et l'article très-remarquable qu'elle contient sur Danton (G).

(Note des nouveaux éditeurs.) (3) L'idée d'amener à Paris les prisonniers d'Orléans avait été inspirée aux assommeurs des prisons par quelques scélé

L'or, l'argent, les portefeuilles, les bijoux et autres effets précieux, en grande quantité dans les prisons à cette époque, par la condition et la richesse de ceux qui les peuplaient, furent pillés comme on peut le croire.

rats, qui ne pouvaient accomplir leurs projets de rapines qu'au milieu des meurtres. L'Assemblée législative, qui craignit de ne pouvoir arrêter ce nouveau mouvement, voulut le régulariser. Elle rendit un décret en conséquence. Fournier (*) se mit à la tête des milliers d'assassins qui prirent la route d'Orléans. Cet homme, à face livide et sinistre, avait réussi, avec ses moustaches et sa triple ceinture de pistolets, à inspirer l'épouvante à bien des gens. Il vint dans mon bureau m'apporter, dans cet appareil, le décret sur la translation des prisonniers ; mais comme il s'y présenta en annonçant des prétentions à l'honneur et à des procédés humains et délicats, il perdit tout le prestige de ses moustaches et de ses pistolets. Je profitai de cet ascendant pour lui dire que si les prisonniers éprouvaient des violences, lui seul en serait coupable, parce qu'il avait tout empire sur sa troupe. Il promit de les amener sains et saufs à Paris. Il tint parole; mais il s'en crut dégagé à quatre lieues plus loin. Je ne pouvais me taire alors sur l'imprudence et la faiblesse des autorités à qui quelques effrontés scélérats donnaient la loi. Quand ma

(*) Ce Fournier, surnommé l'Américain, est le même homme qui, lors des affaires du Champ-de-Mars, avait tiré un coup de pistolet contre le général La Fayette (Voyez les notes du premier volume). Il fit paraître, en l'an III, une brochure dans laquelle il se débat sous l'accusation portée contre lui au sujet des prisonniers d'Orléans. Peut-être réimprimerons-nous cet écrit, lors de la publication des Mémoires qui ont parlé plus en détail des massacres de l'Orangerie.

(Note des nouveaux éditeurs.)

Des dilapidations bien plus considérables avaient été faites par les membres de la commuhe, après le 10 août, soit au château des Tuileries, soit dans les maisons royales des environs où elle envoya des commissaires, soit chez les particuliers, dits suspects, où elle avait fait apposer les scellés.

Elle avait reçu de grands dépôts; elle avait fait enlever des trésors; nul compte ne paraissait, et le ministre de l'intérieur ne pouvait obtenir les renseignemens qu'il avait droit d'exiger sur ces objets. Il se plaignit à l'Assemblée; il le fit aussi de la négligence du commandant-général dont il réclamait Inutilement de plus nombreux factionnaires pour le poste du Garde-meuble: cependant des brigands se permettaient tout; on avait, en plein jour, sur les boulevards et dans les marchés, arraché des montres, des boucles de souliers, des pendans d'oreilles. L'Assemblée, comme de coutume, trouva fort bon le zèle du ministre, le chargea de lui faire un rapport sur l'état de Paris, et ne prit point de mesures.

Le vol du Garde-meuble s'effectua; des millions passèrent aux mains de gens qui devaient s'en servir pour perpétuer l'anarchie, source de leur do

mination.

mémoire me ramène sur ces événemens, j'en frémis encore, et je déteste plus que jamais ces hommes temporiseurs et timides, qui croient apaiser les méchans en pactisant avec eux. Les plus grands maux de la Révolution sont dus à cette faiblesse. (M. C.)

Le jour qui s'ouvrit après ce vol important, d'Églantine vint chez moi à onze heures du matin ; d'Églantine, qui avait cessé d'y paraître lors des matines de septembre; d'Églantine qui, la dernière fois qu'il y était venu, m'avait dit, comme par un sentiment profond de l'état critique de la France : « Jamais les choses n'iront bien si l'on ne concentre les pouvoirs; il faut que le Conseil exécutif ait la dictature, et que ce soit son président qui l'exerce. » D'Églantine ne me trouva pas, je venais de sortir avec madame Pétion : il m'attend deux heures; je le trouve dans la cour à mon arrivée ; il monte avec moi sans que je l'engage à le faire ; il reste une heure et demie sans que je l'invite à s'asseoir; il se lamente, d'un ton bien hypocrite, sur le vol de cette nuit, qui prive la nation de véritables richesses: il demande si l'on n'a point quelques renseignemens sur les auteurs (1); il s'étonne de ce qu'on n'ait rien pressenti à cet égard; il parle ensuite de Robespierre, de Marat, qui avaient commencé de déchirer Roland et moi, comme de têtes chaudes qu'il fallait laisser aller, comme d'hommes bien intentionnés, très-zélés, qui s'effarouchaient de tout, mais des

(1) Madame Roland a négligé de dire que dans la nuit même où le vol eut lieu, son mari en fut averti; qu'il sut que des hommes puissans protégeaient les voleurs, et qu'il n'en remplit pas moins son devoir en les faisant poursuivre et condamner. (Note des nouveaux éditeurs, )

quels il ne fallait pas s'inquiéter. Je le laissai dire, parlai fort peu, et ne m'ouvris sur rien: il se retira; je ne l'ai plus jamais revu. Je n'ai encore pu bien savoir quel était le but de cette singulière visite: c'est au temps à l'apprendre.

J'ai dit que Marat commençait à nous déchirer. Il faut savoir que du moment où l'Assemblée avait mis des fonds à la disposition du ministre de l'intérieur pour impression d'écrits utiles, Marat qui, le lendemain du 10, avait fait enlever, par son peuple, quatre presses à l'imprimerie royale, pour s'indemniser de celles que la justice lui avait précédemment fait retirer; Marat écrivit à Roland pour lui demander quinze mille livres, afin de le mettre en état de publier d'excellentes choses. Roland répondit que la somme était trop considérable pour la délivrer sans connaître l'objet auquel elle devait servir; que si Marat voulait lui envoyer ses manuscrits, il ne s'attribuerait pas le droit de les juger, mais les soumettrait au Conseil pour savoir s'il convenait de les publier aux frais de la nation. Marat répliqua assez mal, comme il sait faire, et envoya un fatras de manuscrits dont la seule vue faisait peur : il y avait un traité des chaînes de l'esclavage; je ne sais quoi encore, marqué à son coin; c'est suffisant pour l'apprécier.

J'avais quelquefois douté que Marat fût un être subsistant; je fus persuadée alors qu'il n'était pas imaginaire : j'en parlai à Danton, je lui témoignai

« PreviousContinue »