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perdre; que les législateurs parlent, que le peuple écoute, et que le règne de la loi s'établisse.

Quant à moi qui brave également l'erreur et la malveillance, parce que je ne veux que le bien de tous, et que je dois le faciliter par tous les moyens qui sont en mon pouvoir, j'ai consacré ma vie à la justice, à la vérité : je leur serai fidèle.

Je reste à mon poste jusqu'à la mort, si j'y suis utile et qu'on me juge tel; je demande ma démission, et je la donne, si quelqu'un est reconnu pouvoir mieux l'occuper, ou que le silence des lois m'interdise toute action.

Le ministre de l'Intérieur,

ROLAND.

(Moniteur du 5 septembre 1792.)

Note (E), page 38.

A l'époque des horribles événemens de septembre, l'ennemi était à Verdun ; une foule d'hommes et de femmes venaient offrir à l'Assemblée des dons patriotiques; des volontaires traversaient le lieu de ses séances, en prêtant serment; enfin elle recevait des départemens un grand nombre d'adresses qui, toutes, contenaient des protestations de zèle et de dévouement. La lecture de ces adresses, ces députations, ces offrandes remplissent presque entièrement le récit des séances. L'Assemblée paraissait s'en occuper beaucoup, pour n'être point forcée de porter ailleurs son attention. Les colonnes du Moniteur ne présentent que quelques passages relatifs

aux massacres; mais ces passages, tels qu'ils sont, par ce qu'ils disent, et par ce qu'ils laissent entrevoir, sont encore infiniment précieux pour l'histoire. Ils donnent surtout une juste idée de la situation des esprits dans l'Assemblée, qui paraissait craindre par-dessus tout de laisser apercevoir sa terreur.

Séance du 2 septembre 1792, à 6 heures du soir.

Des officiers municipaux, admis à la barre, annoncent qu'il se fait des rassemblemens autour des prisons, et que le peuple veut en forcer les portes: ils prient l'Assemblée de délibérer sur-le-champ sur cet objet, en lui observant que le peuple est à la porte, et qu'il attend sa décision.

M. Bazire. Je demande que l'Assemblée envoie des commissaires pris dans son sein pour parler au peuple, et rétablir le calme.

M. Fauchet annonce que deux cents prêtres viennent d'être égorgés dans l'église des Carmes.

M. le président nomme les commissaires. Ce sont MM. Bazire, Dusaulx, François (de Neufchâteau), Isnard, Lequinio; M. Andrein se joint à eux....

Un citoyen de la garde nationale annonce que les commissaires de l'Assemblée n'ont pu parvenir à calmer le peuple, et qu'en conséquence il faut que l'Assemblée prenne une

autre mesure....

On lit une lettre de M. l'abbé Sicard, par laquelle il annonce qu'il vient d'être sauvé de la fureur du peuple par le dévouement généreux d'un horloger nommé Monot, qui a dit au peuple en ouvrant sa poitrine : Il faut que vous perciez ce sein pour arriver à celui de l'abbé Sicard. Sur la proposition de M. Lagrevolle, l'Assemblée nationale décrète que M. Monot a bien mérité de la patrie....

Un des deux commissaires envoyés pour visiter les environs du Temple, annonce que le calme règne dans l'intérieur et l'extérieur, et qu'il n'y a aucune apparence de rassemblement.

M. Dusaula. Les députés que vous avez envoyés pour calmer le peuple sont parvenus avec beaucoup de peine aux portes de l'Abbaye. Là nous avons essayé de nous faire entendre. Un de nous est monté sur une chaise; mais à peine eut-il prononcé quelques paroles, que sa voix fut couverte par des cris tumultueux. Un autre orateur, M. Bazire, a essayé de se faire écouter par un début adroit; mais quand le peuple vit qu'il ne parlait pas selon ses vues, il le força de se taire. Chacun de nous parlait à ses voisins à droite et à gauche; mais les intentions pacifiques de ceux qui nous écoutaient, ne pouvaient se communiquer à des milliers d'hommes rassemblés. Nous nous sommes retirés, et les ténèbres ne nous ont pas permis de voir ce qui se passait.... A une heure du matin le bruit se répand dans la salle que le désordre continue, et qu'on tue toujours des prisonLes commissaires écrivent à la Commune pour en recevoir des informations précises.--A deux heures et demie, trois commissaires de la Commune arrivent.

niers.

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M. Truchot, commissaire. Messieurs, la plupart des prisons sont maintenant vides; environ quatre cents prisonniers ont péri. A la prison de la Force, où je me suis transporté, j'ai cru devoir faire sortir toutes les personnes détenues pour dettes. J'en ai fait autant à Sainte-Pélagie. Revenu à la Commune, je me suis rappelé que j'avais oublié à la prison de la Force la partie où sont renfermées les femmes. J'en ai fait sortir vingt-quatre. Nous avons principalement mis sous notre protection mademoiselle de Tourzelles et madame Sainte-Brice. J'observe que cette dernière est enceinte, Pour notre propre sûreté, nous nous sommes retirés, car on nous menacait aussi. Nous avons conduit ces deux dames

à la section des Droits de l'Homme, en attendant qu'on les juge.

M. Tallien, commissaire de la Commune. On s'est d'abord porté à l'Abbaye. Le peuple a demandé au gardien les registres. Les prisonniers détenus pour l'affaire du 10 (août) et pour cause de fabrication de faux assignats ont péri surle-champ onze seulement ont été sauvés. Le Conseil de la Commune a envoyé une députation pour s'opposer au désordre. Le procureur de la Commune s'est présenté le premier, et a employé tous les moyens que lui suggéraient son zèle et son humanité. Il ne put rien gagner, et vit tomber à ses pieds plusieurs victimes. Lui-même a couru des dangers, et on a été obligé de l'enlever, dans la crainte qu'il ne pérît victime de son zèle. De là le peuple s'est porté au Châtelet, où les prisonniers ont aussi été immolés.

A minuit environ, on s'est porté à la Force. Nos commissaires s'y sont transportés, et n'ont pu rien gagner. Des députations se sont succédé; et lorsque nous sommes partis pour nous rendre ici, une nouvelle députation allait encore s'y rendre. L'ordre a été donné au commandant général d'y faire transporter des détachemens; mais le service des barrières exige un si grand nombre d'hommes, qu'il ne reste point à sa disposition assez de monde pour assurer le bon ordre. Nos commissaires ont fait ce qu'ils ont pu pour empêcher l'hôtel de la Force d'être pillé, mais ils n'ont pu arrêter en quelque sorte la juste vengeance du peuple; car, nous devons le dire, ses coups ont tombé sur des fabricateurs de faux assignats, qui étaient là depuis fort long-temps: ce qui a excité la vengeance, c'est qu'il n'y avait là que des scélérats reconnus.

M. Guiraud, commissaire. On est allé à Bicêtre avec sept pièces de canon. Le peuple, en exerçant sa vengeance, rendait aussi sa justice; au Châtelet, plusieurs prisonniers ont été élargis au milieu des cris de vive la nation, et au cli

quetis des armes. Les prisons du Palais sont absolument vides, et fort peu de prisonniers ont échappé à la mort.

M. Tallien. Voici un fait important. Un homme vient de porter à la Commune cinq louis en or et quatre-vingt-trois livres en argent blanc, frappé au nouveau coin. Il y a un dépôt d'établi pour les divers effets trouvés sur les prison

niers.

M. Guiraud. Le peuple, sur le Pont-Neuf, faisait la visite des cadavres, et déposait l'argent et les porte-feuilles. Un homme pris volant un mouchoir a été tué....

M. Guiraud, reparaissant à la tribune. J'ai oublié un fait important pour l'honneur du peuple. Le peuple avait organisé dans les prisons un tribunal composé de douze personnes. D'après l'écrou, d'après diverses questions faites au prisonnier, les juges apposaient les mains sur sa tête, et disaient : « Croyez-vous que dans notre conscience nous » puissions élargir monsieur? » Ce mot élargir était sa condamnation. Quand on disait oui, l'accusé était lâché, et il allait se précipiter sur les piques. S'il était jugé innocent, les cris de vive la nation se faisaient entendre, et on rendait à l'accusé la liberté.

Du lundi, 3 septembre, à neuf heures du matin.

M. Jouneau, député des Deux-Sèvres, fait hommage d'un fusil et d'une baïonnette qu'il avait achetés pour voler à la défense de la patrie, au sortir de son poste. (On applaudit.).....

Le ministre de l'Intérieur envoie la réponse qui lui a été faite ce matin par M. Pétion. Le maire annonce qu'il n'a appris les événemens de la nuit qu'au moment où il n'y avait plus de remède à y apporter. Craignant qu'on ne se portât au Temple, il a requis le commandant général qui s'y est porté lui-même; il n'y a point eu de trouble à cet endroit; il l'a requis encore de faire marcher du renfort aux prisons...

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