Page images
PDF
EPUB

DES NOTICES HISTORIQUES

SUR

LA RÉVOLUTION.

SECOND MINIstère.

Tout le monde connaît la révolution du 10 août : je n'en sais pas plus que le public à cet égard; car instruite de la grande marche des affaires tant que Roland a été homme public, et la suivant avec intérêt, même lorsqu'il n'était plus en place, je n'ai jamais été confidente de ce qu'on peut appeler les petites manœuvres, de même qu'il n'a jamais été agent de cette espèce.

Rappelé au ministère à cette époque (1), il y

(1) Dans la séance du 10 août, après la prise du château, l'Assemblée législative forma un Conseil exécutif, composé des ministres. Servan, Clavière et Roland reprirent chacun les porte-feuilles qui leur avaient été confiés quelque temps auparavant. Ce fut Isnard qui proposa leur rappel en ces termes (extrait du Moniteur): « Il est instant que l'Assem» blée s'occupe de la nomination des ministres; puisque trois >> des anciens avaient emporté les regrets de la nation, nous » devons à l'opinion publique de les réintégrer sur-le-champ

324355

rentra avec de nouvelles espérances pour la liberté. Il est grand dommage, disions-nous, que le conseil soit gâté par ce Danton, qui a une réputation si mauvaise! Quelques amis, à qui je le répétais à l'oreille, me répondirent : « Que voulez-vous! il a été utile dans la Révolution, et le peuple l'aime : on n'a pas besoin de faire des mécontens; il faut tirer parti de ce qu'il est (1). » C'était fort bien dit; mais il est plus aisé de ne point accorder à un homme des moyens d'influence que de l'empêcher d'en abuser. Là commencèrent les fautes des patriotes. Dès que la cour était abattue, il fallait former un excellent Conseil, dont tous les membres, irréprochables dans leur conduite, distingués par leurs lumières, imprimassent au gouvernement une marche respectable, et aux puissances étrangères de la considération. Placer Danton, c'était inoculer dans le gouvernement ces hommes que j'ai peints plus

» (on applaudit); et comme je ne crois pas qu'il puisse se >> manifester aucune opposition dans l'Assemblée, je de» mande que l'on mette sur-le-champ aux voix le rappel de >> ces trois ministres. >>

« L'Assemblée décide unanimement que MM. Roland, » Clavière et Servan reprendront leurs fonctions dans le mi>> nistère. >> (Note des nouveaux éditeurs.)

(1) Danton disait à cette époque, en faisant allusion à l'attaque du château : « J'ai été porté au ministère par un » boulet de canon. » (Note des nouveaux éditeurs. )

haut, qui le tourmentent quand ils ne sont pas employés par lui, qui le détériorent et l'avilissent dès qu'ils participent à son action. Mais qui donc aurait fait ces réflexions? qui eût osé les communiquer et les appuyer hautement ? C'était l'Assemblée ou la commission des vingt - un qui déterminait les choix; il y avait là beaucoup d'hommes de mérite, et pas un chef; pas un de ces êtres à la Mirabeau, propres à commander au vulgaire, à rallier, en un faisceau, les volontés des sages, et à les présenter avec l'ascendant du génie qui se fait obéir dès qu'il se manifeste.

On ne savait qui mettre à la marine : Condorcet parla de Monge, parce qu'il l'avait vu résoudre des problèmes de géométrie à l'Académie des sciences, et Monge fut élu. C'est une espèce d'original, qui ferait bien des singeries à la manière des ours que j'ai vus jouer dans les fossés de la ville de Berne: on n'est pas plus lourdement Pasquin et moins fait pour être plaisant. Autrefois tailleur de pierres à Mézières, où l'abbé Bossut l'encouragea et lui fit commencer l'étude des mathématiques, il s'est avancé à force de travail, et avait cessé de voir son bienfaiteur dès qu'il avait espéré de devenir son égal. Bon homme, au demeurant, ou sachant en acquérir la réputation dans un petit cercle, dont les plus malins personnages ne se seraient pas amusés à faire voir qu'il n'était qu'épais et borné. Mais enfin il passait pour être honnête homme, ami de la Ré

*

volution; et l'on était si las des traîtres, si embarrassé de trouver des gens capables, que l'on commençait par s'accommoder de ceux qui étaient sûrs. Je n'ai pas besoin de parler de son ministère ; le triste état de notre marine ne prouve que trop aujourd'hui son ineptie et sa nullité (1).

Lebrun, employé dans les bureaux des affaires étrangères, passait pour un esprit sage, parce qu'il n'avait d'élans d'aucune espèce, et pour un habile homme, parce qu'il était assez bon commis. Il connaissait passablement sa carte diplomatique, et savait rédiger, avec bon sens, un rapport ou une lettre. Dans un temps ordinaire, il eût été fort bien placé au département qui est le moins chargé, et dont le travail est le plus agréable à faire; mais il n'avait rien de l'activité d'esprit et de caractère qu'il eût fallu développer à l'instant où il y fut appelé. Mal instruit de ce qui se passait chez nos voisins, envoyant dans les cours des hommes qui, sans être dénués de mé

(1) Il y a beaucoup de satire mêlée à quelque vérité dans ce portrait; mais on ne pourrait sans injustice confondre l'homme public avec le savant : il est plus équitable de séparer le mathémacien célèbre, le profond physicien, l'inventeur de la géométrie descriptive, le fondateur de l'École Polytechnique, de l'homme qui n'eut pas un caractère égal à son génie, de l'administrateur auquel ont manqué peut-être les talens nécessaires à sa place.

(Note des nouveaux éditeurs.)

« PreviousContinue »