Page images
PDF
EPUB

puisse du moins la saisir dans sa situation nouvelle. Touchée de vos soins, vous jugez que je sens aussi l'amertume de toutes ces circonstances. J'apprends que mon beau-frère est en arrestation: sans doute le séquestre de ses biens n'est pas levé, et peut-être aura-t-il à craindre la déportation.

Considérez que votre amitié, trouvant très-pénible le soin qne je réclamais d'elle, peut aisément vous faire illusion sur ce que vous pouvez ou devez à cet égard: tâchez de penser à la chose, comme si ce n'était ni vous, ni moi, mais deux individus, dans nos situations respectives, soumis à votre jugement impartial. Voyez ma fermeté, pesez les raisons, calculez froidement, et sentez le peu que vaut la canaille qui se nourrit du spectacle.

Je vous embrasse tendrement. Jany vous dira ce qu'il est possible de tenter un matin; mais prenez garde à ne pas vous exposer.

A la personne chargée du soin de ma fille(1).

Vous devez au malheur, Citoyenne, et vous tenez de la confiance, un dépôt qui m'est bien cher.

(1) Des amis de madame Roland avaient recueilli sa fille. Ils se virent bientôt forcés, pour leur sûreté personnelle, de placer cette jeune personne chez une maîtresse de pension, qui l'éleva sous un nom supposé. Cette circonstance préparait une scène aussi douloureuse qu'imprévue. Un homme

Je crois à l'excellence du choix de l'amitié, voilà le fondement de mes espérances sur l'objet des sollicitudes qui rendent pénible ma situation présente.

Le courage fait supporter aisément les maux qui nous sont propres; mais le cœur d'une mère est difficile à calmer sur le sort d'un enfant auquel elle se sent arracher.

Si l'infortune imprime un caractère sacré, qu'il

qui venait quelquefois dans cette institution respectable, et qui partageait tous les sentimens qu'on y professait contre le régime de la terreur, y parut un soir plus triste et plus abattu que de coutume. Il avait vu passer madame Roland pour aller au supplice, et raconta les détails de sa fin funeste devant sa malheureuse fille dont il ignorait le nom. Glacée d'épouvante aux premiers mots qu'il avait prononcés, mais tremblante encore de compromettre une hospitalité généreuse, la pauvre enfant, presque mourante eut la force de se traîner dans une pièce voisine; là elle ne sortit d'un évanouissement de quelques heures que par les cris et les sanglots du désespoir.

[ocr errors]

L'estimable institutrice qui l'avait recueillie dans sa maison se nommait Godefroid. Sa fille, qui s'est fait un nom distingué dans les arts, est restée la meilleure amie d'Eudora. Nous devons au crayon de mademoiselle Godefroid quelques-uns des traits qui ont aidé la gravure à tracer l'image de madame Roland. Ce portrait, exécuté d'après un dessin original de la plus parfaite ressemblance, sera publié avec un fac-simile de la tête de vierge que madame Roland avait dessinée dans sa prison, et la gravure qui la représente devant ses juges au tribunal révolutionnaire.

(Note des nouveaux éditeurs.)

préserve ma chère Eudora, je ne dirai pas des peines semblables à celles que j'éprouve, mais de dangers infiniment plus redoutables à mes yeux! qu'elle conserve son innocence, et qu'elle parvienne à remplir un jour, dans la paix et l'obscurité, le devoir touchant d'épouse et de mère. Elle a besoin de s'y préparer par une vie active et réglée, et de joindre, au goût des devoirs de son sexe, quelque talent dont l'exercice lui sera peut-être nécessaire : je sais qu'elle a chez vous des moyens pour cela. Vous avez un fils, et je n'ose pas vous dire que cette idée m'a troublée; mais vous avez aussi une fille, et je me suis sentie rassurée. C'est assez dire à une âme sensible, à une mère et à une personne telle que je vous suppose. Mon état produit de fortes affections, il ne comporte pas de longues expressions. Recevez

mes vœux et ma reconnaissance.

La mère d'Eudora.

NOTES

Sur mon Procès et l'interrogatoire qui l'a

commence.

DANS les premiers instans de mon arrestation, j'imaginai d'écrire à Duperret, pour le prier de faire entendre mes réclamations. Sans être liée avec lui, j'avais remarqué, dans son caractère, cette espèce de courage qui fait que l'on ne craint pas de se mettre en avant quand il est question d'obliger, et il m'inspirait la confiance que donne en révolution la conformité des mêmes principes. Je ne m'étais pas trompée; Duperret me répondit avec intérêt et chaleur; il ajouta, à l'expression de ses sentimens, quelques nouvelles sur l'état des choses et celui des députés fugitifs. Je le remerciai; je répliquai sur l'article de nos amis, en exprimant mes vœux pour leur salut et celui de ma patrie. Quelques jours après, ayant fait imprimer l'interrogatoire qu'un administrateur de police était venu me faire subir à l'Abbaye, j'en adressai un exemplaire à Duperret; j'exprime, à cette occasion, mon mépris pour les sots mensonges qu'Hébert venait de débiter, à mon sujet, dans son Père Duchêne. Ces objets formant

une correspondance de trois ou quatre petites lettres, y compris un billet, par lequel je prévenais Duperret ainsi que je prévins, dans le temps, plusieurs personnes que je jugeais s'intéresser à moi, de ma prétendue mise en liberté de l'Abbaye, transformée subitement en une nouvelle arrestation pour Sainte-Pélagie. C'est cette correspondance sur laquelle on veut fonder une accusation contre moi, comme ayant, du moins indirectement, entretenu des relations avec les députés rebelles du Calvados. Le jour même de l'exécution de Brissot (1), je fus transférée à la Conciergerie, placée dans un lieu infect, couchée sans draps, sur un lit qu'un prisonnier voulut bien me prêter; et le lendemain, je fus interrogée, au greffe du tribunal, par le juge David, accompagné de l'accusateur puplic, en présence d'un homme que je soupçonne être un juré. On me fait d'abord de longues questions sur ce qu'était Roland avant le 14 juillet 1789; qui était maire à Lyon, lorsque Roland fut municipal? etc. Je satisfais à ces questions par l'exact exposé des faits; mais je remarquai, dès là même, qu'en me demandant beaucoup de choses, on n'aimait pas que je répondisse avec détails. Après quoi, sans transition, l'on me demande si, dans le temps de la Convention, je ne voyais pas souvent tels députés, et l'on dénomma les proscrits et les condam

(1) 31 octobre 1793 (10 brumaire an 11).

« PreviousContinue »