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met absolument les individus qui l'éprouvent, à ceux qui ne se laissent pas dominer par elle : combien plus grand est l'avantage de ceux qui l'inspirent à dessein, par des prétextes ou des faux bruits! Assurément, cette combinaison avait été faite par les instigateurs des journées de septembre; ils devaient avoir le double but de produire un mouvement, à la faveur duquel la violation des prisons, le massacre des détenus leur fournissaient l'occasion de satisfaire des haines particulières, d'exécuter un pillage, dont le produit flattait leur cupidité, et de répandre cette sorte de stupeur, durant laquelle le petit nombre des hardis ambitieux jette les fondemens de leur puissance. Les agens inférieurs n'étaient pas difficiles à gagner par l'appât du profit; le prétexte d'immoler de prétendus traîtres, dont on aurait les conspirations à redouter, devait séduire quelques mauvaises têtes, tromper le peuple, et servir à justifier l'action, dont il résulterait, pour les directeurs, le dévouement de leurs satellites bien payés, l'attachement de tous ceux qui auraient part au gain avec les chefs, la soumission du peuple intimidé, surpris, ou persuadé de la force et de la justice d'une opération à laquelle on saurait l'enchaîner, en la présentant comme son ouvrage. Aussi, quiconque osa, par la suite, s'élever contre ces attentats, fut proclamé calomniateur de Paris, désigné comme tel à la fureur de certaine classe de ses habitans, appelée fédéraliste et conspira

teur. Voilà le crime des vingt-deux, joint au tort irrémissible de leur supériorité.

Le bruit de la prise de Verdun se répandit, le premier de septembre, avec éclat, avec effroi; les habitués des groupes disaient les ennemis en marche vers Châlons; il ne fallait plus, à les entendre, que trois journées pour arriver à Paris; et le peuple, qui ne s'informe que de la distance, sans calculer tout ce qui est nécessaire à la marche d'une armée pour ses vivres, son bagage, son artillerie, tout ce qui rend enfin son allure si différente de celle d'un particulier, voyait déjà les troupes étrangères dans la capitale fumante et ravagée.

Rien ne fut négligé de tout ce qui était propre à enflammer l'imagination, grossir les objets, accroître les dangers; il ne fut pas difficile d'obtenir de l'assemblée quelques mesures propres à seconder de telles vues. Les visites domiciliaires, sous le prétexte de rechercher les armes cachées, de découvrir les gens suspects; ces visites, si fréquentes depuis le 10 août, furent arrêtées comme dispositions générales, et faites au milieu de la nuit. Elles donnèrent lieu à des arrestations nouvelles et nombreuses, à des vexations inouïes. La commune du 10, composée, en grande partie, de ces hommes qui, n'ayant rien à perdre, ont tout à gagner dans les révolutions; cette commune, déjà coupable de mille excès, avait besoin d'en commettre de nouveaux, car c'est l'accumulation des crimes que s'assure l'impunité.

par

Les malheurs de la patrie sont solennellement (1) annoncés ; le drapeau noir, signe de détresse, est élevé sur les tours de l'église métropolitaine; le canon d'alarme est tiré ; la commune fait proclamer à son de trompe le rendez-vous général des citoyens, pour le dimanche 2, au Champ-de-Mars, afin de réunir, autour de l'autel de la patrie, les zélés défenseurs qui voudraient partir sur-le-champ pour sa défense. Cependant, elle fait ordonner la clôture des barrières, et personne n'est frappé de ces dispositions contradictoires : on parle de conspiration tramée, dans les prisons, par les aristocrates (ou riches) qui y étaient renfermés en grand nombre, de l'inquiétude du peuple et de sa répugnance à abandonner ses foyers, en laissant derrière lui ces loups dévorans, qui, bientôt déchaînés, se jetteraient sur ce qu'ils auraient laissé de plus cher.

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Aux premiers signes d'agitation, le ministre de l'intérieur, qui a la surveillance générale de l'ordre, mais non l'exercice immédiat du pouvoir, ni l'em ploi de la force, écrivit d'une manière pressante à la commune, dans la personne du maire, pour lui représenter tout ce qu'elle devait déployer de vigilance il ne s'en tint pas à cette mesure; il s'adressa au commandant-général (1), pour lui recommander

(1) Voyez la proclamation de la Commune dans les Pièces officielles (B). (Note des nouveaux éditeurs.} (2) Voyez sa lettre et la réponse de Santerre dans les Pisces officielles (C). (Note des nouveaux éditeurs.)

de fortifier les postes et de veiller sur les prisons; il fit plus encore: en apprenant qu'elles étaient menacées, il le requit formellement de les faire soigneusement garder, appelant sur sa tête la responsabilité des événemens; et pour donner plus d'effet à une réquisition à laquelle était bornée son autorité, il la fit imprimer et afficher à tous les coins de rue: c'était avertir les citoyens de veiller eux-mêmes, si le commandant oubliait son devoir.

Sur les cinq heures du soir du dimanche 2, moment à peu près où les prisons furent investies, ainsi que je l'ai appris depuis, environ deux cents hommes arrivent à l'hôtel de l'intérieur; ils demandent à grands cris le ministre et des armes. Du fond de mon appartement, je crois entendre quelques clameurs je sors; et, des pièces qui donnent sur la cour, j'aperçois le rassemblement ; je vais à l'antichambre, je m'informe du sujet. Roland était sorti ; mais ceux qui le demandaient ne se payaient pas de cette raison, et voulaient absolument lui parler; les domestiques s'opposaient à ce que ces gens montassent, en leur répétant la vérité. J'ordonnai qu'on allât, de ma part, inviter dix d'entre eux à monter : ils entrent; je leur demandai paisiblement ce qu'ils voulaient; ils me dirent qu'ils étaient de braves citoyens, prêts à partir pour Verdun, mais qu'ils manquaient d'armes, qu'ils venaient en demander au ministre, et qu'ils voulaient le voir. Je leur observai que jamais le ministre de l'intérieur n'avait

eu d'armes à sa disposition; que c'était au département de la guerre et chez le ministre de ce département qu'il fallait en demander. Ils répliquèrent qu'ils y avaient été ; qu'on leur avait dit qu'il n'y en avait pas; que tous ces ministres étaient de f.... traîtres, et qu'ils demandaient Roland. « Je suis fâchée qu'il soit sorti, car il vous convaincrait par ́ses bonnes raisons: venez visiter l'hôtel avec moi; vous vous assurerez qu'il n'est pas chez lui; qu'il n'y a d'armes nulle part, et vous réfléchirez qu'il ne doit pas non plus y en avoir retournez à l'hôtel de la guerre; ou, si vous voulez que Roland vous parle, rendez-vous à l'hôtel de la marine; tout le Conseil y est assemblé. » Ils se retirèrent. Je me plaçai au balcon sur la cour, je vis un furieux, en chemise, les manches retroussées au-dessus du coude, le sabre à la main, déclamant contre les trahisons des ministres mes dix députés se répandent parmi la foule, et déterminent enfin la retraite au son du tambour; mais emmenant avec eux le valet de chambre comme un ôtage, ils le firent courir dans les rues durant une heure, puis le laissèrent aller.

Je montai sur-le-champ en voiture, pour me rendre à la marine, et prévenir mon mari de ce qui venait de se passer. Le Conseil n'était pas encore formé; je trouvai un cercle nombreux, plusieurs députés : le ministre de la guerre, celui de la justice n'étant point arrivés, les autres étaient au salon, comme société. Je racontai l'anecdote ;`cha

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