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s'il n'eût été trop homme de bien, il n'était pas du moins assez sot pour la tenir. Il ne pouvait pas, par sa place, marcher à la tête de l'insurrection : il fallait qu'il fût consigné et qu'on lui liât les bras, afin qu'il n'agît point contre elle. Les étourdis de la Commune oubliaient de le faire; et je me souviens que Lanthenas alla deux fois, de la mairie à l'Hôtel-de-Ville, pour dire que l'on mît donc à son hôtel une force imposante. Le rapporteur n'a pas dit le plus petit mot des massacres du 2 septembre; il a évité l'écueil d'adopter une version quelconque, car les contraires ont été soutenus par les montagnards. Lorsque Roland dénonçait ces massacres, les Jacobins disaient qu'ils étaient l'ouvrage du peuple et de sa vengeance; ils faisaient un crime de ne pas les applaudir; et quand le côté droit, Pétion et les autres, obtinrent un décret pour en poursuivre les auteurs, on appela Pétion et le côté droit ennemis du peuple et de la liberté. Mais depuis que ce décret fut tombé en désuétude, depuis que les Jacobins triomphent et que les vingtdeux sont proscrits, les Jacobins eux-mêmes, Hébert tout le premier, dirent effrontément que ces massacres furent l'indigne ouvrage de Pétion !

Guadet, Vergniaud et Gensonné, recommandables par leurs talens, connus à Bordeaux par leur amour pour la Révolution, vinrent à l'Assemblée législative; ils y furent les premiers en talens, et ce genre d'aristocratie leur a fait plus d'ennemis, ou des ennemis plus dangereux, que l'incivisme ne leur en eût donnés.

Ils tinrent le fauteuil le io août, lorsque les faibles eussent tremblé de représenter dans ce moment critique; et il faut être bien fourbe, pour tenter de leur faire un tort de la modération et de la mesure qu'ils mirent dans leur conduite à cette époque intéressante. Cependant Brissot se lia naturellement avec eux, parce qu'il y avait plus de parité qu'avec nul autre; comme dans l'Assemblée constituante, dont il n'était pas, il était lié par rapport de principes avec leurs défenseurs; compatriote et ami de Pétion, il vit ceux de ses collègues qui soutenaient la même cause pour le triomphe de laquelle il écrivait son journal.

Il avait partagé l'erreur de beaucoup de gens sur le compte de La Fayette, ou plutôt il paraît que La Fayette, d'abord entraîné par des principes que son esprit adoptait, n'eut pas la force de caractère nécessaire pour les soutenir quand la lutte devint difficile ; ou que peut-être, effrayé des suites d'un trop grand ascendant du peuple, il jugea prudent d'établir une sorte de balance. Le fait est, que, professant même le républicanisme dans le particulier, Brissot fut long-temps encore à ne pas le croire coupable, lorsqu'il était devenu tel aux yeux des plus ardens. Mais il l'avait hautement blâmé, et déclaré publiquement sa rupture avec lui, dès avant l'affaire du Champ-de-Mars. Ici le rapporteur se pique si peu d'exactitude, qu'il confond les époques; il fait venir Brissot aux Jacobins en mars 1791, pour préparer l'affaire du Champ-de-Mars, qui eut

lieu en juillet, et qui ne fut occasionée que par la fuite et le retour du roi, qui s'étaient faits en juin. On sait bien, d'ailleurs, que Brissot n'allait pas aux Jacobins pour exciter à faire la pétition, mais qu'il

y

vint parce qu'il fut nommé commissaire pour la rédiger. Je me souviens de lui avoir entendu raconter le lendemain que Laclos, commissaire avec lui, s'était plaint d'un si grand mal de tête, qu'il ne pouvait prendre la plume, et qu'il pria Brissot de la tenir; que ce même Laclos proposait d'insérer un article qu'il annonçait d'un air sans conséquence, mais qui eût été favorable à d'Orléans ; que Brissot le rejeta avec indignation, en mettant à la place celui qui invitait à la République pour laquelle ce moment était le véritable, et eût été bien précieux. On sait aussi que l'Assemblée ayant prononcé en faveur du roi, les Jacobins, au lieu d'envoyer la pétition au Champ-de-Mars, y firent dire, , par des députés de leur société, qu'il n'y avait pas lieu à l'adresser, puisque la loi était portée. Ceci se passa le samedi. J'ai vu venir ces députés au Champ-deMars où j'étais à midi, avec trois ou quatre cents personnes, pas davantage, et où déclamaient, sur l'autel de la patrie, le cordelier, petit bossu, Verrières (1) et d'autres. Ce fut le lendemain dimanche,

(1) On l'arrêta le lendemain. Il était membre du club des Cordeliers; on le croyait l'auteur du journal publié par Marat, sous le titre de l'Ami du Peuple.

(Note des nouveaux éditeurs.)

qu'il y eut, au inatin, deux hommes pendus, lorsqu'il n'y avait pas trente personnes de rassemblées, ce que j'ai entendu attribuer alors, avec vraisemblance, à la coalition des Lameth et autres, pour avoir une occasion de déployer la force et d'en imposer par la terreur. En effet, le dimanche fit assembler beaucoup de gens que le bruit vague d'une pétition avait attirés, tandis que celui de la pendaison n'était point encore répandu. Robert se mit réellement en devoir d'en rédiger une; il l'avait finie, il la faisait signer, lorsque l'appareil de la force fut déployé, par suite de la dénonciation faite à l'Assemblée, et de la lettre violente écrite en conséquence par Charles Lameth, alors président, à la Commune de Paris, sur la nécessité de réprimer d'affreux désordres dont deux hommes avaient été victimes. Ainsi l'assassinat matinal fait, pour ainsi dire, à la dérobée, servit de prétexte pour fusiller le peuple réuni après le dîner; le drapeau rouge fut arboré à la Maison commune; la frayeur et les arrestations s'établirent, et préparèrent le triomphe des réviseurs qui voulaient fortifier la Cour (1).

(1) La distribution des documens historiques qui doivent entrer dans cette livraison, ne nous a pas permis de grossir le 1 volume de plusieurs pièces relatives à l'affaire du Champ-de-Mars, et qui trouvent ici leur place. Le lecteur peut voir par ces détails, et verra souvent, en continuant la lecture des Mémoires, de quelle importance fut cette jour

Certes! il ne faut que lire le Patriote d'alors, pour juger s'il est possible que Brissot, qui dénonça l'affaire du Champ-de-Mars, soutint le peuple et fit la guerre aux réviseurs, fût en même temps leur complice. Cette accusation est révoltante! mais tout est ainsi, d'un bout à l'autre, dans cet ouvrage d'iniquité. Je ne traiterai pas ici la question de la guerre; elle fut l'époque de la grande division entre les patriotes: Robespierre, ardent, jaloux, avide de popularité, envieux des succès d'autrui, dominateur par caractère et par prévention pour lui-même, se fit le chef du parti de l'opposition à la déclaration

née. On se rappelle que madame Roland a déjà parlé, dans la Notice sur le premier ministère, 1o des pétitions signées, soit dans la salle des Jacobins, soit sur l'autel de la patrie; 2° des craintes qu'inspiraient à Robespierre les suites de cet événement. Nous publions une des pétitions, celle qui a un caractère authentique, puisqu'elle est dans le Moniteur (O bis). A l'égard de Robespierre, nos recherches n'ont pas été moins heureuses. On sait qu'il fut compté, dans le temps, avec Danton, Marat et Camille Desmoulins, parmi les instigateurs des désordres; on l'accusait d'avoir dit, en sortant des Jacobins, le jour où fut rendu le décret qui prononçait l'inviolabilité de Louis XVI: Mes amis, tout est perdu, le roi est sauvé! Il se cacha. Mais, quelque temps après, il publia, pour justification, ou comme apologie de sa conduite, une brochure que nous avons retrouvée, et dont nous donnons un extrait dans les Éclaircissemens.Ce morceau était trop long et souvent trop diffus pourparaître en entier : nous citerons les passages les plus remarquables; et ils le sont beaucoup. (Note des nouveaux éditeurs.)

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