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qui favorisèrent les pillages et les dilapidations, qui rendirent les soldats aussi féroces aux Français qu'aux ennemis, qui firent détester la révolution aux peuples voisins, par les excès de tous genres auxquels ils se livrèrent au nom de la république, et qui, prêchant partout l'insubordination, préparèrent les revers éprouvés depuis.

D'après cela, on ne sera point étonné que Danton, voulant envoyer, au mois de septembre 1792, en Bretagne, un homme à lui, sous prétexte de visiter les ports et d'examiner les inspecteurs, détermina le ministre de la marine à lui donner une commission; mais, comme ces sortes de commissions doivent être signées de tous les membres du Conseil, Roland s'y refusa. « De deux choses l'une, dit-il à Monge, ou vos employés à la marine font leur devoir, ou ils ne le font pas; et c'est ce que vous pouvez parfaitement juger dans ce dernier cas, il faut les renvoyer sans miséricorde; dans le premier, pourquoi les décourager et les insulter, en leur envoyant un étranger qui ne tient point à cette partie, et qui leur prouverait votre défiance? Cette opération n'a rien qui convienne au caractère d'administrateur; je ne signe pas cette commission. » La séance du Conseil se prolongea; les papiers pour les signatures se pressaient sur la fin: Roland s'aperçoit qu'il vient d'apposer la sienne à la suite de celles de tous ses collègues, sur cette commission rejetée qu'on venait de lui glisser; il la biffe et se

récrie contre Monge, qui, d'un air effaré, lui réplique tout bas : « C'est Danton qui le veut ; si je le refuse, il me dénoncera à la commune, aux Cordeliers, et me fera pendre. Eh bien, moi, ministre, je périrai avant de céder à de semblables considérations. »

Le porteur de cette commission fut arrêté en Bretagne, par ordre d'une administration que sa conduite indisposa, et à qui la signature biffée de Roland avait paru un juste motif d'examiner de près le porteur : il y avait contre lui des plaintes graves; mais c'était à la fin de l'année, lorsque la Montagne prenait ouvertement la défense de tous les anarchistes, et elle fit décréter que Guermeur (1) serait mis en liberté.

Je me suis laissé entraîner par les circonstances; je reprends la liaison des faits.

Danton et Fabre cessèrent de venir me voir dans les derniers jours d'août; ils ne voulaient pas sans doute s'exposer à des yeux attentifs, lorsqu'ils chan

(1) Une circonstance remarquable, mais qui se représente souvent dans les temps de discordes civiles, c'est que ce personnage, recommandé par Danton et protégé par la Montagne, était obligé de cacher son véritable nom de peur de décréditer son patriotisme ardent. Il était frère de l'abbé Royou, rédacteur de l'Ami du Roi, et célèbre par son attachement à la cause monarchique.

(Note des nouveaux éditeurs.)

taient les matines de septembre, et ils avaient assez jugé ce qu'étaient Roland et ses entours. Un caractère ferme, élevé et franc, des principes sévères manifestés sans ostentation, mais sans gêne; une conduite égale et soutenue, se dessinent d'abord à tous les yeux. Ils conclurent que Roland était un honnête homme, avec lequel il n'y avait rien à faire en entreprise de leur genre; que sa femme n'offrait aucune prise par laquelle on pût influer sur lui; que, tout aussi ferme dans ses principes, elle avait peut-être plus de cette sorte de pénétration propre à son sexe, dont les gens faux ont à se défier davantage; peut-être aussi augurèrent-ils qu'elle pouvait quelquefois tenir la plume, et qu'en somme un tel couple, fort de raison, de caractère, avec quelques talens, pouvait nuire à leurs desseins, et n'était bon qu'à perdre.

La suite des événemens, éclairés d'ailleurs par une foule de détails qu'il me serait difficile d'exposer aujourd'hui, mais dont il me reste un vif sentiment, donne à ces conjectures toute l'évidence de la démonstration.

On avait imaginé, comme l'une des premières mesures à prendre par le Conseil, l'envoi dans les départemens de commissaires chargés d'éclairer sur les événemens du 10 août, et surtout d'exciter les esprits aux préparatifs de défense, à la levée rapide de recrues nécessaires à nos armées, contre les ennemis sur les frontières, etc. Dès qu'il fut ques

tion de leur choix, en même temps que de la proposition de leur envoi, Roland demanda jusqu'au lendemain pour réfléchir au sujet qu'il pouvait indiquer. Je me charge de tout, s'écria Danton; la commune de Paris nous fournira d'excellens patriotes.» La majorité paresseuse du Conseil lui confia le soin de les indiquer, et le lendemain il arriva au Conseil avec les commissions toutes dressées; il ne s'agit plus que de les remplir des noms qu'il présente, et de signer. On examine peu, on ne discute point, et on signe. Voilà donc un essaim d'hommes peu connus, intrigans de sections ou braillards de clubs, patriotes par exaltation et plus encore par intérêt, sans autre existence, pour la plupart, que celle qu'ils prenaient ou espéraient acquérir dans les agitations publiques, mais très - dévoués à Danton, leur protecteur, et facilement épris de ses mœurs et de sa doctrine licencieuse : les voilà représentans du Conseil exécutif dans les départemens de la France.

Cette opération m'a toujours semblé l'un des plus grands coups de parti pour Danton, et la plus humiliante école pour le Conseil.

Il faut se représenter la préoccupation de chaque ministre au milieu des affaires de son département, dans ces temps d'orages, pour concevoir que des hommes honnêtes et capables se soient conduits avee cette légèreté. Le fait est, qu'un travail excessif surchargeait les ministres de l'intérieur, de la guerre,

et même de la marine, et que les détails absorbaient trop leurs facultés, pour laisser à chacun le temps de réfléchir sur la politique. Il faudrait que le Conseil fût composé d'hommes qui n'eussent qu'à délibérer et non pas à administrer. Danton se trouvait au département qui donne le moins à faire; d'ailleurs, il s'embarrassait fort peu de remplir les devoirs de sa place, il ne s'en occupait guère; les commis tournaient la roue ; il confiait sa griffe, et la manœuvre se suivait, telle quelle, sans qu'il s'en inquiétât. Tout son temps, toute son attention étaient consacrés aux combinaisons, aux intrigues utiles à ses vues d'agrandissement de pouvoir et de fortune. Continuellement dans les bureaux de la guerre, il faisait placer aux armées les gens de son bord; il trouvait moyen de les intéresser dans les fournitures et les marchés; il ne négligeait aucune partie dans laquelle il pût avancer ces hommes, la lie d'une nation corrompue, dont ils deviennent l'écume dans les bouleversemens politiques, et sur laquelle ils dominent durant quelques instans; il en augmentait son crédit et se formait une faction, bientôt devenue puissante, car elle règne aujourd'hui.

Les ennemis s'avançaient sur notre territoire; leurs progrès devenaient alarmans: les hommes qui veulent conduire le peuple, et qui ont étudié les moyens de l'influencer, savent fort bien que la terreur est un des plus puissans. Cette affection sou

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