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homme que vous recevrez ce billet: je vous l'écris dans un des antres de la mort, et avec une plume qui tracera peut-être bientôt l'ordre de m'égorger.

Je me félicitais d'avoir été appelée en témoignage dans l'affaire des députés; mais il y a apparence que je ne serai pas entendue. Ces bourreaux redoutent les vérités que j'aurais à dire et l'énergie que je mettrais à les publier : il leur sera plus facile de nous égorger sans nous entendre : vous ne reverrez plus ni Vergniaud ni Valazé. Votre cœur a pu concevoir cette espérance; mais comment tout ce qui se passe depuis quelque temps ne vous a-t-il pas ouvert les yeux? Nous périrons tous, mon ami: sans cela, nos oppresseurs ne se croiraient pas en sûreté... Un de mes plus grands regrets est de vous voir exposé à partager notre sort. Nous vous avons arraché à votre retraite vous y seriez peut-être encore sans nos sollicitations, et votre famille ne serait pas dispersée et malheureuse... Ce tableau me déchire plus que les maux qui me sont personnels; mais dans les beaux jours de la Révolution, il n'était pas possible de calculer ce cruel avenir. Nous avons tous été

il était impatient de la connaître, M. Champagneux le chargea d'une lettre pour elle; et le même jour, en rentrant à la Force, Adam Lux remit à M. Champagneux ce billet écrit par madame Roland dans la salle du greffe.

Voyez sur Adam Lux, la note (O) dans les Eclaircissemens historiques. (Note des nouveaux éditeurs. )

trompés, mon cher Champagneux; ou pour mieux dire, nous périssons victimes de la faiblesse des honnêtes gens ils ont cru qu'il suffisait, pour le triomphe de la vertu, de la mettre en parallèle avec le crime: il fallait étouffer celui-ci..... Adieu : je vous envoie ce que vous me demandez (1). Je vous écris à côté et presque sous les yeux de mes bourreaux: j'ai quelque orgueil à les braver.

Vendredi, 24 octobre 1793 (2).

Vous n'imaginerez jamais, cher Jany, tout ce que j'ai souffert de contrariété à ne pouvoir vous entretenir à l'aise, ni même vous lire à loisir : je sentais l'huissier sur mes talons; j'avais peur pour vous. Je me trouve comme si j'étais attaquée de la peste. Je n'ai plus rien à perdre; mais je suis en transe pour ceux qui m'abordent : c'est au point qu'hier, au Palais, j'ai hésité à rendre le salut à un homme que je reconnaissais, et que je trouvais bien imprudent d'être poli publiquement envers moi. J'ai entendu cet acte d'accusation, prodige de l'aveuglement, ou plutôt chef-d'œuvre de la perfidie. Lorsqu'il a été lu, le défenseur Chauveau a observé,

(1) C'était une boucle de cheveux.

(2) Cette seconde lettre, de la même date que la précédente, fut, comme tout porte à le croire, écrite le soir après la séance. (Note des nouveaux éditeurs.)

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avec beaucoup de ménagemens, que, contre toutes les formes, les pièces à l'appui n'avaient point été communiquées, et il a prié le tribunal de délibérer pour qu'elles lui fussent remises. Après un instant de chuchoterie, le président a répondu, en balbutiant, que ces pièces étaient encore, pour la plupart, sous les scellés, chez les accusés; que l'on ferait procéder à la levée de ceux-ci, et qu'en attendant les débats commenceraient. Mais, Jany, j'ai entendu cela bien distinctement de mes deux oreilles ! Je regardais si ce n'était point un songe ; je me demandais si la postérité saurait cela, si elle pourrait le croire? Eh bien! tout ce peuple n'a rien senti; il n'a pas vu l'atrocité d'une pareille conduite; le ridicule de produire un acte dont on ne connaît point les pièces justificatives; la bêtise de prétendre que ces pièces sont chez ceux mêmes contre lesquels l'acte est dressé, et des papiers desquel on n'a point encore fait l'inventaire; la sottise et l'impudence de l'avouer. Le président a dit encore quelques bredouilles sur l'immensité d'autres pièces et la difficulté de les communiquer; mais cela n'était ni plus juste ni mieux raisonné. On a fait sortir ensuite tous les témoins, pour n'appeler qu'à mesure ceux qu'on veut faire déposer: mon tour n'est pas venu; ce sera probablement pour demain. Je ne puis voir, dans cette marche, que l'intention de tirer avantage des vérités que mon courage doit dire, pour trouver moyen de me perdre : cela n'est pas

difficile avec de tels scélérats et mon mépris pour la mort : ainsi, peut-être, ne nous reverrons-nous plus. Mon amitié vous lègue le soin de ma mémoire. Si je connaissais quelque chose de plus convenable à la générosité de vos sentimens, trop tard connus, je vous en chargerais; mais, mon Jany, pas trop tard: c'est une providence qui a tout conduit; en vous appréciant plus tôt, mon affection vous eût enveloppé dans ma disgrâce. Vous disposerez du tout pour le mieux. On peut supposer la chute par une fenêtre, et l'on envoie y regarder ceux qui ne veulent pas y croire. Comme il y a beaucoup d'ouvriers maçons et autres, il est facile d'imaginer qu'un d'eux, ou quelqu'un déguisé comme eux, se glissait à certaine heure sous ma fenêtre, dans la cour intérieure, et recevait le paquet. Cette idée est même fort bonne; elle a de la vraisemblance. Les Portraits et Anecdotes, et autres morceaux détachés, ne doivent être présentés que comme des matériaux dont je me fusse servie dans un meilleur temps. Le petit dépôt n'est point à négliger; il doit aller avec la masse.

Être appelée en témoignage avant d'être judiciairement accusée, m'oblige à une autre marche que celle que j'avais arrêtée quand je vous donnai mon testament, et pour laquelle j'avais fait déjà mes essais; je boirai donc, puisqu'il le faut, le calice jusqu'à la lie. Adieu, Jany, adieu.

Observations rapides sur l'acte d'accusation contre les députés, par Amar (1).

25 octobre 1793.

QU'IL ait existé une conspiration contre l'unité et l'indivisibilité de la république, contre la liberté et la sûreté du peuple français, il est évident qu'elle ne peut avoir été formée que par des fauteurs du despotisme, des ambitieux qui voulaient s'arroger le pouvoir ou acquérir des richesses; des ennemis de l'humanité.

On nomme pour tels, Brissot, Gensonné, Vergniaud, Guadet, Gorsas, Pétion, Buzot, etc. Ces gens-là doivent donc avoir montré, dans plus d'une circonstance, leur haine pour la liberté, leur avidité pour le gain, leur empressement pour obtenir des places, enfin les vices et la corruption qui sont propres à de tels êtres? En supposant même qu'ils se fussent revêtus d'un masque hypocrite, il n'est

(1) L'acte d'accusation dressé par Amar a trop d'étendue pour faire partie de ce volume. On trouvera plus tard cette pièce importante dans les Mémoires qui ont principalement pour objet la journée du 31 mai et le procès des Girondins. L'absence de cet acte d'accusation sera d'autant moins sensible ici, que les observations qu'on va lire présentent, sous un titre modeste, un véritable morceau d'histoire, lié par une foule de rapports à ce qui précède et à ce qui suit.

(Note des nouveaux éditeurs.)

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