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tion, l'avantage de les assurer à qui il appartient; ils passent à ma fille, qui, lors même que l'on s'emparerait de la fortune de son père, aurait droit de réclamer tout ce qui m'est propre et qui se trouve sous les scellés; elle répéterait en outre douze mille livres que j'ai apportées en dot, ce dont fait foi le contrat de mariage, passé chez Durand, notaire à Paris, place Dauphine, en février 1780. Plus, une terre, un petit bois et un pré, achetés par moi, suivant la faculté que m'en donnait le droit écrit d'après lequel j'étais mariée, des fonds provenant de divers objets de mon chef, héritage et remboursement constatés comme il est dit au contrat passé chez Dufresnoy, notaire, rue Vivienne, en 1791, et par un acte qui est double dans mon appartement à Thésée et à Villefranche, le tout montant à treize ou quatorze mille livres.

J'ai d'ailleurs un millier d'écus en papier qui seront indiqués; je désire que sur cette somme on achète à ma fille la harpe dont elle se sert, et que je tiens à loyer de Koliker, luthier, rue des Fossés-SaintGermain-des-Prés ; c'est un honnête homme avec qui l'on peut s'arranger, et qui diminuera peut-être quelque chose des cent écus, prix qu'il m'avait annoncé. Dans tous les cas, j'aime mieux qu'on les emploie ainsi, que de les garder en nature. Les vertus sont les premiers trésors; mais les talens font partie de leur bon emploi. On ne sait pas combien, dans la solitude et le malheur, la musique procure

d'adoucissemens, ni de combien de séductions elle peut sauver dans la prospérité. Que la maîtresse de harpe soit continuée encore quelques mois; alors, si l'on ne peut aller plus avant, la petite, en employant bien son temps, en saura assez pour s'amuser. Il y a sous les scellés un excellent piano acheté de mes économies, et dont, en conséquence, la quittance est en mon nom, comme on verra dans les papiers; il ne faudrait pas manquer de le réclamer. Quant au dessin, ce doit être l'objet essentiel vers lequel il faut tourner l'application, l'étude et les soins.

J'ai trouvé moyen de faire écrire à son oncle et parrain, et j'espère qu'il prendra des arrangemens, s'il est libre, pour assurer ce qui appartient à mon enfant. Dans ce cas, ma fille n'étant point au dépourvu, devra procurer un sort à sa bonne; et c'est ce que je prie ses conducteurs de veiller et de déterminer.

Mes vénérables parens, Besnard, rue et île SaintLouis, ont confié à mon mari des fonds dont nous leur faisions la rente; il est possible qu'ils ignorent les formalités à remplir pour constater leur créance; il faudrait éclairer là-dessus ces respectables vieil lards: il faudrait aussi qu'ils vissent quelquefois leur arrière-petite-nièce qui leur tient lieu d'enfant, et sur laquelle vont reposer toutes leurs espérances.

Je n'ai jamais eu de bijoux; mais je possède deux bagues, de très-médiocre valeur, qui me viennent de

mon père; je les destine, comme souvenir, l'éméraude, au père adoptif de ma fille; et l'autre, à mon ami Bosc.

Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai dernièrement exprimé à la femme généreuse qui veut bien me remplacer auprès de mon enfant; le service qu'elle et son époux me rendent inspire un sentiment qui s'emporte au-delà du tombeau et qui n'a point d'expression en ce monde.

Que ma dernière lettre à ma fille fixe son atten→ tion sur l'objet qui paraît devoir être son travail essentiel, et que le souvenir de sa mère l'attache à jamais aux vertus qui consolent de tout.

Adieu, mon enfant, mon époux, ma bonne, mes amis; adieu, soleil dont les rayons brillans portaient la sérénité dans mon âme comme ils la rappelaient dans les cieux'; adieu, campagnes solitaires dont le spectacle m'a si souvent émue; et vous, rustiques habitans de Thésée, qui bénissiez ma présence, dont j'essuyais les sueurs, adoucissais la misère et soignais les maladies, adieu; adieu, cabinets paisibles où j'ai nourri mon esprit de la vérité, captivé mon imagination par l'étude, et appris, dans le silence de la méditation, à commander à mes sens et à mépriser la vanité. 18 octobre 1793.

A ma fille.

Je ne sais, ma petite amie, s'il me sera donné de

te voir ou de t'écrire encore. SOUVIENS-TOI DE TA MÈRE. Ce de mots renferment tout ce que je puis te peu dire de meilleur. Tu m'as vue heureuse par le soin de remplir mes devoirs et d'être utile à ceux qui souffrent. Il n'y a que cette manière de l'être.

Tu m'as vue paisible dans l'infortune et la captivité, parce que je n'avais pas de remords et que j'avais le souvenir et la joie que laissent après elles de bonnes actions. Il n'y a que ces moyens non plus de supporter les maux de la vie et les vicissitudes du

sort.

Peut-être, et je l'espère, tu n'es pas réservée à des épreuves semblables aux miennes; mais il en est d'autres dont tu n'auras pas moins à te défendre. Une vie sévère et occupée est le premier préservatif de tous les périls; et la nécessité, autant que la sagesse, t'impose la loi de travailler sérieusement.

Sois digne de tes parens; ils te laissent de grands exemples; et si tu sais en profiter, tu n'auras pas une inutile existence.

Adieu, enfant chéri, toi que j'ai nourrie de mon lait et que je voudrais pénétrer de tous mes sentimens. Un temps viendra où tu pourras juger de tout l'effort que je me fais en cet instant pour ne pas m'attendrir à ta douce image. Je te presse sur mon sein.

Adieu, mon Eudora.

A ma bonne Fleury.

Ma chère bonne, toi dont la fidélité, les services et l'attachement m'ont été chers depuis treize années, reçois mes embrassemens et mes adieux.

Conserve le souvenir de ce que je fus; il te consolera de ce que j'éprouve : les gens de bien passent à la gloire quand ils descendent dans le tombeau. Mes douleurs vont finir; calme les tiennes, et songe à la paix dont je vais jouir, sans que personne puisse désormais la troubler. Dis à mon Agathe que j'emporte avec moi la douceur d'être chérie par elle depuis mon enfance, et le regret de ne pouvoir lui témoigner mon attachement. J'aurais voulu t'être utile, du moins que je ne t'afflige pas.

Adieu, ma pauvre bonne, adieu.

24 octobre 1793 (1).

Votre lettre, mon cher Champagneux, m'est parvenue par Adam Lux, et c'est par cet excellent

(1) Les Girondins furent appelés au tribunal révolutionnaire le 24 octobre: madame Roland y fut citée comme témoin. Cette circonstance suspendit ses résolutions. A cette époque, M.Champagneux, l'un des hommes qui lui montraient unattachement sincère,avait été arrêté. Il était à laForce. Adam Lux, député mayençais, renfermé dans la même prison, fut, comme madame Roland, appelé en témoignage au tribunal. Professant les mêmes principes, attaché à la même cause,

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