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La petite Lallement paraissait gentille à Jobert qui avait mis la main sur plusieurs de ses effets, s'était emparé du portrait de Sainte-Croix, et trouvait sot qu'elle prétendît lui être fidèle. Imaginant enfin que de bons procédés la rendraient plus traitable, il fait signer sa mise en liberté, vient la chercher en voiture, la conduit chez elle où il fait apporter à dîner, lui rend à grand'peine le portrait de Sainte-Croix dont il avait fait gâter les yeux, et prétend obtenir récompense. La jeune fille se moque de ses prétentions comme de son allure, le met à la porte de chez elle, et se rend au bureau de la Police pour lui reprocher publiquement ses entreprises, en réclamant d'autres effets qu'on lui avait enlevés. L'aventure fait bruit; mais les collègues de Jobert ne sont pas faits pour la blâmer; elle passe au milieu d'une foule d'autres, plus dégoûtantes ou plus atroces, dont les législateurs du 2 juin donnent journellement l'exemple à toutes les autorités constituées.

L'AI-JE bien entendu?........ Quoi! cette femme qui vivait ignorée au fond de sa province, arrivée à Paris seulement pour réclamer sa fille, elle est condamnée à mourir !........ Quelle profondeur d'iniquité dans cette condamnation !

Pétion, proscrit comme royaliste, offrait un phénomène de la dernière révolution. Sa femme, que

jamais la calomnie n'avait atteinte, s'était retirée à Fécamp dans sa famille, pour attendre, dans le silence de la retraite, des jours plus tranquilles; elle allait faire prendre les bains de mer à son fils, joli enfant de dix ans, unique fruit de son mariage. Elle est arrêtée, constituée prisonnière avec cet enfant; tous deux sont amenés à Paris et renfermés à SaintePélagie. Les exemples du jour apprennent aux femmes des proscrits à se voir persécuter; et celle de Pétion est assez raisonnable pour supporter ses maux sans murmurer: mais l'état de son fils l'afflige; l'éducation, la santé de cet enfant sont également souffrantes elle veut faire des réclamations; comment les rendre intéressantes et surtout les faire écouter? Elle s'adressa à sa mère, qui vivait à Chartres, pour l'engager à faire des sollicitations que son titre autorise. Elle vient, paraît à la barre, y fait sa pétition avec larmes, est renvoyée au comité, va voir tous les députés qui le composent : quelques-uns paraissent donner de l'espérance, le plus grand nombre l'accueille mal; l'inutilité des sollicitations se manifeste: elle prend la résolution de s'en aller, se rend à sa section pour y faire viser son passeport, y est dénoncée, arrêtée. On la conduit à la mairie. Un homme, habitant l'hôtel où elle était descendue, dépose qu'elle a dit qu'il fallait un roi ; deux déserteurs liégeois, témoins à gages, le certifient : on la condamne à perdre la tête; elle marche à l'échafaud. J'ai vu plusieurs fois cette malheureuse femme

lorsqu'elle venait auprès de sa fille. Madame Lefèvre était dans sa cinquante-septième année; elle a été belle, et ses traits annonçaient encore que sa figure fut régulière; elle avait conservé une grande taille fort dégagée, et une chevelure superbe. Le soin de plaire a occupé la plus grande partie de sa vie ; mais il ne lui a rien fait acquérir; on ne trouvait plus chez cette femme que les restes de ses prétentions passées, et un fond d'égoïsme qui perçait en toute circonstance. Elle n'avait point d'opinions politiques; elle était incapable de s'en former une, et ne savait raisonner sur rien deux minutes de suite. Il est possible que, dans une conversation suscitée par quelques malveillans, elle ait dit qu'il lui était indifférent qu'il vînt un roi, pourvu qu'on eût la paix, ou l'on aura saisi quelques propos de cette espèce pour lui faire son procès. Mais qui ne voit dans cette fausse et atroce application de la loi le dessein d'abuser le peuple, en lui faisant croire la famille de Pétion royaliste, et par conséquent très-juste la persécution qu'on lui fait souffrir!

Jours affreux du règne de Tibère, nous voyons renaître vos horreurs, mais plus multipliées encore, en proportion du nombre de nos tyrans et de leurs favoris! Il faut du sang à ce peuple infortuné, dont on a détruit la morale et corrompu l'instinct; on se sert de tout, excepté de la justice, pour lui en donner. Je vois dans les prisons, depuis quatre mois que je les habite, des malfaiteurs qu'on veut bien

oublier; et l'on se hâte de faire mourir madame Lefèvre, qui n'est point coupable, parce qu'elle a le tort d'avoir pour gendre l'honnête Pétion que les tyrans haïssent!

Je ne conçois rien de si ridicule que cette forfanterie avec laquelle on nous vante le bienfait d'une constitution décrétée avec autant de zèle que de rapidité. Mais ces gens mêmes qui l'ont faite, n'ontils pas fait décréter peu après que la France était et demeurait en état de Révolution? et la constitution n'est-elle pas comme non-avenue, puisqu'on n'en observe rien? A quoi donc nous sert-il de l'avoir? C'est une pancarte qui n'atteste que l'impudence de ceux qui ont voulu s'en faire un mérite, sans s'embarrasser de nous en assurer le profit.

Ceux qui, dans la foule, ne l'ont acceptée, sans y regarder, que par faiblesse et lassitude, dans l'idée de voir la paix qu'ils ne voulaient pas prendre la peine de mériter, sont bien payés de leur apathie! Malheureusement il en va des peuples et de leurs affaires comme des particuliers et de leurs entreprises; la sottise et la peur du grand nombre font le triomphe de la scélératesse et la perte des gens de bien. La postérité rend à chacun sa place; mais c'est au temple de mémoire: Thémistocle n'en meurt pas moins en exil, Socrate dans sa prison, et Sylla dans son lit.

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DERNIERS ÉCRITS (1).

22 août 1793.

AUJOURD'HUI la mésintelligence éclate entre les tyrans; Hébert, mécontent de n'être pas ministre, dirige son Père Duchesne contre les faiseurs, attaque les patriotes enrichis, nomme Lacroix, et s'a

:

(1) Nous avons rassemblé sous ce titre ce que madame Roland écrivit dans les momens qui précédèrent sa condamnation et sa mort. La terreur devenait de jour en jour plus sombre madame Roland sentait la main des oppresseurs: les Girondins allaient monter au tribunal révolutionnaire; elle voyait leur perte assurée et sa fin prochaine. Quelque temps indécise entre le projet de se donner la mort ou la résolution plus grande de l'attendre et de la recevoir, aucun sacrifice ne pouvait étonner son courage; mais des sentimens profonds et douloureux amollissaient son cœur. Tout ce qui sort de sa plume emprunte de sa situation un caractère triste, grave, ou pathétique. Un intérêt, mêlé d'attendrissement et de respect, s'attache dès ce moment à la lecture de ses écrits, et l'on veut connaître, depuis les moindres impressions qui lui dictent des notes tracées à la hâte, jusqu'à la résignation touchante de ses dernières pensées, jusqu'à l'éloquente indignation de sa défense. (Note des nouveaux éditeurs.)

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