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signe les gens redoutables dont il faudra opérer la perte; il gage les écrivains ou inspire les énergumènes qu'il destine à les poursuivre; il enchérit sur les inventions révolutionnaires des patriotes aveugles ou des adroits fripons; il combine, arrête et fait exécuter des plans capables de frapper de terreur, d'anéantir beaucoup d'obstacles, de recueillir beaucoup d'argent, et d'égarer l'opinion sur toutes ces choses. Il forme le corps électoral par ses intrigues, le domine ouvertement par ses agens, et nomme la députation de Paris à la Convention, dans laquelle il passe. Il va dans la Belgique augmenter ses richesses; il ose avouer une fortune de quatorze cent mille livres, afficher le luxe en prêchant le sans-culottisme, et dormir sur des monceaux de cadavres.

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Quant à Fabre d'Églantine, affublé d'un froc armé d'un stylet, occupé d'ourdir une trame pour décrier l'innocence ou perdre le riche dont il convoite la fortune, il est si parfaitement dans son rôle, que quiconque voudrait peindre le plus scélérat tartufe, n'aurait qu'à faire son portrait ainsi costumé.

Ces deux hommes cherchaient beaucoup à me faire causer en me parlant de patriotisme je n'avais rien à taire ou à dissimuler à cet égard; je professe également mes principes devant ceux que je crois les partager, ou que je soupçonne n'en avoir pas d'aussi c'est confiance à l'égard des uns, purs; fierté vis-à-vis des autres je dédaigne de me cacher, même sous le prétexte ou l'espérance de

mieux pénétrer autrui. Je pressens les hommes par le tact, je les juge par leur conduite comparée dans ces différens temps avec leur langage; mais moi, je me montre tout entière, et ne laisse jamais douter qui je suis.

Dès que l'Assemblée eut rendu, de son propre mouvement, un décret qui attribuait cent mille livres au ministre de l'intérieur pour impression d'écrits utiles, Danton et Fabre surtout me demandèrent, par forme de conversation, si Roland était en mesure à cet égard, s'il avait des écrivains prêts à employer, etc. Je répondis qu'il n'était point étranger à ceux qui s'étaient déjà fait connaître ; que les ouvrages périodiques rédigés dans un bon esprit indiquaient d'abord ceux qu'il convenait d'encourager; qu'il s'agissait de voir leurs auteurs, de les réunir quelquefois pour qu'ils s'instruisissent des faits dont il importerait de répandre la connaissance, et se conciliassent sur la manière d'amener plus efficacement les esprits à un même but ; que si, lui Fabre, lui Danton, en connaissaient particulièrement quelques-uns, il fallait qu'ils les indiquassent, et qu'ils vinssent avec eux chez le ministre de l'intérieur, où l'on pourrait, une fois la semaine, par exemple, s'entretenir de ce qui devait, dans les circonstances, occuper essentiellement les écrivains. « Nous avons le projet, me répliqua Fabre, d'un journal en affiche, que l'on intitulera Compte rendu au Peuple souverain, et qui présentera le tableau de la dernière

révolution; Camille-Desmoulins, Robert, etc. , y travailleront. Eh bien! il faut les amener à Roland. Il s'en garda bien; on ne parla plus du journal, qui commença cependant dès que l'Assemblée eut donné au Conseil deux millions pour dépenses secrètes. Danton dit à ses collègues qu'il fallait que chaque ministre pût en user dans son département; mais que celui des affaires étrangères et celui de la guerre ayant déjà des fonds pareils, il convenait que ceux-ci restassent à la disposition des quatre autres, qui auraient ainsi chacun tant de cent mille livres. Roland s'éleva fortement contre cette proposition; il prouva que l'intention de l'Assemblée avait été de donner au pouvoir exécutif, dans ces momens de crise, tous les moyens dont il pouvait avoir besoin pour agir avec célérité, que c'était le Conseil collectivement qui devait déterminer l'emploi de ces fonds d'après la demande et pour les objets présentés par chacun; que pour lui particulièrement il déclarait ne vouloir en faire aucun usage sans en justifier au Conseil, à qui il appartenait d'en connaître, et à qui ils étaient confiés (1). Danton répliqua, jura, comme il avait coutume de faire, parla de révolution, de grandes mesures, de secret, de

(1) Roland n'a jamais dépensé sur ces fonds que 1200 liv., dans une ordonnance au profit de Hell, ex-constituant, pour frais d'instruction populaire en allemand, dans les départemens du Rhin.

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liberté ; les autres, séduits peut-être par le plaisir de tripoter chacun à sa fantaisie, se rangèrent de son avis, contre toute justice, politique et délicatesse, malgré les réclamations de Roland, et sa vigoureuse insistance dont l'austérité déplut (1).

(1) Un écrit tracé par Roland lui-même, et qui s'est retrouvé entre les mains de ses amis, fait connaître la dictature qu'exerçait Danton dans le Conseil, et le seul obstacle que ses volontés y rencontraient.

« Pour bien juger, dit-il dans cet écrit, l'état moral, l'état désespérant du Conseil exécutif, il faudrait saisir le carac» tère de chacun des membres qui le composaien, et pour >> cela les avoir entendus discuter, opiner, toujours tremblans » sous la verge des opinions des aboyeurs, et jamais en me» sure avec les lois, la justice et la raison.

» L'audacieux Danton avait tenu le gouvernail de ce vais» seau : il l'avait jeté dans la mer tempestive des plus horri»bles passions, il le gouvernait encore par sa voix stento»riale, ses formes rudes, athlétiques, et ses effrayantes >> menaces; continuellement il éta aux trousses des minis>>tres, leur poussant ses protégé et les forçant de les placer. » Tel était le résultat, et comm une suite nécessaire de cette » terrible prépondérance quil s'était acquise sur les esprits » étroits et sur les âmes faples de ses collègues.

pro

» Les Conseils de son +mps ne présentèrent jamais aucun » plan, aucune suite d discussions; ce n'était des que » positions ex abrupt entremêlées de cris, de juremens, d'al»lées, de venues ds membres mêines, et d'étrangers apos» tés, commne pétionnaires interlocuteurs, et finalement en » usant et abuant de la liberté à peu près comme firent » ensuite les ✩íbunes à la Convention même. Danton faisait

Danton se pressa de toucher cent mille écus au trésor public, et en fit ce que bon lui sembla; ce qui ne l'empêcha pas d'obtenir de Servan soixante mille livres, de Lebrun davantage, sur les fonds secrets de leurs départemens, sous différens prétextes. Jamais il n'a fourni de compte à l'Assemblée ; il s'est contenté de lui attester qu'il l'avait rendu au Conseil; et à ce Conseil il s'est borné à dire, dans une séance où Roland n'était pas, pour cause d'indisposition, qu'il avait donné vingt mille livres à tel, dix à tel autre, ainsi du reste, pour la révolution, à cause de leur patriotisme, etc.

C'est amsi que Servan me l'a répété. Le Conseil, interrogé par l'Assemblée, sur la question de savoir si Danton avat rendu des comptes, répondit simplement que oui. Mais Danton avait acquis tant de puissance, que ces hommes timides craignaient de l'offenser. C'est aini que l'armée fut empoisonnée de Cordeliers, agens de Danton, aussi lâches qu'avides,

» les propositions, les arrêtés les proclamations, les bre» vets, etc. Il nommait les commissaires, et leur donnait des >> instructions; il réglait leurs dépenses, leur fournissait des » fonds. Ainsi de cette manière, o sous ce prétexte, Dan» ton a disposé, dans son court minière, de plusieurs mil» lions, dont moi, membre du Conseil, je n'ai jamais connu » ni les détails, ni les motifs. Il gouvernat, ou plutôt gour>> mandait ainsi le Conseil exécutif, le dépatement même de >> chaque ministre, excepté celui de l'intérieur,qu'il n'a jamais » pu entamer, indè iræ. » (Note des nouveau, éditeurs.)

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