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de voir Castellane quitter cette même prison au prix de trente mille livres délivrées à Chabot. Dillon est sorti des Madelonnettes de la même manière ; tous deux étaient impliqués dans un projet de contrerévolution. A cet instant, 22 août, j'ai sous mes yeux une demoiselle Briant, demeurant cloître SaintBenoît, no 207, fille entretenue, dont l'ami est fabricateur de faux assignats. Dénoncé, on a paru le poursuivre, mais l'or a coulé dans les mains des administrateurs; celui qui met sur pied la force destinée à chercher sa personne et s'en emparer, sait où il est caché; sa maîtresse est arrêtée pour la forme; les administrateurs, qui paraissent venir l'interroger, lui donnent des nouvelles de son ami; et bientôt ils auront ensemble la liberté, puisqu'ils ont de quoi la payer.

FOUQUIER-TINVILLE, accusateur public du tribunal révolutionnaire, connu par sa mauvaise vie, son impudence à dresser des actes d'accusation sans motifs, reçoit habituellement de l'argent des parties. Madame Rochechouart lui a payé quatre-vingt mille livres pour Mony l'émigré: Fouquier-Tinville a touché la somme; Mony a été exécuté, et madame Rochechouart a été prévenue que, si elle ouvrait la bouche, elle serait enfermée pour ne plus jamais revoir le jour. Cela est-il possible ! se demande-t-on : eh bien écoutez encore. Il existe entre les mains.

du ci-devant président du département de l'Eure deux lettres de Lacroix, député, autrefois juge fiscal d'Anet par l'une, il fait une soumission de cinq cent mille livres pour acquérir des domaines nationaux; par l'autre, il retire sa soumission et donne son désistement, fondé sur le décret qui oblige les députés à justifier de l'accroissement de leur fortune depuis la Révolution. Mais ce décret n'a plus d'exécution depuis que les incommodes vingt-deux sont expulsés: Lacroix possède comme Danton, après avoir pillé comme lui.

DERNIÈREMENT un Hollandais va chercher un passeport à la Commune de Paris pour retourner dans son pays; on le refuse : le Hollandais ne se plaint point, mais, en homme qui juge le vent, il tire son porte-feuille, met sur le bureau un assignat de cent écus; il est entendu et reçoit son passeport.

Ici j'entends citer Marat chez qui les papiers publics annoncent qu'on a trouvé à sa mort un seul assignat de vingt-cinq sous; quelle édifiante pauvreté ! Voyons donc son logement; c'est une dame qui va le décrire. Son mari, membre du tribunal révolutionnaire, est détenu à la Force pour n'avoir pas été de l'avis des dominateurs; elle a été mise à Sainte-Pélagie par mesure de sûreté, est-il dit, mais probablement parce qu'on aura craint les sollicitations de cette petite femme du Midi. Née à Toulouse,

elle a toute la vivacité du climat ardent sous lequel elle a vu le jour; et tendrement attachée à un cousin d'aimable figure, elle fut désolée de son arrestation, faite il y a quelques mois. Elle s'était donné beaucoup de peines inutiles, et ne savait plus à qui s'adresser, lorsqu'elle imagina d'aller trouver Marat. Elle se fait annoncer chez lui: on dit qu'il n'y est pas; mais il entend la voix d'une femme et se présente lui-même. Il avait aux jambes des bottes sans bas, portait une vieille culotte de peau, une veste de taffetas blanc; sa chemise crasseuse et ouverte laissait voir une poitrine jaunissante, des ongles longs et sales se dessinaient au bout de ses doigts, et son affreuse figure accompagnait parfaitement ce costume bizarre. Il prend la main de la dame, la conduit dans un salon très-frais, meublé en damas bleu et blanc, décoré de rideaux de soie élégamment relevés en draperies, d'un lustre brillant et de superbes vases de porcelaine remplis de fleurs naturelles, alors rares et de haut prix: il s'assied à côté d'elle sur une ottomane voluptueuse, écoute le récit qu'elle veut lui faire, s'intéresse à elle, lui baise la main, serre un peu ses genoux, et lui promet la liberté de son cousin. « Je l'aurais tout laissé faire, dit plaisamment la petite femme, avec son accent toulousain, quitte à aller me baigner après, pourvu qu'il me rendît mon cousin. » Le soir même Marat fut au comité, et le cousin sortit de l'Abbaye le lendemain; mais, dans les vingt-quatre heures, l'ami

du peuple écrivit au mari, en lui envoyant un sujet auquel il s'agissait de rendre un service qu'il fallait bien ne pas

refuser.

UN M. DUMAS, physicien de profession, ou savant de son métier, se présenta au fameux comité de salut public dans le courant du mois de juin, pour lui faire des propositions importantes. Il offrait de reconnaître l'armée des rebelles de la Vendée; de donner un état exact de leurs forces et de leur position; choses sur lesquelles on est demeuré dans la plus grande ignorance depuis le commencement de la guerre. M. Dumas prétend aviser le tout au plus juste, à vue d'oiseau, au moyen d'un ballon. «Mais vraiment l'idée est ingénieuse, dirent quelques-uns des profonds politiques du comité. - Oui, reprend le citoyen Dumas, et l'exécution peut être rapide. Je connais un ballon qu'on doit trouver, avec toutes ses dépendances, dans l'hôtel d'un émigré; ainsi, la Nation n'aura pas à faire les frais de l'acquisition. -Bravo!» Il donne les indications; elles sont reçues avec transport et officiellement envoyées au ministre de l'intérieur, pour qu'il ait à trouver le ballon dans le plus court délai. Le ministre met son monde en campagne; on marche, on se rend dans l'hôtel de l'émigré : c'était une auberge ; et l'appartement qu'il avait occupé, une petite chambre où ne restait pas même un chiffon. Rapport en conséquence; désolation du comité, clameurs de M. Du

mas, nouvelle injonction au ministre de rechercher plus exactement le ballon. Alors le ministre confère avec son premier commis; on prend les grandes mesures; on fait une lettre au département; celui-ci renvoye à la municipalité qui en défère à ses administrateurs de police. Ici la chose se perd pour les fonctionnaires publics; et j'ai beaucoup ri à l'Abbaye, avec Champagneux qui avait fait la lettre ministérielle, de la charlatanerie de l'effronté Dumas, de la bêtise du comité, de la complaisance du ministre, et de toute cette kyrielle de pauvretés ; mais j'ai retrouvé la queue de l'histoire à Sainte-Pélagie.

Parmi les administrateurs de police, le C. Jobert (l'un des signataires des ordres contradictoires de mes arrestations et de mise en liberté ), gros homme à forte voix, vrai bavard de section, à figure repoussante et démarche embarrassée, découvrit une petite demoiselle Lallement, grande et jolie fille de

quinze ans, entretenue par Sainte-Croix, officier émigré, qui était attaché, je crois, à Philippe d'Orléans : elle est arrêtée, envoyée à Sainte-Pélagie; on trouve chez elle l'enveloppe d'un ballon, son filet et le reste : c'était précisément la capture indiquée par Dumas. Mais le comité avait oublié l'expédient, le physicien avait perdu l'espérance de se faire valoir, le ministre ne se souciait guère de savoir le résultat des ordres qu'il avait donnés, et les administrateurs trouvaient fort bon de se rendre maîtres d'un objet devenu de prix.

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