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sut entretenir dans le massacre des prêtres à SaintFirmin, sur la section du Finistère qui était la sienne; il fut également utile dans l'expédition des prisonniers d'Orléans.

Il eut sujet de venir, comme député de sa section, chez le ministre de l'Intérieur, où je l'aperçus, et pus juger de son étonnante transformation. Le joli monsieur à petites grimaces avait pris la tournure brutale d'un patriote enragé, la face enluminée d'un buveur et l'œil hagard d'un assassin.

Cher aux Jacobins, qui savaient apprécier son mérite et lui préparaient de hautes destinées, directeur désigné pour la conspiration du 10 mars, il mourut tout-à-coup, à Vaugirard, d'une fièvre inflammatoire, fruit des débauches, des veilles et de l'eau-de-vie.

On connaît la douleur de toute la horde à cette perte inopinée, l'oraison funèbre prononcée par le grand-prêtre Robespierre, ses touchantes jérémiades et son pompeux éloge du grand homme ignoré ; les funérailles éclatantes célébrées par la vénérable Commune et les saintes sociétés, l'adoption de son enfant, embrassé, dans l'hôtel commun, par papa Pache; enfin, l'inhumation de Lazowski près de l'arbre de la liberté, place du Carrousel où l'on voit encore sa modeste tombe ornée de gazon.

Que ceux qui s'étonneraient de son importance posthume, se rappellent qu'elle prit naissance au foyer des Jacobins, lorsqu'ils étaient devenus aussi redoutables qu'atroces pour les timides Parisiens;

lorsque Marat était dans toute sa gloire, et Danton

dans sa puissance.

Assurément, le peuple qui prenait l'un pour son prophète, et l'autre pour son seigneur, pouvait bien honorer Lazowski comme un saint, ou un héros, ce qui est tout un dans la religion des septembristes.

ROBERT.

QU'AVEZ-VOUS donc fait à Robert? me demandait quelqu'un dernièrement; sa femme et lui se déchaînent contre vous plus ardemment qu'aucun de vos ennemis. Je les ai peu vus ; je leur ai rendu service; mais je n'ai pas concouru à flatter leur ambition. Voici comment:

Lorsque je partis de Lyon pour Paris, en 1791, Champagneux me demanda si je connaissais madame Robert, femme d'esprit, auteur et patriote. «Nullement; je sais que mademoiselle Kéralio, dont le père a écrit, s'est mariée depuis peu à M. Robert, et qu'ils font ensemble le Mercure national dont j'ai vu quelques numéros je n'en sais pas davantage. -Voulez-vous la voir? je vous donnerai une lettre pour elle; car nous sommes en relation en qualité de journalistes (1). Mais, vraiment ! une femme

:

(1) En parcourant un grand nombre d'écrits du temps, dont les plus remarquables auront place dans cette collection, nous avons retrouvé un morceau de madame Robert. Cette

d'esprit, auteur et républicaine ; c'est assez piquant! Donnez-moi une lettre. »

Je vins à Paris; j'y étais depuis six semaines, lorsqu'un de nos amis, me parlant de madame Robert qu'il avait eu l'occasion de voir, me fit souvenir que j'avais une lettre pour elle : je le dis; il me proposa de m'accompagner chez elle; nous nous y rendîmes.

Je vis une petite femme spirituelle, adroite et fière, qui m'accueillit fort agréablement; je trouvai son gros mari, à face de chanoine, large, brillante de santé et de contentement de soi-même, avec cette fraîcheur que n'altèrent jamais de profondes combinaisons. Ils me rendirent ma visite, et je ne poussai pas plus loin la connaissance. Le 17 juillet, sortant des Jacobins où j'avais été témoin des agitations que causèrent les tristes événemens du Champ-de-Mars, je trouvai, en rentrant chez moi, à onze heures du soir, M. et madame Robert. « Nous venons, me dit la femme avec l'air de confiance d'une ancienne amie, vous demander un asile;

pièce est intitulée: Louise Robert, à M. Louvet, député à la Convention nationale par le département du Loiret (N bis). C'était une bonne fortune que la découverte d'une lettre adressée à un homme de beaucoup d'esprit par une femme auteur, sur les circonstances du moment. Tout est curieux à connaitre dans ce morceau, le ton, le style et le sujet. (Note des nouveaux éditeurs.)

il ne faut pas vous avoir beaucoup vue pour croire à la franchise de votre caractère et de votre patriotisme. Mon mari rédigeait la pétition sur l'autel de la patrie; j'étais à ses côtés; nous échappons à la boucherie, sans oser nous retirer, ni chez nous, ni chez des amis connus où l'on pourrait nous venir chercher. Je vous sais bon gré, lui répliquai-je, d'avoir songé à moi dans une aussi triste circonstance, et je m'honore d'accueillir les persécutés; mais vous serez mal cachés ici (j'étais à l'hôtel Britannique, rue Guénégaud); cette maison est fréquentée, et l'hôte est fort partisan de La Fayette. - Il n'est question que de cette nuit; demain nous aviserons à notre retraite. » Je fis dire à la maîtresse de l'hôtel qu'une femme de mes parentes, arrivant à Paris dans ce moment de tumulte, avait laissé ses bagages à la diligence, et passerait la nuit avec moi; que je la priais de faire dresser deux lits de camp dans mon appartement. Ils furent disposés dans un salon où se tinrent les hommes, et madame Robert coucha dans le lit de mon mari, auprès du mien, dans ma chambre. Le lendemain au matin, levée d'assez bonne heure, je n'eus rien de plus pressé que de faire des lettres pour instruire mes amis éloignés de ce qui s'était passé la veille. M. et madame Robert, que je supposais devoir être bien actifs, et avoir des correspondances plus étendues, comme journalistes, s'habillèrent doucement, causèrent après le déjeûner que je leur fis servir, et se

mirent au balcon sur la rue; ils allèrent même jusqu'à appeler par la fenêtre et faire monter près d'eux un passant de leur connaissance.

Je trouvais cette conduite bien inconséquente de la part de gens qui se cachaient. Le personnage qu'ils avaient fait monter les entretint, avec chaleur, des événemens de la veille, se vanta d'avoir passé son sabre au travers du corps d'un garde national; il parlait très-haut, dans la pièce voisine d'une grande antichambre commune avec un autre appartement que le mien. J'appelai madame Robert. « Je vous ai accueillie, Madame, avec l'intérêt de la justice et de l'humanité pour d'honnêtes gens en danger; mais je ne puis donner asile à toutes vos connaissances: vous vous exposez à entretenir, comme vous le faites, dans une maison telle que celle-ci, quelqu'un d'aussi peu discret; je reçois habituellement des députés, qui risqueraient d'être compromis, si on les voyait entrer ici au moment où s'y trouve une personne qui se glorifie d'avoir commis hier des voies de fait; je vous prie de l'inviter à se retirer. >> Madame Robert appela son mari; je réitérai mes observations avec un accent plus élevé, parce que le personnage, plus épais, me semblait avoir besoin d'une impression forte; on congédia l'homme. J'appris qu'il s'appelait Vachard; qu'il était président d'une société dite des indigens: on célébra beaucoup ses excellentes qualités et son ardent patriotisme. Je gémis en moi-même du prix qu'il fallait

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