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BARBAROUX.

BARBAROUX, dont les peintres ne dédaigneraient pas de prendre les traits pour une tête d'Antinoüs, actif, laborieux, franc et brave, avec la vivacité d'un jeune Marseillais, était destiné à devenir un homme de mérite et un citoyen aussi utile qu'éclairé. Amoureux de l'indépendance, fier de la Révolution, déjà nourri de connaissances, capable d'une longue attention avec l'habitude de s'appliquer, sensible à la gloire; c'est un de ces sujets qu'un grand politique voudrait s'attacher, et qui devait fleurir avec éclat dans une république heureuse. Mais qui oserait prévoir jusqu'à quel point l'injustice prématurée, la proscription, le malheur peuvent comprimer une telle âme et flétrir ses belles qualités ? Les succès modérés auraient soutenu Barbaroux dans la carrière, parce qu'il aime la réputation et qu'il a toutes les facultés nécessaires pour s'en faire une très-honorable: mais l'amour du plaisir est à côté; s'il prend une fois la place de la gloire, à la suite du dépit des obstacles ou du dégoût des revers, il affaissera une trempe excellente et lui fera trahir sa noble destination.

Lors du premier ministère de Roland, j'eus occasion de voir plusieurs lettres de Barbaroux, adressées plutôt à l'homme qu'au ministre, et qui avaient pour objet de lui faire juger la méthode qu'il

convenait d'employer pour conserver dans la bonne voie des esprits ardens et faciles à s'irriter, comme ceux des Bouches-du-Rhône. Roland, strict observateur de la loi et sévère comme elle, ne savait parler qu'un langage lorsqu'il était chargé de son exécution. Les administrateurs s'étaient un peu égarés; le ministre les avait tancés avec vigueur : ils s'étaient aigris; ce fut alors que Barbaroux écrivit à Roland pour rendre hommage à la pureté d'intention de ses compatriotes, excuser leurs erreurs, et faire sentir à Roland qu'un mode plus doux les ramènerait plutôt et plus sûrement à la subordination nécessaire. Ces lettres étaient dictées par le meilleur esprit et avec une prudence consommée; lorsque je vis leur auteur, je fus étonnée de sa jeunesse. Elles eurent l'effet qui était immanquable sur un homme juste qui voulait le bien; Roland relâcha de son austérité, prit un ton plus fraternel qu'administratif, ramena les Marseillais et estima Barbaroux. Nous le vines davantage après la sortie du ministère; son caractère ouvert, son ardent patriotisme nous inspirèrent de la confiance; ce fut alors que, raisonnant du mauvais état des choses et de la crainte du despotisme pour le Nord, nous formions le projet conditionnel d'une république dans le Midi. « Ce sera notre pis-aller, disait en souriant Barbaroux; mais les Marseillais qui sont ici nous dispenseront d'y recourir. » Nous jugions par ce discours et quelques autres semblables, qu'il se pré

parait une insurrection; mais la confidence ne s'étendant pas plus loin, nous n'en demandions pas davantage. Dans les derniers jours de juillet, Barbaroux cessa presque ses visites, et nous dit, à la dernière, qu'il ne fallait pas juger de ses sentimens à notre égard par le premier aperçu de son absence; qu'elle avait pour objet de ne pas nous compromettre. Il repartit pour Marseille après le dix, et revint député à la Convention. Il y a fait son devoir en homme de courage; plusieurs de ses discours écrits montrent une excellente logique et des connaissances dans la partie administrative du commerce; celui sur les subsistances est, après l'ouvrage de Creuzé-laTouche, ce qu'il y a de meilleur en ce genre; mais il aurait à travailler pour devenir orateur.

Barbaroux, affectueux et vif, s'est attaché à Buzot, sensible et délicat, je les appelais Nysus et Euryale: puissent-ils avoir un meilleur sort que ces deux amis ! Louvet, plus fin que le premier, plus gai que le second, aussi bon que l'un et l'autre, s'est lié avec tous deux, mais plus particulièrement avec Buzot qui lui sert de nœud avec l'autre dont sa gravité naturelle le rend un peu le mentor (1).

(1) Barbaroux, qui avait accusé Robespierre, combattu la Commune, et dont on connaissait le caractère ardent et généreux, partagea les malheurs de ses collègues, comme il avait partagé leurs opinions; arrêté à Saint-Emilion avec Salles et Guadet, il fut condamne à mort, et subit son sort avec courage, le 25 juin 1794. (Note des nouv. éditeurs.}

LOUVET.

LOUVET, que j'ai connu durant le premier ministère de Roland, et dont je recherchais toujours l'agréable société, pourrait bien quelquefois, comme Philopœmen, payer l'intérêt de sa mauvaise mine; petit, fluet, la vue basse et l'habit négligé, il ne paraît rien au vulgaire qui ne remarque pas la noblesse de son front et le feu dont s'animent ses yeux et son visage à l'expression d'une grande vérité, d'un beau sentiment, d'une saillie ingénieuse ou d'une fine plaisanterie. Les gens de lettres et les personnes de goût connaissent ses jolis romans où les grâces de l'imagination s'allient à la légèreté du style, au ton de la philosophie, au sel de la critique. La politique lui doit des ouvrages plus graves, dont les principes et la manière déposent également en faveur de son âme et de ses talens. Il a prouvé que sa main habile pouvait alternativement secouer les grelots de la folie, tenir le burin de l'histoire et lancer les foudres de l'éloquence. Il est impossible de réunir plus d'esprit à moins de prétentions et plus de bonhomie; courageux comme un lion, simple comme un enfant, homme sensible, bon citoyen, écrivain vigoureux, il peut faire trembler Catilina à la tribune, dîner chez les grâces, et souper avec Bachaumont.

Sa Catilinaire ou Robespierride méritait d'être prononcée dans un sénat qui eût la force de faire justice; sa Conspiration du 10 mars est un second morceau précieux pour l'histoire du temps; sa Sentinelle est un modèle de ce genre d'affiche et d'instruction quotidiennes, destinées à un peuple qu'on veut éclairer sur les faits, sans jamais l'influencer que par la raison, ni l'émouvoir que pour le bien de tous, et le pénétrer par des affections heureuses qui honorent l'humanité. C'est une belle opposition à faire avec ces feuilles atroces et dégoûtantes, dont le style grossier, les sales expressions répondent à la doctrine sanguinaire, aux mensonges impurs dont elles sont l'égoût; œuvres audacieuses de la calomnie, payées par l'intrigue à la mauvaise foi, pour achever de ruiner la morale publique, et à l'aide desquelles le peuple, le plus doux de l'Europe, a vu pervertir son instinct, au point que les tranquilles Parisiens, dont on citait la bonté, sont devenus comparables à ces féroces gardes prétoriennes qui vendaient leur voix, leur vie et l'empire au plus offrant et dernier enchérisseur. Écartons ces tristes images et rappelons les esprits aux Observations sur le rapport de Saint-Just contre les députés détenus, par une société de Girondins (1), imprimées à Caen,

(1) Pièce que nous publierons avec différentes relations du 31 mai, et les autres écrits dont parle madame Roland dans ce passage. (Note des nouveaux éditeurs.)

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