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VERGNIAUD.

Il fut, peut-être, l'orateur le plus éloquent de l'Assemblée (1); il n'improvise pas comme Guadet; mais ses discours préparés, forts de logique, brûlans

lit le Calvados. Après la défaite de l'armée de Wimpfen, il chercha un asile à Libourne. On l'arrêta dans la maison de son père; il mourut sur l'échafaud le 17 juillet 1794. On prétend qu'au moment de l'exécution, il voulut haranguer le peuple, mais qu'un roulement de tambours couvrit sa voix. Gensonné fut arrêté après le 31 mai, jugé, condamné et exécuté à Paris, avec vingt de ses collègues.

(Note des nouveaux éditeurs.) (1) Nous transcrivons d'autant plus volontiers le portrait de Vergniaud tracé par M. Paganel, que cet écrivain a saisi plusieurs traits échappés à madame Roland, dont le tableau n'est ici qu'une ébauche.

« Vergniaud, député de la Gironde à l'Assemblée législa»tive et à la Convention nationale, exalta singulièrement, » par ses talens et par son éloquence, les prétentions d'in» fluence et de suprématie que les Girondins affectèrent du»rant l'une et l'autre session. Leur orgueil ne souffrait, sur » ce point, aucune rivalité, et cependant les hommes qui, » exempts de tout esprit de parti, purent étudier le carac» tère de chacun des membres marquans de cette députation, >> attesteront que Vergniaud, qu'elle était si fière de posséder, » lui appartenait moins par sa propre ambition et par ses opinions politiques, que par les sentimens de l'honneur, » que par une sorte de fraternité d'armes. Son goût le por» tait vers le plaisir, bien qu'il préférât aux plaisirs les char

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de chaleur, pleins de choses, étincelans de beautés, soutenus par un très-noble débit, se faisaient lire encore avec un grand plaisir.

Cependant je n'aime point Vergniaud; je lui trouve l'égoïsme de la philosophie; dédaignant les hommes, assurément parce qu'il les connaît bien, il

» mes de la paresse : elle était son Armide; et la gloire de la >> tribune aurait été pour lui sans attraits, si Gensonné, » Guadet, Condorcet, Roland et surtout l'épouse de ce mi»> nistre, l'héroïne et l'adulatrice du parti, n'eussent sans » cesse reproduit à ses yeux les dangers de la patrie et leurs » propres dangers. L'espérance dont on le flattait de com>> battre et de vaincre pour elle et pour ses amis, lui rendait » sa vertu et son courage: ces nobles sentimens qu'embras» sait encore la haine d'une faction qui, du haut de la tri» bune, commandait l'expoliation et le massacre, éclataient >> par intervalles; et la foudre de Mirabeau se rallumait dans » les mains de Vergniaud.

» Représentez-vous un homme que d'autres hommes en» tourent et entraînent, qui ne cherche pas une issue pour » s'échapper, mais qui resterait là, si le cercle se rompait et » le laissait libre. Tel était Vergniaud parmi les Girondins.

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>> Les meneurs l'associèrent à leur ambition et ne parvin>> rent jamais à le rendre ambitieux pour lui-même. Ma» dame Roland répétait souvent qu'on ne pouvait tirer aucun parti de Vergniaud. C'était un Démosthène auquel on pou>> vait reprocher ce que l'orateur grec reprochait aux Athé» niens, l'insouciance, la paresse et l'amour des plaisirs. Il >> sommeillait dans l'intervalle de ses discours, tandis que » l'ennemi gagnait du terrain, cernait la République et la " poussait dans l'abîme avec ses défenseurs.

ne se gêne pas pour eux : mais alors il faut rester particulier oisif, autrement la paresse est un crime, et Vergniaud est grandement coupable à cet égard. Quel dommage qu'un talent, tel que le sien, n'ait pas été employé avec l'ardeur d'une âme dévorée de l'amour du bien public et la ténacité d'un esprit laborieux (1)!

GRANGENEUVE.

Grangeneuve est bien le meilleur humain qu'on puisse trouver sous une figure de la moindre apparence; il a l'esprit ordinaire, mais l'âme vraiment

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Vergniaud avait un sentiment profond de patriotisme et » la conviction de son talent oratoire. S'il n'avait pas le mé» rite de la modestie, une sorte de nonchalance, qui prove» nait de son éloignement pour le travail et pour toute action » forte, lui en donnait l'apparence. Je n'ai pas connu d'homme » plus impropre à jouer un premier rôle sur le théâtre d'une grande révolution. Dans l'imminence du danger, il se mon» tra plus disposé à attendre la mort qu'à la porter dans les » rangs ennemis. On découvre entre lui et Danton des traits frappans de ressemblance. L'un et l'autre crurent à l'invio» labilité des grands maîtres de la tribune; l'un et l'autre » par trop de mépris pour leur ennemi, irritèrent son audace, » repoussèrent la fortune et les dieux. Ils ont donc fait eux» mêmes leur destinée; car ce mépris n'était que le déguise» ment d'un penchant plus impérieux. »>

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(Note des nouveaux éditeurs.) (1) Condamné par le tribunal révolutionnaire, avec vingt et un de ses collègues, il mourut le 31 octobre 1793.

(Note des nouveaux éditeurs.)

grande, et il fait de belles choses avec simplicité, sans soupçonner tout ce qu'elles coûteraient à d'autres que lui.

Dans le courant de juillet 1792, la conduite et les dispositions de la cour annonçant des vues hostiles, chacun raisonnait sur les moyens de les prévenir ou de les déjouer. Chabot disait à ce sujet, avec l'ardeur qui vient de l'exaltation et non de la force, qu'il serait à souhaiter que la cour fît attenter aux jours de quelques députés patriotes; que ce serait la cause infaillible d'une insurrection du peuple, le seul moyen de le mettre en mouvement et de produire une crise salutaire. Il s'échauffe sur ce texte et le commente assez long-temps. Grangeneuve, qui l'avait écouté, sans mot dire, dans la petite société où s'était tenu ce discours, saisit le premier instant de parler à Chabot en secret : « J'ai été, lui dit-il, frappé de vos raisons, elles sont excellentes; mais la cour est trop habile pour nous fournir jamais un tel expédient; il faut y suppléer : trouvez des hommes qui puissent faire le coup, je me dévoue pour la victime. Quoi! vous voulez?... Sans doute : qu'y a-t-il à cela de si difficile? ma vie n'est pas fort utile, mon individu n’a rien d'important; je serai trop heureux d'en faire le sacrifice à mon pays. Ah! mon ami, vous ne serez pas seul, s'écrie Chabot d'un air inspiré; je veux partager cette gloire avec vous.

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Comme vous

voudrez; un est assez, deux peuvent mieux faire en

que

core: mais il n'y a pas de gloire à cela; il faut personne n'en sache rien. Avisons donc aux moyens. >> Chabot se charge de les ménager; peu de jours après, il annonce à Grangeneuve, qu'il a son monde, et que tout est prêt. « Eh bien! fixons l'instant; nous nous rendrons au comité demain au soir; j'en sortirai à dix heures et demie; il faudra passer dans telle rue, peu fréquentée, où il faut aposter les gens; mais qu'ils sachent s'y prendre; il s'agit de bien nous tirer, et non pas de nous estropier. » On arrête les heures; on convient des faits: Grangeneuve va faire son testament, ordonne quelques affaires domestiques sans affectation, et ne manque pas au rendez-vous donné. Chabot n'y paraissait point encore; l'heure arrivée, il n'était pas venu. Grangeneuve en conclut qu'il a abandonné l'idée du partage; mais croyant à l'exécution pour lui, il part; il prend le chemin convenu, le parcourt à petits pas, ne rencontre personne au monde, repasse une seconde fois crainte d'erreur sur l'instant, et il est obligé de rentrer chez lui sain et sauf, mécontent de l'inutilité de sa préparation. Chabot se sauva des reproches par de misérables défaites, et ne démentit point la poltronerie d'un prêtre, ni l'hypocrisie d'un capucin (1).

(1) Grangeneuve, mis en arrestation le 2 juin, fugitif et proscrit, périt à Bordeaux le 21 décembre 1793.

(Note des nouveaux éditeurs.)

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