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avec Meunier et Monge, tous deux de l'Académie des sciences; ils avaient fondé une société populaire dans la section du Luxembourg, dont l'objet, disaient-ils, était l'instruction et le civisme. Pache était fort assidu dans cette société; il semblait consacrer à la patrie, comme citoyen, tout le temps qu'il ne donnait point à ses enfans, et qui séparait les leçons de cours public auxquelles il les conduisait.

J'ai dit ailleurs comment Roland fut appelé au ministère à la fin de mars de cette année là; les bureaux étaient remplis d'agens de l'ancien régime, très-peu disposés à favoriser le nouveau; mais ils avaient la marche des affaires, et il ne fallait pas risquer de désorganiser toute une grande machine, dans ces temps de troubles, pour renouveler des agens on devait donc se borner à les surveiller, et se préparer de loin à les remplacer. Mais, dans la multiplicité des affaires dont le courant journalier entraîne l'homme en place avec une inconcevable rapidité, on ne peut se dissimuler qu'il est facile de le compromettre, s'il n'apporte à tout une attention scrupuleuse qui devient infiniment pénible quand elle est inspirée par la défiance. Dans cette situation, Roland désirait trouver un homme sûr qu'il pût garder toujours près de lui dans son cabinet, à qui il ferait relire une lettre, un rapport, sur quelque objet pressant qu'un autre plus pressant encore ne permettait pas de revoir assez vite, non pour la rédaction, mais pour s'assurer

que les principes adversaires des commis n'auraient point influé sur la manière de poser les faits, ou de déduire les motifs; un homme qu'on pût charger d'aller choisir telle pièce dans tel bureau, ou porter tel ordre verbal sur quelque matière importante. L'idée de Pache se présenta. Pache avait été dans les bureaux de la marine; il connaissait la triture des affaires; Pache avait un sens droit, du patriotisme, des mœurs qui font honorer le choix de l'homme public, et cette simplicité qui n'indispose jamais contre lui. L'idée parut excellente. On fait parler à Pache qui manifeste aussitôt le plus grand empressement de servir Roland, en étant utile à la chose publique, mais sous la condition qu'il conservera son indépendance, sans prendre aucune espèce de titre ni d'appointemens. C'était un noble début. On imagina que, lors d'une nouvelle organisation des bureaux, il serait aisé de voir à quoi il conviendrait plus particulièrement ; et Pache se rendit chez Roland, dans le cabinet duquel il arrivait tous les matins à sept heures, avec son morceau de pain à la poche, et demeurait jusqu'à trois, sans qu'il fût possible de lui faire jamais rien accepter; attentif, prudent, zélé, remplissant bien sa destination, faisant une observation, plaçant un mot qui ramenait la question à son but, adoucissant Roland, quelquefois irrité des contradictions aristocratiques de ses commis.

Roland, excessivement ardent, fort sensible,

mettait un prix infini à la douceur, à la complaisance de Pache, le traitait en ami précieux; et moi, touchée de l'utilité dont je le croyais être à mon mari, je lui prodiguais les témoignages d'estime et les démonstrations d'attachement. Pache n'avait point de style; il ne fallait pas lui donner une lettre à faire, c'était sec et plat; mais on n'avait pas besoin de lui sous ce rapport; et il était utile sous celui pour lequel la surveillance d'un homme fidèle avait été imaginée. Servan, notre ami, appelé à la guerre, effrayé de la complication et du bouleversement de certaines parties, nous envia Pache. «Laissez venir près de moi cet honnête homme, disait-il à Roland; vous n'avez plus besoin de lui, vous êtes cent fois audessus de votre travail, et le chaos des premiers instans une fois débrouillé, cette surveillance d'autrui ne vous est pas nécessaire, tandis que je me trouve, avec une surcharge d'affaires, dans la plus grande pénurie de sujets à qui je puisse me confier. » Ces ministres là croyaient encore qu'il fallait de la capacité pour occuper des places, et qu'on ne pouvait en revêtir personne, sans quelque motif raisonné de lui supposer des moyens de la remplir. Roland consentit; Pache, consulté, se prêta d'aussi bonne grâce aux mêmes conditions qu'il avait faites àRoland. Jeté de ce côté nous ne le vîmes plus guère; mais Servan s'en louait beaucoup. Le ministère fut changé; Roland se tint dans sa retraite, et Pache retourna à sa section. Le 10 août survint, et l'Assemblée légis

lative rappela les ministres patriotes; Roland organisa ses bureaux; Pache avait confirmé qu'il ne voulait pas s'engager, et Roland plaça Faypoult que Pache lui avait donné; homme intelligent, laborieux, exact, qui remplit fort bien la partie de la comptabilité; homme adroit, qui ne se met en opposition avec personne, et trouve fort bon le parti du plus fort.

Nommé à la Convention, dégoûté par les horreurs de septembre, Roland voulut donner sa démission du ministère ; et comme il savait l'extrême embarras dans lequel allaient se trouver les hommes sages pour lui donner un successeur, il crut servir la chose publique en indiquant Pache (1) ; il le fit avec la fran

(1) Le second éditeur des Mémoires de madame Roland raconte, à ce sujet, le trait suivant :

«< Roland, peu de temps après son entrée au second mi»nistère, fut nommé à la Convention par le département de » la Somme, et se proposait de répondre à ce choix; mais » désirant voir au ministère le successeur qu'il croyait le plus

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digne, il jeta les yeux sur Pache: son idée est transmise à >> sa femme; elle se charge de la lettre qu'il fallait écrire à » la Convention. J'étais dans le cabinet de Roland, quand » elle vint en lire le projet lorsqu'elle en fut à l'énuméra» tion des talens et des vertus que Pache apporterait au mi»nistère, Roland, tout ému, embrasse sa femme, des larmes » mouillent ses yeux, et il prononce ces mots que ma mé>>moire a toujours conservés : Ah! comme tu as bien rendu les » sentimens que j'ai pour notre respectable ami! »

Qui pourrait croire, ajoute M. C., qu'à quelques mois de là, et sans qu'il y ait eu, de la part de Roland et de sa femme,

chise de son caractère et l'abandon d'une âme sensible qui s'honore de reconnaître le mérite où elle croit le voir résider.

Pache, qu'il n'avait pas prévenu de son intention, et qui avait refusé, peu avant, l'intendance du gardemeuble pour laquelle il offrit Restout que Roland nomma sur son témoignage, Pache parut fort content de rester libre; et cependant il accepta de Monge une mission pour Toulon où il se rendit et fit des sottises, à ce que j'ai su depuis.

La santé de Servan l'obligeant à quitter la guerre, l'homme qui avait été présenté par Roland fut porté à ce département, comme celui dont on pouvait être le plus sûr pour les principes, et qui ne devait pas être sans moyens quant aux talens. Nous écrivîmes à Pache sa nomination, en le pressant d'accepter; mais cela n'était probablement pas nécessaire; car cet homme, si jaloux de son indépendance, ne parut pas avoir la plus légère inquiétude sur le fardeau dont on le chargeait, et il le prit sans hésiter. De retour à Paris, il vint nous voir; nous l'entretinmes avec confiance de la disposition des esprits, du parti que formait la députation parisienne, des excès de la Commune, des dangers que semblait courir la liberté de la Convention, et surtout de ceux que pouvait faire courir la domination d'hommes

d'autres procédés à l'égard de Pache, cet homme devint le plus implacable, le plus cruel de leurs ennemis ?

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