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tretenir des opinions relatives, ils ont cru qu'il devait suffire de réclamer opiniâtrément la justice, de dire constamment la vérité, de s'immoler ou s'exposer à tout, plutôt que de les trahir; et ils sont déclarés traîtres à la patrie!

Je veux consigner ici un fait assez marquant. On a vu ailleurs que, durant le premier ministère patriote, il avait été arrangé que le ministre des affaires étrangères prendrait sur les fonds attribués à son département, pour dépenses secrètes, quelques sommes qu'il remettrait au maire de Paris, tant pour la police qui se réduisait à zéro faute de moyens, que pour des écrits destinés à contrebalancer ceux de la cour. Dumouriez ayant quitté ce département, il fut question du même objet avec d'Abancourt, c'est-à-dire des fonds nécessaires à la police seulement. D'Abancourt ne voulut rien faire de lui-même ; mais il prétendit que c'était une chose à faire goûter au roi, et dont il ne pouvait manquer de sentir la justice. Le roi ne goûta pas la proposition, et répondit, en propres termes, « qu'il ne donnerait pas des verges pour se fouetter;» c'était de bon sens, puisqu'il n'était pas constitutionnel de bonne foi, et l'on pouvait s'attendre à cette réponse. Mais peu de jours après, Lacroix, ce collègue actuel de Danton, avec lui déprédateur de la Belgique, persécuteur des honnêtes gens et dominateur du jour; Lacroix, qui siégeait alors à l'Assemblée législative, et qu'on savait aller au château, se rendit

chez Pétion pour lui assurer la libre disposition de trois millions, s'il voulait en user de manière à soutenir Sa Majesté; proposition que le maire, dans son caractère, devait trouver plus offensante que le roi n'avait pu trouver l'autre déplacée ; aussi fut-elle rejetée, malgré l'accueil très-particulier qu'il reçut du roi dans le même temps; car ayant été appelé au château, au lieu d'y trouver le roi environné comme à l'ordinaire, ne l'ayant jusque-la jamais vu seul, il fut introduit dans son cabinet où personne autre ne paraissait être, et Louis XVI lui prodigua les témoignages d'affabilité, d'intérêt, même ces petites cajoleries aimables qu'il savait fort bien distribuer à volonté. Le léger bruit d'un froissement d'étoffe de soie, derrière la tenture, persuada à Pétion que la reine était présente sans être visible, et les caresses du roi le convainquirent de sa fausseté: il resta ferme et honnête, sans céder au prince qui tentait de le corrompre, de même que, sans flatter le peuple, il voulut ensuite l'appeler à lui pour le jugement de ce même roi, tandis que Lacroix, qui l'avait servi, et s'en était probablement fait payer, ne trouvait pas qu'on pût l'envoyer trop tôt à la mort (1).

(1) Il partagea le triste sort de Buzot: voyez la note de la page 166.

PACHE.

On a dit avec raison que le talent de connaître les hommes devait être le premier chez ceux qui gouvernent; leurs erreurs dans ce genre sont toujours les plus funestes. Mais l'exercice de ce talent si difficile, le devient bien plus encore dans les temps de révolution ; et enfin il est tel degré d'hypocrisie dont il n'y a plus de honte à être dupe, car il faudrait être pervers pour le soupçonner (1).

J'avais rencontré, dans ma jeunesse, chez une

(1) Portrait de Pache, par Mercier :

« C'était un Suisse : il fut plus fatal à la France qu'une » armée ennemie. Il se mit à la tête d'une association mons» trueuse qui s'était formée des principaux auteurs des mas» sacres de septembre. Ces hommes, sans aucune espèce de » fortune, vivaient cependant dans une sorte de luxe qui, » quoique extrêmement crapuleux, exigeait néanmoins de » très-fortes dépenses: qui payait ces dépenses? Pache; et » où délibéraient-ils? dans la salle des Jacobins pendant leur » absence. Ils étaient aux Jacobins ce que les Capucins étaient » aux Jésuites, émissaires, espions. C'est de cette horde que » sont sortis la plupart des coupe-jarrêts qui ont causé tant » de désordres dans Paris et dans ses environs. Il en sortit > aussi des écrivains. Quels écrivains!.... On vit les rues » couvertes d'adresses et de pétitions, toutes plus atroces les » unes que les autres; les gens sensés méprisaient ces pla» cards, mais la population les lisait, et on l'entendait s’ab» soudre du sang qu'elle avait bu. Ces brigands subalternes » eurent l'audace de demander le rapport du décret qui or

de mes parentes, Gibert, employé dans les postes, qui avait ce degré d'aménité, compagne ordinaire du goût des beaux-arts. Gibert, homme honnête et tendre père, s'amusait à la peinture, cultivait la musique, et se faisait estimer des personnes de sa connaissance par sa probité. Il était extrêmement attaché à un homme, son ami par excellence, dont il vantait le rare mérite avec l'enthousiasme du dévouement et la modestie d'un individu qui s'estime fort inférieur. Je vis quelquefois cet ami dans lequel on ne pouvait remarquer, au premier coupd'œil, qu'une simplicité extrême ; mais je ne fus pas à portée de l'apprécier, car je le rencontrai peu, et je ne voyais pas souvent Gibert lui-même ; j'appris seulement par lui que son ami, c'était Pache, amoureux de la vie champêtre, seule convenable à ses mœurs patriarchales; de la liberté, dont ses connaissances lui faisaient mesurer tous les avantages, abandonnait en France une place honnête dans l'admi

> donnait la poursuite des septembriseurs. Il y eut opposi» tion courageuse de plusieurs députés; il y eut une lutte » qui dura pendant plus de deux heures. Ce jour-là, la Mon>> tagne semblait vouloir s'écrouler tout entière sur les dé» putés généreux. Ceux-ci furent vaincus; la Convention »> nationale ordonna que l'exécution de son premier décret >> contre les septembriseurs serait suspendue. Dès ce jour la >> porte fut ouverte à l'impunité, et tous les protecteurs d'as»sassins marchèrent tête levée. »

(Note des nouveaux éditeurs.)

nistration, pour s'établir en Suisse avec sa famille. Je sus par la suite qu'ayant perdu sa femme, voyant ses enfans soupirer pour Paris, et la Révolution préparer l'affranchissement national, il prenait le parti de revenir; enfin que, satisfait de l'aisance que lui procurait l'échange de ses propriétés et l'acquisition heureuse d'un domaine national, il avait renvoyé à un ci-devant ministre les contrats d'une pension qu'il tenait de lui.

Il ne fallait pas se trouver fréquemment avec Gibert, et connaître sa liaison avec Pache, pour être informé de tout ce qui pouvait être dit d'avantageux sur celui-ci. Dans le mois de janvier 1792, il nous l'amena, et je le vis de loin en loin. Pache, ainsi que je l'ai déjà observé, porte le masque de la plus grande modestie; elle est même telle, qu'on est tenté d'adopter l'opinion qu'il paraît avoir de lui, et de ne pas le prendre pour une grande valeur. Mais on lui tient compte de cette modestie, quand on découvre qu'il raisonne avec justesse et qu'il n'est pas dénué de connaissances. Comme il a infiniment de réserve et ne se découvre jamais à nu, on ne tarde pas de soupçonner qu'il en sait plus qu'il n'en dit, et l'on finit par lui croire d'autant plus de mérite qu'on avait été près de commettre l'injustice de ne point lui en accorder. Un homme qui parle peu, qui écoute avec intelligence tout ce dont on peut traiter, et se permet quelques observations bien placées, passe aisément pour habile. Pache s'était lié

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