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qui les appuient se retrouvent toujours. Buzot improvisait fréquemment, travaillait peu d'ailleurs; mais ne manquait jamais de s'élever contre tout système pervers ou nuisible à la liberté. Son rapport sur la garde départementale (1), dont on a si fort décrié le projet, contient des raisons auxquelles on n'a pas répondu; celui sur la loi proposée contre les provocateurs au meurtre, renferme la plus saine politique, et cette philosophie, vraie comme la nature, forte comme la raison sur lesquelles elle s'appuie; sa proposition du bannissement des Bourbons, développée avec précision, motivée avec justesse, est écrite avec grâce et chaleur; son opinion sur le jugement du roi, nourrie de choses et de raisons, n'a rien du pathos et des divagations auxquels ce sujet a donné lieu à tant de harangueurs; enfin ses lettres à ses commettans, des 6 et 22 janvier, peignent son âme avec une vérité qui les fera rechercher. Quelques lutteurs de sa force auraient pu donner à la Convention l'impulsion qui lui était nécessaire; mais les autres hommes à talens, paraissant se ménager comme orateurs pour les grandes occasions, négligeaient trop le combat journalier, et ne se mé

(1) Ce projet de Buzot avait été concerté par la Gironde, pour donner à la représentation nationale une force militaire capable de la protéger contre les attaques de la Commune de Paris et les mouvemens populaires.

(Note des nouveaux éditeurs.)

fièrent point assez de la tactique de leurs médiocres adversaires (1).

PÉTION.

VÉRITABLE homme de bien et homme bon, il est incapable de faire la moindre chose qui blesse la probité, comme le plus léger tort ou le plus petit chagrin à personne; il peut négliger beaucoup de choses pour lui, et ne saurait exprimer un refus d'obliger qui que ce soit au monde (2). La sérénité

(1) Mis en arrestation le 2 juin, Buzot s'échappa et rejoignit plusieurs de ses collègues à Évreux. Il partagea leur fuite et leurs malheurs, après la défaite de la petite armée que Félix de Wimpfen, commandant du Calvados et partisan des Girondins, avait fait marcher sur Paris. Il erra longtemps au milieu des bois et des rochers, avec Pétion, son compagnon d'infortune, et, suivant toute apparence, le poison termina leurs jours. On retrouva leurs corps déchirés par des loups.

Le caractère, les talens de Buzot, l'opiniâtreté de ses attaques contre la Commune et la Montagne, l'avaient rendu, plus qu'aucun autre des membres de la Gironde, odieux aux Jacobins. On lui supposa des intelligences avec la Vendée, et la Convention ordonna que la maison qu'il avait à Évreux serait rasée, et qu'on élèverait sur ses ruines un poteau auquel serait attachée cette inscription: Ici demeurait le scélérat Buzot qui conspirait contre la République.

(Note des nouveaux éditeurs.) (2) Mercier, dans son Nouveau Tableau de Paris, M. Paganel, dans son Essai historique et critique sur la Révolution

d'une bonne conscience, la douceur d'un caractère facile, la franchise et la gaieté distinguent sa physionomie. Il fut maire prudent, représentant fidèle; mais il est trop confiant et trop paisible pour prévoir les orages et les conjurer. Un jugement sain,

française, ont tracé les portraits de plusieurs personnages déjà peints par madame Roland. Nous pensons qu'on nous saura gré de placer ici quelques-uns de ces portraits. Voici de quelle manière le premier de ces écrivains a représenté Pétion :

<< Il avait une contenance fière, une figure assez belle, un » regard affable, une éloquence douce, des mouvemens, du » talent et de l'adresse ; mais ses manières étaient composées, » ses yeux se doublaient, et il avait dans les traits quelque » chose de luisant qui repoussait la confiance. Dès les pre» miers jours de la Constituante, il y figura, parce qu'il parlait bien et qu'il était membre du tiers. Ami inséparable de » Robespierre, leurs principes étaient alors si conformes et » leur intimité si marquée, qu'on les appelait les deux doigts » de la main. On continua de les mettre sous la même acco» lade jusqu'à la fin de 1792. Il est vrai qu'à cette époque ils » se détestaient déjà cordialement l'un et l'autre. Robespierre » n'était plus rien, il ne voulait même rien être, parce qu'il » se réservait pour l'anarchie; car il n'était pas fait pour >> briller dans une carrière purement constitutionnelle. Pé» tion, au contraire, avait abandonné l'Angleterre où il vi>> vait avec madame de Genlis, pour succéder à Bailly dans >> les fonctions de maire de Paris; et il s'était acquis dans » cette place une telle popularité, surtout après sa destitution » à la suite des événemens du 20 juin, que Robespierre n'é» tait plus en état de lui pardonner l'idolâtrie qu'on lui por

des intentions pures, ce qu'on appelle la justesse de l'esprit, caractérisent ses opinions, et ses écrits, marqués au coin du bon sens plus qu'à ceux du talent. Il est froid orateur, et lâche dans son style, comme écrivain. Administrateur équitable et bon

» tait. Il ne le regarda plus qu'avec envie ; ce n'était plus à » ses yeux qu'un rival, puisque le peuple criait : Vive Pé» tion! Pétion ou la mort! puisque cette exclamation se lisait » sur tous les chapeaux, sur toutes les murailles.

» Pétion, cependant, tenait trop bien pour qu'on pût l'atta» quer ouvertement ; aussi joua-t-il un grand rôle au 10 août. » Il avait plusieurs fois visité tous les postes du château, pen» dant la nuit qui précéda cette journée célèbre ; et ces soins » n'avaient pas été perdus, puisqu'ils en avaient assuré le » succès. Mais les jours de Pétion étaient si précieux alors, » qu'un décret lui défendit de s'exposer davantage; et l'on » vit long-temps sur les portes du château cette inscription : » Ici le maire de Paris eût été assassiné, si un décret du Corps » législatif n'eût sauvé ses jours.

>>

» Il était encore maire de Paris pendant les boucheries de septembre; mais les conjurés l'avaient consigné à la mairie, » en sorte qu'il était pur de ces massacres. Quand Manuel fit » à la Convention nationale la proposition de donner à son

président une garde d'honneur et un logement aux Tuile»ries, Pétion venait d'être porté à la présidence. A la for»mation de l'Assemblée, certaines gens disaient qu'il visait au » trône, et quantité d'autres désiraient qu'il y montât. Mais » tout-à-coup il devint un objet de haine, et fut mis hors de » la loi à la suite du 31 mai (*). »

(*) Voyez la note de la page 166.

(Note des nouveaux éditeurs.)

citoyen, il était fait pour pratiquer les vertus dans une république, et non pour fonder un tel gouvernement chez un peuple corrompu qui le regarda, durant quelque temps, comme son idole, et se réjouit de sa proscription comme de celle d'un

ennemi.

Lors de l'Assemblée constituante, au temps de la révision, j'étais un jour chez la femme de Buzot, lorsque son mari revint de l'Assemblée fort tard, amenant Pétion pour dîner. C'était l'époque où la cour les faisait traiter de factieux, et peindre comme des intrigans tout occupés de soulever et d'agiter. Après le repas, Pétion, assis sur une large ottomane, se mit à jouer avec un jeune chien de chasse avec l'abandon d'un enfant; ils se lassèrent tous deux et s'endormirent ensemble, couchés l'un sur l'autre: la conversation de quatre personnes n'empêcha pas Pétion de ronfler. « Voyez donc ce factieux, disait Buzot en riant; nous avons été regardés de travers en quittant la salle, et ceux qui nous accusent, très-agités pour leur parti, s'imaginent que nous

sommes à manœuvrer. »

Cette scène et ce discours se sont fréquemment retracés à ma mémoire depuis ces temps malheureux où l'on accuse et proscrit Pétion et Buzot comme royalistes, avec autant de raison que la cour les accusait alors d'intrigue. Toujours seuls, avec leurs principes, ne communiquant avec les hommes qui en professaient de semblables, que pour s'en

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