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NOTICES HISToriques sur LA RÉVOLUTION.

je puis me trouver sans honte et même avec plaisir. J'y trouve celle d'un juge de paix à qui sa voisine a prêté des propos dits inciviques; j'y rencontre celle du président du tribunal révolutionnaire ; j'y vois madame Pétion. « Je ne croyais guère, lui dis-je en l'abordant, lorsque je fus à la mairie, le 10 août 1792, partager vos inquiétudes, que nous ferions l'anniversaire à Sainte-Pélagie, et que la chute du trône préparât notre disgrâce.

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FIN DES NOTICES HISTORIQUES.

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D'UN caractère élevé, d'un esprit fier et d'un bouillant courage, sensible, ardent, mélancolique et paresseux, il doit quelquefois se porter aux extrêmes. Passionné contemplateur de la Nature, nourrissant son imagination de tous les charmes qu'elle

(1) Sur l'enveloppe qui renfermait le manuscrit de cette partie des Mémoires, se trouvait la note suivante de la main de madame Roland: « Le 31 août, je ferme ce travail fait à » la hâte, comme matériaux, sous le titre de Portraits et Anec» dotes, commencé le 8 de ce mois, pour réparer ce qui fut » perdu. Je ferme également les trois premiers cahiers de mes >> Mémoires commencés le 9, et je suis fort étonnée d'avoir

peut offrir, son âme des principes de la plus touchante philosophie, il paraît fait pour goûter et procurer le bonheur domestique; il oublierait l'univers dans la douceur des vertus privées, avec un cœur digne du sien; mais jeté dans la vie publique, il ne connaît que les règles de l'austère équité; il les défend à tout prix. Facile à s'indigner contre l'injustice, il la poursuit avec chaleur, et ne sait jamais composer avec le crime. Ami de l'humanité, susceptible des plus tendres affections, capable d'élans sublimes et des résolutions les plus généreuses, il chérit son espèce, et sait se dévouer en républicain; mais juge sévère des individus, difficile dans les ob

» écrit environ trois cents pages en vingt-deux jours, dans » mes instans de liberté d'esprit, lorsque je consacrais encore >> tant de momens au repos, à la rêverie, au clavecin et à la » société, à cause du séjour de madame Pétion, arrivée ici la » nuit du 9 au 10; que ne fait-on point en allant toujours!» Ces portraits si rapidement esquissés, sont une des parties les plus piquantes de ce recueil; et ce manuscrit, fait en vingt-deux jours, ne contient pas de ratures. M. le baron Trouvé, lorsqu'en l'an III (1795) il rendit compte des Mémoires de madame Roland dans le Moniteur, dit, en parlant des Portraits : « Ils étincèlent d'esprit; on y remarque des >> rapprochemens heureux; l'auteur y mêle des anecdotes cu>> rieuses, agréables, intéressantes, atroces. » Trois portraits inédits, ceux de Chénier, de Dusaulx et de Mercier, augmenteront cette petite galerie. Ils se trouvaient į armi les manuscrits dont nous sommes redevables à la bienveillance de (Note des nouveaux éditeurs.)

M. Bosc.

jets de son estime, il ne l'accorde qu'à fort peu de gens: cette réserve, jointe à l'énergique liberté avec laquelle il s'exprime, l'a fait accuser de hauteur, et lui a donné des ennemis. La médiocrité ne pardonne guère au mérite; mais le vice hait et poursuit la vertu courageuse qui lui déclare la guerre. Buzot est l'homme le plus doux de la terre pour ses amis, et le plus rude adversaire des fripons. Jeune encore, la maturité de son jugement et l'honnêteté de ses mœurs lui valurent l'estime et la confiance de ses concitoyens. Il justifia l'une et l'autre par son dévouement à la vérité, par sa fermeté, sa persévérance à la dire. Le commun des hommes, qui déprécie ce qu'il ne peut atteindre, traite sa pénétration de rêverie; sa chaleur, de passion; ses pensées fortes, de diatribes; son opposition à tous les genres d'excès, de révolte contre la majorité : on l'accusa de royalisme, parce qu'il prétendait que les mœurs étaient nécessaires dans une république, et qu'il ne faut rien négliger pour les soutenir ou les rectifier; de calomnier Paris, parce qu'il abhorrait les massacres de septembre, et ne les attribuait qu'à une poignée de bourreaux gagés par des brigands; d'aristocratie, parce qu'il voulait appeler le peuple à l'exercice de sa souveraineté dans le jugement de Louis XVI; de fédéralisme, parce qu'il réclamait le maintien de l'égalité entre tous les départemens, et s'élevait contre la tyrannie municipale d'une Commune usurpatrice : voilà ses crimes. Il eut aussi des travers. Avec une

figure noble et une taille élégante, il faisait régner dans son costume ce soin, cette propreté, cette décence, qui annoncent l'esprit d'ordre, le goût et le sentiment des convenances, le respect de l'homme honnête pour le public et pour soi-même.

Ainsi, lorsque la lie de la nation portait au timon des affaires des hommes qui faisaient consister le patriotisme à flatter le peuple pour le conduire, à tout renverser et envahir pour s'accréditer et s'enrichir, à médire des lois pour gouverner, à protéger la licence pour s'assurer l'impunité, à égorger pour affermir leur pouvoir, à jurer, boire et se vêtir en portefaix pour fraterniser avec leurs pareils; Buzot professait la morale de Socrate et conservait la politesse de Scipion le scélérat!..... Aussi l'intègre Lacroix, le sage Chabot, le doux Lindet, le réservé Thuriot, le savant Duroi, l'humain Danton et leurs fidèles imitateurs, l'ont déclaré traître à la patrie; ils ont fait raser sa maison et confisquer ses biens, comme autrefois on bannit Aristide et condamna Phocion. Je m'étonne qu'ils n'aient point décrété qu'on oublierait son nom : ç'eût été plus conséquent à leurs vues, que de prétendre le conserver avec des épithètes que désavoue l'évidence.

On ne peut point effacer de l'histoire la conduite de Buzot dans l'Assemblée constituante, ni supprimer ses sages motions, ses vigoureuses sorties dans la Convention. Quelle que soit l'altération des opinions dans des journaux peu fidèles, les principes

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