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entre quatre et cinq heures, au moment où tous les gens de travail viennent de quitter leurs bureaux pour chercher à dîner; il allait demander des voitures, dont ce ministre ne dispose pas : furieux de ne point trouver Garat, il jure, fulmine, rompt des pieds de chaise et de table (1), va chez le premier commis Champagneux, l'injurie, fait ouvrir les paquets disposés pour être envoyés à la poste, trouve mauvais ce qu'ils renferment; c'était une espèce de Mémoire, en forme de questions, destiné à se procurer des lumières sur l'état des campagnes : il arrange, dans sa tête enflammée, une dénonciation qu'il fait le lendemain à l'Assemblée, et sur laquelle on décrète que Garat et Champagneux seront traduits à la barre de la Convention.

Garat vient à la barre, ne se plaint point de Collot, explique doucement sa conduite, flagorne l'auguste assistance, et est renvoyé à ses fonctions : Champagneux, d'abord effrayé, caché, vient pourtant se présenter; on le renvoie au comité, et le comité le fait conduire prisonnier à la Force (2).

(1) Ces faits peuvent paraître exagérés ; ils ne sont qu'exacts, je les tiens d'un témoin non suspect.

(2) Le député Clootz eut beaucoup de part à mon arrestation. Porteur du décret qui me renvoyait au comité de sûreté générale, pour m'entendre et faire un rapport, je m'étais rendu dans le local où il tient ses séances; je ne pus être admis dans la salle d'assemblée. Pendant que j'étais à attendre, passe Clootz, que j'avais vu souvent chez le député Lamou

Garat sollicité, intéressé pour lui-même à la liberté de Champagneux, dont il ne peut se passer, se rend au comité pour l'obtenir; il explique inutilement que sans le travail de cet homme, versé dans les affaires, il lui est impossible de rester au ministère : ses amis, comme Barrère, si de tels gens sont amis, lui font d'abord espérer qu'en donnant une démission combinée, on lui rendra Champagneux pour le faire rester mais les autres s'expliquent enfin plus clairement. Il faut nommer à la place de Champagneux; sa liberté, sa vie, sont à ce prix ; il faut y nommer une créature du comité, jeune homme de vingt-six ans, qui n'a nulle expérience des affaires,

rette, où il dînait invariablement un jour de chaque semaine. Il me demande les motifs de ma visite au comité; je ne lui en fais pas mystère : il m'offre ses bons offices pour remettre le décret, et faire régler le moment où je serais entendu; j'accepte, et il me promet une prompte réponse. Elle tarda cependant trop pour ne pas m'inspirer quelques soupçons. Après une demi-heure, je vois sortir Clootz du comité : « Et mon affaire ? — Dans un moment; » et il court sans me dire autre chose. Un demi-quart-d'heure après, je suis entouré de gendarmes qui se disent porteurs d'un ordre du comité, pour me transférer à la Force. Je ne mis plus de doute alors que Clootz fût le provocateur, de cet ordre. Il se rappela le mépris qu'il avait inspiré chez Roland, et l'exclusion de la table de ce ministre, dont ce mépris avait été la suite : il trouva doux de s'en venger sur son ami; il plaida donc mon arrestation, l'obtint, et alla lui-même chercher des gendarmes pour la mettre à exécution. (M. C.)

pro

aucune espèce de savoir, mais que le comité tége; Garat, qui ne refusa jamais rien à ses maîtres, nomme et se retire ensuite, abandonnant enfin le ministère qu'il ne lui est pas possible de remplir (1). Mais Champagneux n'est pas libre, et la quatrième semaine de sa détention s'est déjà écoulée. Au moment où il fut menacé de l'arrestation, car Collot la lui avait annoncée comme un acte qui allait suivre sa volonté, Champagneux avait chez lui presque toutes mes Notices historiques, dont il voulait avoir une copie, pour en assurer l'existence par un double exemplaire; inquiet, agité, jugeant bien que les principes qui les ont dictées, que la liberté avec laquelle elles sont écrites, sont des titres à un supplice certain, il les brûle. Et voilà les régisseurs de I'Empire! Un Collot, comédien de profession, à côté duquel siége un juge des départemens méridionaux, qui naguère le condamna à un an de prison, pour une vilaine action commise lorsqu'il courait les tréteaux, et pour laquelle plusieurs juges avaient opiné

(1) On nomma, à sa place, Paré, autrefois maître-clerc de Danton, qui l'avait fait nommer secrétaire du Conseil au départ de Grouvelle ; et l'ex-ministre Garat, content de pouvoir opérer un échange, qui, le délivrant d'une place de responsable, lui en offre encore une de vingt mille livres d'appointemens, devient secrétaire du Conseil. Il n'est pas hors de propos de remarquer que Desforgues, ministre des affaires étrangères, est aussi un ancien clerc de Danton.

aux galères ! Une grande force de poumons, le jeu d'un farceur, l'intrigue d'un fripon, les écarts d'une mauvaise tête et l'effronterie de l'ignorance, tels furent ses moyens de succès dans les clubs, particulièrement aux Jacobins, qui osèrent bien parler de lui lors de la formation du ministère patriote, sous le règne de Louis XVI.

Collot se crut frustré en voyant appeler Roland à l'intérieur, où il avait porté ses vues; Roland lui parut un ennemi d'autant plus haïssable, qu'il n'en était point remarqué : dès-lors, sa puissance clubiste fut dirigée contre lui, et cette disposition, jointe à ses autres qualités relatives, lui valut d'être porté à la Convention dans la députation de Paris.

Champagneux, détenu, regrette moins encore sa liberté que le plaisir d'adoucir quelquefois ma captivité, et je souffre de la sienne qu'il doit à ses rapports avec Roland et moi; j'invite Bosc, qui déjà a donné sa démission de la place d'administrateur des postes, de ne pas courir les risques de la aétention, en me faisant des visites, et je le vois une fois la semaine, pour ainsi dire à la dérobée. Au milieu de ces douleurs, on se repose pourtant avec moi, dans la jolie chambre où la sensible madame Bouchaud m'a soustraite à toutes les apparences de la prison; j'y ai bien le petit désagrément d'un gendarme, dont poste est précisément vis-à-vis de ma fenêtre, de laquelle il faut que je tienne toujours les rideaux fermés, et qui vient quelquefois auprès, pour écou

le

ter ce qui se dit lorsque je ne suis pas seule ; j'y ai l'ennui de l'affreux aboiement de trois gros chiens, dont la loge est à dix pas; je suis aussi à côté d'une grande pièce, qui s'appelle fastueusement la salle du conseil, et dans laquelle se tiennent les administrateurs de police quand ils viennent faire quelque interrogatoire. Je dois à ce voisinage la connaissance de scènes étranges dont je vais dire un mot. Deux hommes, dont j'ai su les noms, mais que j'ai oubliés ou que je ne cite pas, parce que ceux de tels gredins ne méritent point d'être consignés, avaient été faits prisonniers pour malversations dans l'administration de l'habillement des troupes, dans laquelle ils sont employés; ils avaient pour amis, ou complices, des gens de leur sorte qui venaient les visiter, et ces gens étaient précisément des administrateurs de police. Dans cette qualité, ceux-ci, chargés de maintenir l'ordre dans les prisons, de surveiller les concierges, etc., venaient à Sainte-Pélagie, une ou deux fois la semaine, avec d'autres amis comme eux, au nombre de dix à douze, quelquefois davantage, faisaient venir dans la salle du conseil les deux prisonniers chéris, et là, demandant au concierge, chapons, poulets, œufs, vin, liqueurs, café, etc., les mangeaient à ses dépens, et s'établissaient en orgies permanentes durant quatre ou cinq heures. On n'imaginera jamais, et certes, je n'entreprendrai pas de rendre la joie brutale, la grossièreté des propos, l'infamie de ces festins. Le mot de patriotisme, ap

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