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Une femme étonnante, ne consultant que son courage, est venue donner la mort à l'apôtre du meurtre et du brigandage; elle mérite l'admiration de l'univers mais faute de bien connaître l'état des choses, elle a mal choisi son temps et sa victime. Il était un plus grand coupable que sa main aurait dû immoler de préférence; la mort de Marat n'a fait que servir ses abominables sectateurs; ils ont transformé en martyr celui qu'ils avaient pris pour un prophète. Le fanatisme et la friponnerie, toujours d'accord, ont tiré de cet événement un avantage comparable à celui que leur avaît déjà procuré l'assassinat de Lepelletier (1). Certes, il avait été trop

(1) Lepelletier de St.-Fargeau, l'un des juges de Louis XVI, assassiné la veille du 21 janvier, chez un restaurateur du Palais-Royal.

Pendant long-temps la Montagne s'efforça d'associer Lepelletier de Saint-Fargeau et Marat: sur tous les points de la France on leur élevait des tombeaux, on prononçait des discours, on célébrait des fêtes en leur honneur. Comme il entre dans le plan de notre ouvrage de rassembler, pour la génération présente, tout ce qui peut lui donner une idée des mœurs, des cérémonies et du langage de ce temps, nous avons cherché, parmi plus de quarante petites Pièces, toutes relatives à l'apothéose de Marat, la plus curieuse à conserver. Nous nous sommes décidés à publier, quant à présent, celle qu'on trouvera dans les Éclaircissemens historiques (N), parce qu'elle contient, outre des discours et des chansons, le procès-verbal de la fête célébrée par la Société des Sans-Culottes de Bourg-Régénéré, lors de l'inauguration du buste de (Note des nouveaux éditeurs. )

Marat.

funeste, pour que les députés fugitifs, très-étrangers à l'action de Paris, ne le fussent pas également à celle de Corday; mais leurs adversaires saisirent un nouveau moyen de les noircir dans l'esprit du peuple. Les plus francs républicains, les seuls hommes de l'Assemblée qui réunissent, au courage de l'austère probité, l'autorité du talent et des lumières, furent présentés comme des fauteurs du despotisme et de vils conspirateurs. Tantôt on les suppose d'accord avec les rebelles de la Vendée; on fait trouver sur les sabres des guerriers qui avaient voulu les servir, l'inscription: Vive Louis XVII! tantôt on les accuse de travailler à partager la France en petites républiques, et on les fait maudire comme fédéralistes : c'est avec la même justesse que l'on met Brissot à la solde de l'Angleterre, et que, dans un rapport envoyé à tous les départemens, on dépeint gravement sa femme retirée dans les appartemens de la reine, à Saint-Cloud, et tenant des conciliabules politiques.

Rien n'est si plaisant pour qui connaît la femme de Brissot, adonnée aux vertus domestiques, absorbée par les soins du ménage, repassant elle-même les chemises de son mari, et regardant à travers le trou de sa serrure, pour savoir si elle doit ouvrir à ceux qui frappent; prenant à loyer une petite vilaine chambre au village de Saint-Cloud, pour avoir la facilité de promener au grand air l'enfant qu'elle vient de sevrer: mais bientôt elle est saisie, amenée

à Paris et gardée à vue. La femme de Pétion, qui allait dans sa famille laisser passer le temps des orages, est arrêtée avec son fils. Miranda, qu'avait acquitté le tribunal révolutionnaire, est de nouveau traduit en prison, comme suspect, sur les dénonciations de son valet, espion de Pache : tous les généraux sont mis en arrestation; Custine, dont j'ai ouï dire aux princes de Linange qu'il était le plus redouté d'entre eux par les Autrichiens, est menacé de perdre la tête. La désorganisation s'étend sur toute la face de la France, et la guerre civile s'allume çà et là. L'acceptation de la constitution ne peut valoir à Lyon l'oubli de la justice que cette ville a osé faire, de deux ou trois brigands maratistes on veut qu'elle livre les têtes de ses plus riches habitans, et une somme considérable; on rappelle les troupes des frontières, qu'on expose aux ravages de l'ennemi, pour exciter des frères les uns contre les autres, et faire répandre le sang français par des Français mêmes la fière Marseille envoie des secours aux Lyonnais. Cependant l'ennemi s'avance au Nord; Valenciennes n'existe plus, Cambrai est bloqué; les voltigeurs autrichiens paraissent jusqu'aux environs de Péronne. Paris, comme une autre Babylone, voit son peuple abruti courir à des fêtes ridicules, ou se rassasier des supplices d'une foule de malheureux sacrifiés à sa féroce défiance; tandis que les égoïstes remplissent encore les théâtres; que le timide bourgeois se ferme tremblant chez lui, où il

n'est pas assuré de se coucher, s'il plaît à son voisin d'aller dire qu'il a tenu des propos inciviques, blâmé la journée du 2 juin, pleuré sur les victimes d'Orléans, envoyées à mort sans preuves de la prétendue intention d'un assassinat qui n'a pas été commis, dans la personne de l'infâme Bourdon (1). O mon pays! dans quelles mains es-tu tombé! Chabot et ses pareils annoncent que Roland est à Lyon, attestent qu'il soulève cette ville, veulent le décréter d'accusation, et moi avec lui; et dans le même temps ils font fouiller les caves de l'Observatoire, ils font investir la maison d'un de ses amis, où ils supposent qu'il peut être caché.

Tous mes amis sont proscrits, fugitifs ou arrêtés : mon mari ne se dérobe à la fureur de ses adversaires, que par une retraite comparable à la plus dure détention; il fallait encore que le petit nombre de ceux qui viennent me consoler subissent la persécution.

(1) Une rixe s'éleva dans Orléans, au sujet du représentant Léonard Bourdon qui s'y trouvait en mission. On présenta cette rixe comme le résultat d'un complot formé contre sa vie. A l'instant, on désarma la garde nationale d'Orléans ; les fonctionnaires furent amenés à la barre de la Convention, et les citoyens déclarés rebelles tant qu'ils n'auraient pas livré les auteurs des troubles. Quelque temps après, un grand nombre d'Orléanais furent exécutés à Paris, au moment même où leurs parens et leurs amis s'efforçaient inutilement de pénétrer dans la Convention pour implorer leur grâce.

(Note des nouveaux éditeurs.)

Grandpré, dînant avec un homme qu'il ne savait pas être juge de paix, ni du tribunal d'arrondissement, gémit sur la négligence de ces officiers qui laissent, dans les prisons, tant de personnes en souffrance; le quidam se découvre alors, affecte le plus grand empressement de connaître les abus à la réparation desquels il peut concourir; demande à Grandpré son nom, son adresse, pour aller chez qui le prendre lorsqu'il ira visiter les prisons. C'était un prétexte : le juge de paix court au comité de sûreté générale, fabrique une atroce dénonciation: contre Grandpré, qu'il accuse de complicité de la mort de Marat. On croit être au temps de Tibère ; c'est également le règne des délateurs. Grandpré est arrêté par quatre fusiliers et un officier public, qui se rendent chez lui à cinq heures du matin, fouillent ses papiers et apposent les scellés. Il était alors muni d'une lettre que j'adressais au malheureux Brissot;. quel crime on peut faire, à moi, de l'avoir écrite ; à lui, d'en être le porteur! Il la dérobe adroitement aux recherches; ce n'est qu'avec de pénibles discussions qu'il obtient d'être gardé à son bureau, sans aller coucher à l'Abbaye; et après plusieurs jours, que l'on parvient à démontrer la fausseté de la dénonciation dont il est l'objet. Champagneux n'est pas

encore aussi heureux; au crime d'avoir été placé par Roland, il joint celui d'occuper une place intéressante. Collot-d'Herbois s'était rendu ivre chez le ministre de l'intérieur,

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