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et le gouvernement anglais. Ce conte ridicule était assaisonné de tout ce qui fait les ornemens du langage du père Duchesne; les vraisemblances physiques n'étaient pas mieux ménagées que les autres; je n'étais pas seulement transformée en contre-révolutionnaire, mais en vieille édentée, et l'on finissait par m'exhorter à pleurer mes péchés, en attendant que je les expiasse à l'échafaud. Les colporteurs, bien instruits sans doute, ne quittèrent pas d'une minute les environs de ma résidence; ils accompagnaient l'annonce de la Grande visite du Père Duchesne, des provocations les plus sanguinaires au peuple du marché. Je pris la plume ; j'écrivis quelques lignes au ministre Garat qui se croit un sage, parce qu'il n'a de passion que la peur qui lui fait ménager le parti le plus fort, très-indépendamment de la justice; je lui faisais honte de l'administration qui expose l'innocence, déjà opprimée, aux derniers excès de la fureur d'un peuple aveuglé. Je ne prétendais assurément pas le convertir; mais je lui envoyais mes adieux comme un vautour pour ronger son cœur. Vers le même temps, une femme dont on ne vantera pas les connaissances, mais qui unit aux grâces de son sexe la sensibilité d'âme qui en fait le premier mérite et le plus grand charme, trouva moyen de pénétrer dans ma prison. Combien je fus étonnée de voir son doux visage, de me sentir pressée dans ses bras et d'être baignée de ses pleurs ! je la pris pour un ange : c'en était un aussi;

car elle est bonne et jolie, et elle avait tout fait pour m'apporter des nouvelles de mes amis; elle me donnait encore des moyens de faire passer des miennes. Cet adoucissement à ma captivité contribuait à me la faire oublier, lorsqu'à midi, du 24 juin, la femme du concierge vient m'inviter à passer dans son appartement où me demandait un administrateur. J'étais souffrante et couchée; je me lève, je vais chez elle ; j'entre dans la chambre où un homme se promenait et un autre écrivait, sans qu'aucun des deux parût s'apercevoir de mon arrivée. «Est-ce bien moi qu'on demande, Messieurs? (1) - Vous êtes la citoyenne Roland ? Oui, je m'appelle ainsi. — Prenez la peine de vous reposer. » Et l'un continue d'écrire, l'autre de se promener. Je cherchais ce que signifiait cette comédie, quand l'écrivain prenant la parole, me dit : « Je viens vous mettre en liberté. » Je ne sais pourquoi cette annonce me toucha trèsfaiblement. «< Mais, répliquai-je, il est fort bien fait de me mettre hors d'ici ; il s'agit en même temps de me faire entrer chez moi; les scellés sont sur mon appartement. L'administration les fera lever dans le jour ; j'écris pour un ordre, parce que je suis seul ici d'administrateur, et qu'il faut deux signatures pour la décharge du concierge. » Il se lève, donne sa commission, et revient m'entretenir de cet air

(1) Voyez dans les Pièces (K bis) un morceau de Roland sur la dénomination de citoyen dont il n'était pas partisan.

qui veut inspirer la confiance, puis me demande tout-à-coup, comme sans conséquence : « Vous savez où est M. Roland à présent? » Je souris à la question, en observant qu'elle n'est point assez discrète pour mériter une réponse. La conversation devenait ennuyeuse; je me retire dans ma chambre pour faire mes dispositions. J'eus d'abord l'idée de dîner paisiblement et de ne partir que vers le soir; mais je réfléchis que c'était une folie que de rester en prison quand on avait la faculté d'en sortir; d'ailleurs le concierge vint savoir si je prenais mes arrangemens; je vis qu'il était empressé d'avoir mon logis. C'était un petit cabinet, fort maussade par la saleté des murs, l'épaisseur des grilles, et le voisinage d'un bûcher que tous les animaux du logis prennent pour leurs lieux d'aisance; mais comme il ne peut tenir qu'un lit, on a l'avantage d'y être seul, et on en fait ordinairement les honneurs au nouvel arrivé, ou à l'individu qui désire cet agrément. Lavacquerie, qui ne l'avait jamais vu habiter par quelqu'un d'aussi bonne humeur que moi, et qui admirait la complaisance avec laquelle j'y ordonnais des livres et des fleurs, me disait qu'il l'appellerait désormais le pavillon de Flore. J'ignorais qu'il le destinât en ce même instant à Brissot, que je ne savais pas dans mon voisinage; que bientôt après il serait habité par une héroïne, digne d'un meilleur siècle, la célèbre Corday. Ma pauvre bonne, qui arrivait pour me voir, pleurait de joie en faisant mon paquet, on me

fait voir l'ordre de ma mise en liberté, fondé sur ce qu'il n'y a rien contre moi; je fais mes comptes et mes petites générosités pour les pauvres et les valets de la prison; je trouve sur mon passage l'un des ôtages, prince de Linange, qui me félicite obligeamment de ma liberté : je lui réponds que je voudrais lui faire un compliment pareil, comme gage de celle de nos commissaires et de la paix de mon pays: j'envoie chercher un fiacre; je descends, fort étonnée de voir encore l'administrateur qui n'avait pas quitté la prison, et qui vient jusque sur la porte me regarder monter en voiture. Je me fais conduire à mon domicile, dans le dessein d'y déposer quelques objets, et de me rendre bientôt après chez les dignes gens qui ont adopté ma fille; je quitte le fiacre avec cette légèreté qui ne m'a jamais permis de sortir d'une voiture sans sauter; je passe sous ma porte comme un oiseau, en disant gaiement au portier: «Bonjour, Lamarre. » Je n'avais pas franchi quatre marches de mon escalier, lorsque deux hommes venus sur mes talons je ne sais comment, s'écrient: «Citoyenne Roland! —Que voulezvous ? demandai-je en me retournant. — De par la loi nous vous arrêtons. » Qui sait sentir, n'a même pas besoin de penser pour juger ce que je dus éprouver à cet instant. Je me fais lire l'ordre ; je prends mon parti sur-le-champ, je descends et traverse la cour avec rapidité. « Où donc allez-vous?

Chez mon propriétaire où j'ai affaire; suivez

moi. » La maîtresse du logis m'ouvre elle-même en riant. « Laissez-moi m'asseoir et respirer, lui dis-je ; mais ne vous réjouissez pas. On vient de me mettre en liberté; ce n'était qu'un leurre cruel, je sors de l'Abbaye; on m'arrête pour me conduire à SaintePélagie je connais les délibérations dernièrement prises par ma section, je veux me mettre sous sa sauve-garde ; je vous prie d'envoyer en conséquence. Le fils de la maison s'empressa avec la chaleur et l'indignation d'un jeune homme honnête (1). Deux commissaires de la section arrivent, se font représenter l'ordre, dressent leur procèsverbal d'opposition; mais ils me prient ensuite de les accompagner à la Mairie où ils vont le signifier et donner leurs raisons. Je ne pouvais me refuser à cette démarche ; j'avais employé le temps à faire des billets à mes amis pour les prévenir de ma nouvelle destination. Je quitte une famille où cette scène venait de jeter la surprise et l'effroi; nous arrivons à la Mairie; je suis placée dans une petite antichambre avec les inspecteurs chargés de garder ma personne; les commissaires entrent dans le bureau des administrateurs de police. La discussion s'élève, se prolonge et devient vive: j'étais mal à l'aise, je me trouvais déplacée; je me demandais par quelle

(1) Ce mouvement généreux lui coûta la vie. Il fut condamné pour ce seul fait par le tribunal révolutionnaire. Son père en mourut de chagrin.

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