Page images
PDF
EPUB

motifs, je suis détenue depuis huit jours, je n'ai pas été interrogée (1); c'est à vous, homme public, lorsque vous n'avez pu préserver l'innocence de l'oppression, à vous efforcer de l'en délivrer.

» Vous êtes plus intéressé que moi, peut-être, au soin que je vous invite à prendre; je ne suis pas la seule victime de la prévention, ou de l'envie ; et leurs poursuites actuelles contre tout ce qui pré

(1) M. Garat écrivit alors au comité de sûreté générale pour lui recommander avec instance les réclamations de madame Roland. C'est à cette démarche qu'il fait allusion dans la préface de ses Mémoires, que nous avons cités, page 280 du premier volume. Voici la réponse qu'il reçut du comité; elle est signée de Chabot et d'Ingrand qui en étaient membres, et datée du 1er juillet 1793. C'est un monument curieux de la correspondance du temps.

«Le comité de sûreté générale, citoyen ministre, a mo» tivé l'arrestation de la femme Roland sur l'évasion de son » mari, qui dans ce moment souffle le feu de la guerre civile » dans le département de Rhône-et-Loire (*), et sur la com»plicité de cette prétendue Lucrèce avec son prétendu ver» tueux mari, dans le projet de pervertir l'esprit public par » un prétendu bureau de formation dudit esprit. Comme ce » procès tient à celui de la grande conspiration, la citoyenne » Roland voudra bien attendre le rapport général qui doit en » être fait, après que nous aurons sauvé nos finances par un grand plan, et que nous aurons jeté l'ancre de la Constitu» tion par l'éducation nationale et la simplicité du code. » (Note des nouveaux éditeurs.)

[ocr errors]

(*) Roland était alors à Rouen où il avait trouvé un asile chez des amies courageuses. Il ne sortit de chez elles que pour se donner la mort.

sente la réunion du caractère au talent, à la vertu, rend honorable la persécution dont je suis l'objet ; je la dois à mes liens avec l'homme vénérable que la postérité vengera. Mais vous, maintenant au gouvernail, vous n'échapperiez point au reproche de l'abandonner aux flots, si vous ne saviez le diriger d'une main ferme, et à la honte d'y être demeuré sans le pouvoir maintenir.

>> Les factions passent, la justice seule demeure; et de tous les défauts de l'homme en place, la faiblesse est celui qu'on lui pardonne le moins, parce qu'elle est la source des plus grands désordres, surtout dans les temps d'orage.

>> Je n'ai pas besoin de rien ajouter à ces réflexions, si elles vous parviennent à temps pour vous et pour moi-même, ni d'en presser l'application à ce qui me concerne, car rien ne peut suppléer la volonté et le courage. >>

Assurément, des ministres qui ont négligé, méprisé les décrets qui leur ordonnaient la recherche des auteurs du massacre de septembre, et des conspirateurs du 10 mars (1); des hommes qui, par la mollesse et l'indignité de leur conduite dans ces circonstances, ont enhardi le crime, favorisé ses attentats, et assuré cette nouvelle insurrection du 31 mai, où l'aveuglement et l'audace, prescrivant des lois à

(1) Voyez ci-dessus la note qui se trouve au bas de la page 36.

la représentation nationale, appellent tous les malheurs de la guerre civile ; de tels hommes ne se feront pas les dénonciateurs de l'oppression: je n'attends rien d'eux ; et les vérités que je leur adresse sont bien plutôt destinées à marquer ce qu'ils doivent et à quoi ils manquent, qu'à me valoir une justice qu'ils sont incapables de me rendre, à moins qu'un peu de honte ne produise quelque miracle.

Ésope nous représente tous les animaux, tremblant ordinairement à l'aspect du lion, venant l'insulter, chacun à leur tour, lorsqu'il est malade ; ainsi, la cohue des hommes médiocres, trompés ou jaloux, assaille, avec fureur, ceux que l'oppression retient captifs, ou dont elle diminue les facultés, en altérant l'opinion sur leur compte. Le numéro 526 du Thermomètre du jour, du 9 juin, en fournit un exemple; on y trouve, sous le titre d'Interrogatoire de L. P. d'Orléans, une série de questions, parmi lesquelles il faut distinguer l'inculpation suivante : «D'avoir assisté à des conciliabules secrets, qui se » tenaient la nuit chez la femme Buzot, dans le faubourg Saint-Germain, où s'est rendu Dumouriez, » Roland et sa femme, Vergniaud, Brissot, Gen» sonné, Gorsas, Louvet, Pétion, Guadet, etc.»

[ocr errors]

Quelle profonde scélératesse et quel excès d'impudence! Tous les députés ici dénommés sont précisément ceux qui ont voté l'exil des Bourbons; jamais ces fiers défenseurs de la liberté n'ont regardé d'Orléans comme un chef capable, mais il leur a

toujours paru un mannequin dangereux; ils ont été les premiers à redouter ses vices, son argent, ses relations, sa popularité, sa faction; à dénoncer cette dernière, et à poursuivre ceux qui leur en ont paru les agens. Louvet les a signalés dans sa Catilinaire contre Robespierre; morceau précieux, comme tous ceux qui sont sortis de sa plume (1), et que l'histoire recueillera soigneusement, dans lequel il suit leur marche au corps électoral d'où Philippe sortit député. Buzot, dont la constante énergie s'est attiré la haine des factions, saisit le premier instant qui lui parut favorable, pour demander le bannissement des Bourbons; mesure qu'il regarda comme indispensable, du moment où la Convention voulut se charger du jugement de Louis. Roland ni moi n'avons jamais vu d'Orléans; j'ai même évité de recevoir chez moi Sillery qu'on me disait être un homme bon et aimable, parce que ses relations avec d'Orléans me le rendaient suspect. Je me souviens, à ce sujet, de deux lettres fort piquantes, l'une de madame Sillery (2) à Louvet, après qu'il eut appuyé la motion de Buzot. « Voici, me dit Louvet en me

(1) Ce morceau sera joint aux Mémoires de Louvet. (Note des nouveaux éditeurs.) (2) Madame de Sillery est bien plus connue aujourd'hui dans le monde et dans la littérature sous le nom de Genlis, auquel ses ouvrages n'ont pas donné seuls de la célébrité. (Note des nouveaux éditeurs.)

[ocr errors]

la communiquant, une preuve que nous ne sommes pas dans l'erreur, et que le parti d'Orléans n'est point une chimère. Madame Sillery ne m'écrirait point en de pareils termes, si ce n'était une chose convenue avec les intéressés; et, s'ils craignent si fort le bannissement, il faut bien qu'ils y voient le renversement de quelques projets. » Effectivement la lettre de madame Sillery, fort étudiée, avait pour but de dissuader Louvet de son opinion, de le persuader que les principes républicains, dans lesquels les enfans d'Orléans avaient été élevés, les en rendaient les partisans les plus zélés, et qu'il était impolitique et cruel de sacrifier des sujets certainement utiles, à d'absurdes préjugés. L'autre lettre était la réponse de Louvet; spirituelle et digne, elle exprimait avec force et politesse les motifs de son opinion; il y disait, entre autres, que les principes monarchiques, les préjugés nobiliaires et autres, exposés par madame Sillery elle-même dans ses ouvrages, étaient loin de le rassurer sur ceux de ses élèves; et il persistait, avec la fierté d'un homme libre, dans une opinion qui lui était inspirée par l'amour de son pays.

Quant aux prétendus conciliabules chez la femme de Buzot, rien au monde n'est si ridicule. Buzot, que j'avais beaucoup vu lors de l'Assemblée constituante, avec lequel j'étais demeurée en correspondance d'amitié; Buzot, dont les principes purs, le courage, la sensibilité, les mœurs douces m'inspi

« PreviousContinue »