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le rappel battait à chaque instant, et j'ignorais ce que ce pouvait être. Ils ne m'empêcheront pas de vivre jusqu'au dernier instant, me disais-je, plus heureuse de ma conscience qu'ils ne seront animés de leur fureur. S'ils viennent, je vais à eux, et je sors de la vie comme on entre dans le repos. La femme du concierge vint m'inviter à passer chez elle, où elle avait fait mettre mon couvert pour que je dînasse en meilleur air je m'y rendis, j'y vis ma fidèle bonne. Lorsqu'elle se jeta dans mes bras baignée de pleurs, oppressée de sanglots, l'attendrissement et la tristesse me saisirent; je me reprochai presque d'être paisible, en songeant à l'inquiétude de ceux qui m'étaient attachés, et, me représentant les angoisses de tel et tel, je sentis un serrement de cœur inexprimable. Pauvre fille! que de pleurs je lui ai fait verser et que ne rachète point un attachement semblable au sien! Elle me brusque quelquefois dans la vie ordinaire, mais c'est lorsqu'elle me croit trop négligente de ce qui peut servir à mon bonheur, à ma santé ; lorsque je souffre, c'est elle qui gémit et moi qui la console. Il fallait bien suivre cette habitude. Je lui prouvai qu'en s'abandonnant à sa douleur, elle se rendait moins capable de m'être utile; qu'elle m'était plus nécessaire au dehors que dans la prison où elle me priait de permettre qu'elle restât: qu'à tout prendre, je n'étais pas si malheureuse qu'elle l'imaginait, et cela est vrai. J'ai éprouvé, toutes les fois que j'ai été malade, une sorte de

calme tout particulier, et qui tient sans doute à une façon de voir, ainsi qu'à la loi que je me suis faite d'adoucir toujours la nécessité, loin de me révolter contre elle. Du moment où je me mets au lit, il me semble que tout devoir cesse, et qu'aucune sollicitude n'a de prise sur moi; je ne suis plus tenue qu'à être là, et à y demeurer avec résignation, ce que je fais de fort bonne grâce. Je donne carrière à mon imagination, j'appelle les impressions douces, les souvenirs agréables, les sentimens heureux; plus d'efforts, plus de calculs, plus de raison; toute à la nature, et paisible comme elle, je souffre sans impatience, ou me repose et m'égaie. Je trouve que la prison produit sur moi à peu près le même effet que la maladie; je ne suis tenue aussi qu'à être là, et qu'est-ce que cela me coûte? ma compagnie n'est pas si mauvaise! J'appris bientôt qu'il me fallait déloger; les victimes abondaient; la chambre où l'on m'avait placée pouvait contenir plus d'un lit, et, pour me laisser seule, on était obligé de me resserrer dès ce soir dans un petit cabinet; déménagement en conséquence. La fenêtre de ce nouvel appartement donne, je crois, au-dessus de la sentinelle qui garde la porte de la prison; toute la nuit j'entendis crier d'une voix tonnante, qui vive? — tue! - brigadier! - patrouille! Les maisons étaient illuminées, et au nombre, à la fréquence des patrouilles, il était aisé de juger que l'on craignait des mouvemens, ou qu'il y en avait eu, Je me levai de

bon matin, je m'occupai de mon ménage, c'est-àdire de faire mon lit, de nettoyer mon réduit et d'établir la propreté chez moi comme sur ma personne. Je voyais bien qu'en réclamant ces soins, ils ne me seraient pas refusés, mais je jugeais parfaitement qu'en les payant beaucoup, il faudrait néanmoins beaucoup aussi les attendre, et qu'ils seraient toujours fort superficiels; il y avait donc tout à gagner en les prenant soi-même ; je serais mieux, plus tôt servie, et les petits cadeaux que je ferais seraient d'autant plus sentis qu'ils seraient gratuits. J'attendais avec impatience d'entendre tirer les gros verroux de ma porte pour demander le journal. Je l'ai lu; le décret d'arrestation est rendu contre les vingtdeux (1); le papier me tombe des mains et je m'écrie dans un transport de douleur: Mon pays est perdu!...

(1) Les Girondins venaient de succomber; la Commune de Paris, dirigée par les Jacobins de la Convention, était victorieuse. La lutte avait été reprise à trois époques différentes qui ont un nom dans l'histoire de ce temps.

Dans la journée du 10 mars, les Girondins, suivant eux, devaient être égorgés au sein même de la Convention. Suivant les Jacobins, qui ne niaient pas l'existence du complot, il s'agissait non d'un massacre mais d'une insurrection.

Ce premier projet échoua, parce que les Girondins, prévenus en secret, dit-on, par quelques-uns de leurs ennemis mêmes, ne se trouvèrent point à la séance; parce que le général Beurnonville, alors ministre de la guerre, rétablit l'ordre dans Paris, à la tête d'un bataillon du Finistère; et, ce

Tant que je m'étais crue seule, ou à peu près, sous le joug de l'oppression, fière et tranquille, je formais des vœux et conservais quelque espoir pour les défenseurs de la liberté. L'erreur et le crime l'ont emporté ; la représentation nationale est violée, son unité est rompue; tout ce qu'il y avait dans son sein de remarquable par la probité, unie au caractère et aux talens, est proscrit; la Commune de Paris commande au corps législatif; Paris est perdu: les brandons de la guerre civile sont allumés; l'ennemi va profiter de nos divisions; il n'y aura plus de liberté pour le nord de la France, et la Répu

qui n'est point une remarque indigne de l'histoire, parce qu'une nuit pluvieuse dispersa les conspirateurs.

La Convention qu'alarmait enfin l'audace de la Commune et ses propres périls, avait décrété l'arrestation d'Hébert (*), et la création d'une commission de douze membres, chargés de veiller à la sûreté de la représentation nationale. Les sections en armes lui arrachèrent, dans la journée du 31 mai, la liberté d'Hébert, et l'abolition de la commission des douze.

Le 2 juin, la Convention prononça, sous les baïonnettes d'Henriot, commandant de Paris, et sous le canon des sections, l'arrestation de vingt-deux de ses membres. Tous faisaient partie de la Gironde. C'est de cette journée que datent véritablement le triomphe de la Montagne et le règne de la terreur. (Note des nouveaux éditeurs.)

(*) Substitut du procureur de la commune, et rédacteur du journal aussi sanguinaire que cynique intitulé le Père Duchêne.

blique entière est livrée à d'affreux déchiremens. Sublimes illusions, sacrifices généreux, espoir, bonheur, patrie, adieu ! Dans les premiers élans de mon jeune cœur, je pleurais, à douze ans, de n'être pas née Spartiate ou Romaine; j'ai cru voir dans la révolution française l'application inespérée des principes dont je m'étais nourrie : la liberté, me disais-je, a deux sources: les bonnes mœurs qui font les sages lois, et les lumières qui nous ramènent aux unes et aux autres par la connaissance de nos droits; mon âme ne sera pas plus navrée du spectacle de l'humanité avilie, l'espèce va s'améliorer, et la félicité de tous sera la base et le gage de celle de chacun. Brillantes chimères, séductions qui m'aviez charmée, l'effrayante corruption d'une immense cité vous fait évanouir! je dédaignais la vie, votre perte me la fait haïr, et je souhaite les derniers excès des forcenés. Qu'attendez-vous, anarchistes brigands? Vous proscrivez la vertu, versez le sang de ceux qui la professent; répandu sur cette terre, il la rendra dévorante, et la fera s'ouvrir sous vos pas.

Le cours des choses avait dû me faire pressentir l'événement; mais j'avais peine encore à croire que le calcul des dangers n'arrêtât pas la masse de la Convention, et je n'ai pu éviter d'être frappée de cet acte décisif qui sonne l'heure de sa dissolution.

Une froide indignation couvre actuellement, pour ainsi dire, tous mes sentimens indifférente autant

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