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appris. Il eût été à défirer qu'au moins on l'eût inftruit de l'hiftoire, et fur-tout de l'hiftoire moderne; mais ce qu'on en avait alors était trop mal écrit. Il était trifte qu'on n'eût encore réuffi que dans les romans inutiles, et que ce qui était néceffaire fût rebutant. On fit imprimer fous fon nom une traduction des commentaires de César, et une de Florus fous le nom de fon frère: mais ces princes n'y eurent d'autre part, que celle d'avoir eu inutilement pour leurs thèmes quelques endroits de ces auteurs.

Celui qui préfidait à l'éducation du roi, fous le premier maréchal de Villeroi fon gouverneur, était tel qu'il le fallait, favant et aimable: mais les guerres civiles nuifirent à cette éducation, et le cardinal Mazarin fouffrait volontiers qu'on donnât au roi peu de lumières. Lorsqu'il s'attacha à Marie Mancini, il apprit aisément l'italien pour elle; et dans le temps de fon mariage il s'appliqua à l'efpagnol moins heureusement. L'étude qu'il avait trop négligée avec fes précepteurs au fortir de l'enfance, une timidité qui venait de la crainte de fe compromettre, et l'ignorance où le tenait le cardinal Mazarin, firent penfer à toute la cour qu'il ferait toujours gouverné comme Louis XIII fon père.

Il n'y eut qu'une occafion, où ceux qui favent juger de loin prévirent ce qu'il devait être; ce fut lorfqu'en 1655, après l'extinction des guerres civiles, après fa première campagne et fun facre, le parlement voulut encore s'affembler au fujet de quelques édits; le roi partit de Vincennes en habit de chaffe, fuivi de toute fa cour; entra au

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parlement en groffes bottes, le fouet à la main; et prononça ces propres mots : "On fait les malheurs qu'ont produits, vos affemblées; j'ordonne » qu'on ceffe celles qui font commencées fur mes édits. Monfieur le premier préfident, je vous défends de fouffrir des affemblées, et à pas " un de vous de les demander." (ee)

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Sa taille déjà majeftueufe, la nobleffe de fes traits, le ton et l'air de maître dont il parla impofèrent plus que l'autorité de fon rang, qu'on avait jufque-là peu refpectée. Mais ces prémices de fa grandeur femblèrent fe perdre le moment d'après; et les fruits n'en parurent qu'après la murt du cardinal.

La cour, depuis le retour triomphant de Maza. rin, s'occupait de jeu, de ballets, de la comédie qui à peine née en France n'était pas encore un art, et de la tragédie qui était devenue un art fublime entre les mains de Pierre Corneille. Un curé de St Germain-l'Auxerrois, qui penchait vers les idées rigoureufes des janféniftes, avait écrit fouvent à la reine contre ces fpectacles, dès les premières années de la régence. Il prétendit que l'on était damné pour y affifter; il fit même figner cet

(ee) Ces paroles, fidellement recueillies, font dans les mémoires authentiques de ce temps-là: il n'est permis ni de les omettre, ni d'y rien changer dans aucune hiftoire de France.

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L'auteur des mémoires de Maintenon s'avife de dire au hafard dans fa note: Son difcours ne fut pas tout-à-fait fi beau, et fes yeux en dirent plus que fa bouche " Où a-t-il pris que le difcours de Louis XIV ne fut pas tout à fait

beau, puifque ce furent-là fes propres paroles? Il ne fut ni plus ni moins bean: il fut tel qu'on le rapporte.

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anathème par fept docteurs de forbonne mais l'abbé de Beaumont, précepteur du roi, fe munit de plus d'approbations de docteurs que le rigoureux curé n'avait apporté de condamnations. 'Il calma ainfi les fcrupules de la reine; et quand il fut archevêque de Paris, il authorifa le fentiment qu'il avait défendu étant abbé. Vous trouverez ce fait dans les mémoires de la fincère madame de Motteville.

Il faut obferver que depuis que le cardinal de Richelieu avait introduit à la cour les fpectacles réguliers, qui ont enfin rendu Paris la rivale d'Athènes, non-feulement il y eut toujours un banc pour l'académie, qui poffédait plufieurs eccléfiaftiques dans fon corps, mais qu'il y en eut un particulier pour les évêques.

Le cardinal Mazarin, en 1646 et en 1654, fit représenter fur le théâtre du palais royal et du petit Bourbon près du louvre, des opéra italiens, exécutés par des voix qu'il fit venir d'Italie. Ce fpectacle nouveau était né depuis peu à Florence, contrée alors favorifée de la fortune comme de la nature, et à laquelle on doit la reproduction de plufieurs arts anéantis pendant des fiècles, et la création de quelques-uns. C'était en France un refte de l'ancienne barbarie, de s'oppofer à l'établiffement de ces arts.

Les janféniftes, que les cardinaux de Richelieu et de Mazarin voulurent réprimer,s'en vengèrent contre le plaifirs que ces deux miniftres procuraient à la nation. Les luthériens et les calvinistes en avaient usé ainsi du temps du pape Léon X. Il fuffit d'ailleurs d'être novateur pour être auftère.

Les mêmes efprits, qui bouleverferaient un Etat pour établir une opinion fouvent abfurde, anathématifent les plaifirs innocens néceffaires à une grande ville, et des arts qui contribuent à la fplendeur d'une nation. L'abolition des fpectacles ferait une idée plus digne du fiècle d'Attila que du fiècle de Louis XIV.

La danfe qui peut encore fe compter parmi les arts, (ff) parce qu'elle eft affervie à des règles et qu'elle donne de la grâce au corps, était un des plus grands amufemens de la cour. Louis XIII n'avait danfé qu'une fois dans un ballet en 1625; et ce ballet était d'un goût groffier, qui n'annonçait pas ce que les arts furent en France trente ans après. Louis XIV excellait dans les danfes graves, qui convenaient à la majefté de fa figure, et qui ne bleffaient pas celle de fon rang. Les courses de bagues, qu'on fefait quelquefois, et où l'on étalait déjà une grande magnificence, fefaient paraî tre avec éclat fon adreffe à tous les exercices. Tout respirait les plaifirs et la magnificence qu'on connaiffait alors. C'était peu de chofe en comparaifon de ce qu'on vit quand le roi régna par lui-même; mais c'était de quoi étonner, après les horreurs d'une guerre civile, et après la trifteffe de la vie fombre et retirée de Louis XIII. Ce prince, malade et chagrin, n'avait été ni férvi, ni logé, ni meublé en roi. I. n'y avait pas pour cent mille écus de pierreries appartenantes à la couronne. Le

(f) Le cardinal de Richelieu avait déjà donné des ballets, mais ils étaient fans goût, comme tout ce qu'on avait eu de fpectacles avant lui. Les Français. qui ont aujourd'hui porté la danfe à la perfection. n'avaient dans la jeuneffe de Louis XIV que des danfes efpaguoles, comme la farabande, la pavane, etc.

cardinal Mazarin n'en laiffa que pour douze cents mille; et aujourd'hui il y en a pour environ vingt "millions de livres.

Tout prit, au mariage de Louis XIV, un caractère plus grand de magnificence et de goût qui augmenta toujours depuis. Quand il fit fon entrée avec la reine fon époufe, Paris vit avec une admiration refpectueufe et tendre cette jeune reine qui avait de la beauté, portée dans un char fuperbe d'une invention nouvelle; le roi à cheval à côté d'elle, paré de tout ce que l'art avait pu ajouter à fa beauté mâle et héroïque, qui arrêtait tous les regards.

On prépara au bout des allées de Vincennes un arc de triomphe dont la bafe était de pierre; mais le temps qui preffait ne permit pas qu'on l'achevat d'une matière durable: il ne fut élevé qu'en plâtre; et il a été depuis totalement démoli. Claude Perrault en avait donné le deffin. La porte St Antoine fut rebâtie pour la même cérémonie; monument d'un goût moins noble, mais orné d'affez beaux morceaux de fculpture. Tous ceux qui avaient vu, le jour de la bataille de Saint-Antoine, rapporter à Paris, par cette porte alors garnie d'une herfe, les corps morts ou mourans de tant de citoyens, et qui voyaient cette entrée fi différente, béniffaient le ciel, et rendaient grâces d'un fi heureux changement.

Le cardinal Mazarin, pour folennifer ce mariage, fit repréfenter au louvre l'opéra italien, intitulé Ercole amante. Il ne plut pas aux Français. Ils n'y virent avec plaifir que le roi et la reine qui

† 1660.

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