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Soanen paffait pour un faint dans toute la province. Le fimoniaque condamna le faint, lui interdit les fonctions d'évêque et de prêtre, et le relégua dans un couvent de bénédictins au milieu des montagnes, où le condamné pria DIEU pour le convertiffeur jufqu'à l'âge de quatre-vingtquatorze ans.

Ce concile, ce jugement, et fur-tout le préfi-· dent du concile indignèrent toute la France; et au bout de deux jours on n'en parla plus.

Le pauvre parti janfénifte eut recours à des miracles, mais les miracles ne fefaient plus fortune. Un vieux prêtre de Rheims nommé Rousse, mort, comme on dit, en odeur de fainteté, eut beau guérir les maux de dents et les entorfes; le faint facrement, porté dans le faubourg faint Antoine à Paris, guérit en vain la femme la Folle d'une perte de fang, au bout de trois mois en la rendant aveugle.

Enfin, des enthoufiaftes s'imaginèrent qu'un diacre nommé Pâris, frère d'un confeiller au parlement, appelant et réappelant, enterré dans le cimetière de St Médard, devait faire des miracles. Quelques perfonnes du parti, qui allèrent prier fur fon tombeau, eurent l'imagination si frappée que leurs organes ébranlés leur donnèrent de légè res convulfions. Auffi-tôt la tombe fut environnée de peuple: la foule s'y preffait jour et nuit. Ceux qui montaient fur la tombe donnaient à leur corps des fecouffes, qu'ils prenaient eux-mêmes pour des prodiges. Les fauteurs fecrets du parti encourageaient cette frénéfie. On priait en langue vulgaire

autour du tombeau : on ne parlait que de fourds qui avaient entendu quelques paroles, d'aveugles qui avaient entrevu, d'eftropiés qui avaient marché droit quelques momens. Ces prodiges étaient même juridiquement atteftés par une foule de témoins qui les avaient prefque vus, parce qu'ils étaient venus dans l'efpérance de les voir. Le gouvernement abandonna pendant un mois cette maladie épidémique à elle-même. Mais le concours augmentait; les miracles redoublaient; et il fallut enfin fermer le cimetière, et y mettre une garde. Alors les mêmes enthoufiaftes allèrent faire leurs miracles dans les maifons. Ce tombeau du diacre Pâris fut en effet le tombeau du janfenifme, dans l'efprit de tous les honnêtes gens. Ces farces auraient eu des fuites férieufes dans des temps moins éclairés. Il femblait que ceux qui les protégeaient ignoraffent à quel fiècle ils avaient à faire.

La fuperftition alla fi loin qu'un confeiller du parlement, nommé Carré et furnommé Montgeron, eut la démence de préfenter au roi en 1736 un recueil de tous ces prodiges, munis d'un nombre confidérable d'atteftations. Cet homme infenfé, organe et victime d'infenfés, dit dans fon mémoire au roi, qu'il faut croire aux témoins qui fe font égorger pour foutenir leurs témoignages. Si fon livre fubfiftait un jour, et que les autres fuffent perdus, la postérité croirait que notre fiècle a été un temps de barbarie.

Ces extravagances ont été en France les derniers foupirs d'une fecte, qui n'étant plus foutenue

par des Arnauld, des Pafcal et des Nicole, et n'ayant plus que des convulfionnaires, eft tombée dans l'aviliffement; on n'entendrait plus parler de ces querelles qui déshonorent la raifon et font tort à la religion,s'il ne fe trouvait de temps en temps quelques efprits remuans, qui cherchent dans ces cen. dres éteintes quelques reftes du feu dont ils effaient de faire un incendie. Si jamais ils y réuffiffent, la dispute du molinifme et du janfénifme ne fera plus l'objet des troubles. Ce qui eft devenu ridicule ne peut plus être dangereux. La querelle changera de nature. Les hommes ne manquent pas de prétextes pour fe nuire, quand ils n'en ont plus de caufe.

La religion peut encore aiguifer les poignards. Il y a toujours dans la nation un peuple qui n'a nul commerce avec les honnêtes gens, qui n'eft pas de ce fiècle, qui eft inacceffible aux progrès de la raifon, et fur qui l'atrocité du fanatifme conferve fon empire comme certaines maladies qui n'attaquent que la plus vile populace.

Les jéfuites femblèrent entraînés dans la chute du janfénifme; leurs armes émouffées n'avaient plus d'adverfaires à combattre ; ils perdirent à la cour le crédit dont le Tellier avait abufé; leur Journal de Trévoux ne leur concilia ni l'eftime ni l'amitié des gens de lettres. Les évêques fur lefquels ils avaient dominé les confondirent avec les autres religieux; et ceux-ci, ayant été abaiffés par eux, les rabaiffèrent à leur tour. Les parlemens leur firent fentir plus d'une fois ce qu'ils penfaient d'eux en condamnant quelques uns de leurs écrits qu'on aurait pu oublier. L'univerfité

qui commençait alors à faire de bonnes études dans la littérature, et à donner une excellente éducation, leur enleva une grande partie de la jeuneffe; et ils attendirent, pour reprendre leur afcendant, que le temps leur fournit des hommes de génie, et des conjonctures favorables; mais ils furent bien trompés dans leurs efpérances: leur chute, l'abolition de leur ordre en France, leur banniffement d'Espagne, de Portugal, de Naples, a fait voir enfin combien Louis XIV avait eu tort de leur donner fa confiance.

Il ferait très-utile à ceux qui font entêtés de toutes ces difputes, de jeter les yeux fur l'hiftoire générale du monde; car en obfervant tant de nations, tant de mœurs, tant de religions différen tes, on voit le peu de figure que font fur la terre un molinifte et un janféniste. On rougit alors de fa frénéfie pour un parti qui fe perd dans la foule et dans l'immenfité des chofes.

CHAPITRE XXXVIII Du quiétifine.

AU

U milieu des factions du calvinifme et des querelles du janfénisme, il y eut encore une divifion en France fur le quiétisme. C'était une fuite malheureufe des progrès de l'efprit humain dans le fiècle de Louis XIV, que l'on s'efforçât de paffer prefque en tout les bornes prefcrites à nos connaiffances, ou plutôt c'était une preuve qu'on n'avait pas fait encore affez de progrès.

La difpute du quiétifme eft une de ces intempérances d'efprit et de ces fubtilités théologiques qui n'auraient laiffé aucune trace dans la mémoire des hommes, fans les noms des deux illuftres rivaux qui combattirent. Une femme fans crédit, fans véritable efprit, et qui n'avait qu'une imagination échauffée, mit aux mains les deux plus grands-hommes qui fuflent alors dans l'Eglife. Son nom était Bouvières de la Mothe. Sa famille était originaire de Montargis. Elle avait époufé le fils de Guyon entrepreneur du canal de. Briare. Devenue veuve dans une affez grande jeuneffe, avec du bien, de la beauté et un efprit fait pour le monde, elle s'entêta de ce qu'on appelle la Spiritualité. Un barnabite du pays d'Anneci, près de Genève, nommé la Combe, fut fon directeur. Cet homme connu par un mélange affez ordinaire de paffions et de religion, et qui eft mort fou, plongea l'efprit de fa pénitente dans les rêveries myftiques dont elle était déjà atteinte. L'envie d'être une Ste Thérèse en France, ne lui permit pas de voir combien le génie français eft oppofé au génie efpagnol, et la fit aller beaucoup plus loin que Ste Thérèfe. L'ambition d'avoir des difciples, la plus forte peut-être de toutes les ambitions, s'empara toute entière de fon cœur.

Son directeur la Combe la conduifit en Savoie dans fon petit pays d'Anneci, où l'évêque titulaire de Genève fait fa réfidence. C'était déjà une trèsgrande indécence à un moine de conduire une jeune veuve hors de fa patrie; mais c'est ainfi qu'en ont ufé prefque tous ceux qui ont voulu

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