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d'Angleterre, veuve de Charles I, oubliant alors fes malheurs, étaient fous un dais à ce fpectacle. Le comte de Saulx, fils du duc de Lef diguières, remporta le prix, et le reçut des mains de la reine-mère. Ces fêtes ranimèrent plus que jamais le goût des devifes et des emblèmes, que les tournois avaient mis autrefois à la mode, et qui avaient fubfifté après eux.

Un antiquaire, nommé d'Ouvrier, imagina dès-lors pour Louis XIV l'emblème d'un foleil dardant fes rayons fur un globe, avec ces mots: nec pluribus impar. L'idée était un peu imitée d'une devife efpagnole faite pour Philippe II, et plus convenable à ce roi qui poffédait la plus belle partie du nouveau monde et tant d'Etats dans l'ancien, qu'à un jeune roi de France qui ne donnait encore que des efpérances. Cette devife eut un fuccès prodigieux. Les armoiries du roi, les meubles de la couronne, les tapifferies, les fculptures en furent ornées. Le roi ne la porta jamais dans fes carroufels. On a reproché injuftement à Louis XIV le fafte de cette devife, comme s'il l'avait choifie lui-même; et elle a été peut-être plus juftement critiquée pour le fond. Le corps ne repréfente pas ce que la légende fignifie, et cette légende n'a pas un fens affez clair et affez déterminé. Ce qu'on peut expliquer de plusieurs manières ne mérite d'étre expliqué d'aucune. Les devifes, ce refte de l'ancienne chevalerie, peuvent convenir à des fêtes, et ont de l'agrément quand les allufions font juftes, nouvelles et

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Ca

piquantes. Il vaut mieux n'en point avoir que d'en fouffrir de mauvaises et de baffes, comme celle de Louis XII; c'était un porc-épic avec ces paroles qui s'y frotte s'y pique. Les devifes font par rapport aux infcriptions ce que font des mascarades en comparaifon des cérémonies auguftes.

La fête de Versailles en 1664 furpaffa celle du carroufel, par fa fingularité, par fa magnificence et les plaifirs de l'efprit, qui, fe mêlánt à la fplendeur de ces divertiffemens, y ajoutaient un goût et des grâces dont aucune fête n'avait encore été embellie. Versailles commençait à être un féjour délicieux, fans approcher de la grandeur dont il fut depuis.

Le mai le roi y vint avec la cour compofée de fix cents perfonnes, qui furent défrayées avec leur fuite, auffi-bien que tous ceux qui fervirent aux apprêts de ces enchantemens. Il ne manqua jamais à ces fêtes que des monumens conftruits exprès, pour les donner, tels qu'en élevèrent les Grecs et les Romains: mais la promptitude avec laquelle on construifit des théâtres, des amphithéâtres, des portiques, ornés avec autant de magnificence que de goût, était une merveille qui ajoutait à l'illufion, et qui, diverfifiée depuis en mille manières, augmentait encore le charme de ces fpectacles.

Il y eut d'abord une efpèce de carroufel. Ceux qui devaient courir parurent le premier jour comme dans une revue; ils étaient précédés de hérauts d'armes, de pages, d'écuyers,

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qui portaient leurs devifes et leurs boucliers; et fur ces boucliers étaient écrits en lettres d'or des vers compofés par Périgni et par Benferade. Ce dernier fur-tout avait un talent fingulier pour ces pièces galantes, dans lefquelles il fefait toujours des allufions délicates et piquantes aux caractères des perfonnes, aux perfonnages de l'antiquité ou de la fable qu'on repréfentait, et. aux paflions qui animaient la cour. Le roi repréfentait Roger tous les diamans de la couronne brillaient fur fon habit et fur le cheval qu'il montait. Les reines et trois cents dames, fous des arcs de triomphe, voyaient cette entrée.

Le roi, parmi tous les regards attachés fur lui, ne diftinguait que ceux de Mile de la Vallière. La fête était pour elle feule; elle en jouiffait confondue dans la foulé.

La cavalcade était fuivie d'un char doré de dixhuit pieds de haut, de quinze de large, de vingtquatre de long, repréfentant le elur du foleil. Les quatre âges d'or, d'argent, d'airain et de fer, les fignes celeftes, les Saifons, les Heures fuivaient à pied ĉe char. Tout était caractérisé. Des bergers portaient les pièces de la barrière, qu'on ajuftait au fon des trompettes, auxquelles fuccédaient par intervalle les mufettes et les violons. Quelques perfonnages, qui fuivaient le char d'Apollon, vinrent d'abord réciter aux reines des vers convenables au lieu, au temps, au roi et aux dames. Les courfes finies, et la nuit venue, quatre mille gros flambeaux éclairèrent l'efpace où fe donnaient les fêtes. Des tables y

furent fervies par deux cents perfonnages, qui repréfentaient les Saifons, les Faunes, les Syl vains, les Dryades, avec des pafteurs, des vendangeurs, des moiffonneurs. Pan et Diane avançaient fur une montagne mouvante, ct en defcendirent pour faire pofer fur les tables ce que les campagnes et les forêts produifent de plus délicieux. Derrière les tables en demi-cercle s'éleva tout d'un coup un théâtre chargé de concertans. Les arcades qui entouraient la table et le théâtre étaient ornées de cinq cents girandoles vertes et argent, qui portaient des bougies; et une balustrade dorée fermait cette vafte enceinte. . Ces fêtes, fi fupérieures à celles qu'on invente dans les romans, durèrent fept jours. Le roi remporta quatre fois le prix des jeux, et laiffa difputer enfuite aux autres chevaliers les prix qu'il avait gagnés, et qu'il leur abandonnait..

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La comédie de la Princeffe d'Elide, quoiqu'elle ne foit pas une des meilleures de Molière, fut un des plus agréables ornemens de ces jeux, par une infinité d'allégories fines, fur les mœurs du temps, et par des. à-propos qui font l'agré ment de ces fêtes, mais qui font perdus pour la poftérité. On était encore très entêté à la cour de l'aftrologie judiciaire: plufieurs princes penfaient, par une fuperftition orgueilleufe, que la nature les diftinguait jufqu'à écrire leur deftinée dans les aitres. Le duc de Savoie Victoire-Amédée, père, de la ducheffe de Bourgogne eut un aftrologue auprès de lui, même apres fon abdication.

komu 29d 1200) 19. Javiranch A kɔ comfist

Molière ofa attaquer cette illufion dans les Amans magnifiques, joués dans une autre fête en 1670. On y voit auffi un fou de cour, ainfi que dans la Princeffe d'Elide. Ces miférables étaient encore fort à la mode. C'était un refte de barbarie, qui a duré plus long-temps en Allemagne qu'ailleurs. Le befoin des amusemens, l'impuiffance de s'en procurer d'agréables et d'honnêtes dans les temps d'ignorance et de mauvais goût avaient. fait imaginer ce trifte plaifir, qui dégrade l'efprit humain. Le fou qui était alors auprès de Louis XIV avait appartenu au prince de Condé il s'appelait l'Angeli. Le comte de Grammont difait que de tous les fous qui avaient fuivi M. le prince, il n'y avait que l'Angeli qui eût fait fortune. Ce bouffon ne manquait pas d'efprit. C'eft lui qui dit qu'il n'allait pas au fermon, parce qu'il n'aimait pas le brailler, et qu'il n'entendait pas le rai fonner.

La farce du Mariage forcé fut auffi jouée à cette fête. Mais ce qu'il y eut de véritablement admirable, ce fut la première repréfentation des trois premiers actes du Tartuffe. Le roi voulut voir ce chef-d'œuvre, avant même qu'il fût achevé. Il le protégea depuis contre les faux dévots, qui voulurent intéreffer la terre et le ciel pour le fupprimer; et il fubfiftera, comme on l'a déjà dit ailleurs, tant qu'il y aura en France du goût et des hypocrites.

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La plupart de ces folennités brillantes ne font

† 1664,

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