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Je hais surtout, je hais tout censeur incommode,
Tous ces demi-savants gouvernés par la mode,

Ces gens qui, pleins de feu, peut-être pleins d'esprit,
Soutiendront contre vous ce que vous aurez dit;
Un peu musiciens, philosophes, poëtes,

Et grands hommes d'État formés par les gazettes,
Sachant tout, lisant tout, prompts à parler de tout,
Et qui contrediraient Voltaire sur le goût,
Montesquieu sur les lois, de Brogli sur la guerre,
Ou la jeune d'Egmont sur le talent de plaire.

Voyez-les s'emporter sur les moindres sujets,
Sans cesse répliquant, sans répondre jamais :
« Je ne céderais pas au prix d'une couronne...
« Je sens... Le sentiment ne consulte personne...
« Et le roi serait là... je verrais là le feu...

« Messieurs, la vérité mise une fois en jeu,

« Il ne m'importe point de plaire ou de déplaire... »

C'est bien dit; mais pourquoi cette morale austère? Hélas! c'est pour juger de quelques nouveaux airs, Ou des deux Poinsinet lequel fait mieux les vers.

Auriez-vous, par hasard, connu feu monsieur d'Aube,
Qu'une ardeur de dispute éveillait avant l'aube?
Contiez-vous un combat de votre régiment;

Il savait mieux que vous où, contre qui, comment.
Vous seul en auriez eu toute la renommée,
Nimporte; il vous citait ses lettres de l'armée;
Et, Richelieu présent, il aurait raconté

Ou Gênes défendue, ou Mahon emporté.

D'ailleurs, homme de sens, homme d'un vrai mérite;
Mais son meilleur ami redoutait sa visite.

L'un, bientôt rebuté d'une vaine clameur,
Gardait, en l'écoutant, un silence d'humeur.

J'en ai vu, dans le feu d'une dispute aigrie,
Près de l'injurier, le quitter, de furie;

Et, rejetant la porte à son double battant,
Ouvrir à leur colère un champ libre en sortant,
Ses neveux, qu'à sa suite attachait l'espérance,
Avaient vu dérouter toute leur complaisance.
Un voisin asthmatique, en l'embrassant un soir,
Lui dit : « Mon médecin me défend de vous voir; »
Et parmi cent vertus, cette unique faiblesse
Dans un triste abandon réduisit sa vieillesse.
Au sortir d'un sermon, la fièvre le saisit,
Las d'avoir écouté sans avoir contredit;
Et tout près d'expirer, gardant son caractère,
Il faisait disputer le prêtre et le notaire.
Que la Bonté divine, arbitre de son sort,
Lui donne le repos que nous rendit sa mort,
Si du moins il s'est tu devant ce grand arbitre!

Mais tous les arguments sont-ils faux ou frivoles?
Socrate disputait jusque dans les festins,
Et, tout nu quelquefois, argumentait aux bains.
Était-ce dans un sage une folle manie?
La contrariété fait sortir le génie.

La veine d'un caillou recèle un feu qui dort;
Image de ces gens, froids au premier abord,
Et qui, dans la dispute, à chaque repartie,
Sont pleins d'une chaleur qu'on n'avait point sentie.

C'est un bien, j'y consens. Quant au mal, le voici : Plus on a disputé, moins on s'est éclairci. On ne redresse point l'esprit faux, ni l'œil louche: Ce mot, j'ai tort, ce mot nous déchire la bouche. On s'aigrit, on s'irrite, et c'est battre le vent; Chacun dans son avis demeure comme avant. C'est mêler seulement aux opinions vaines Le tumulte insensé des passions humaines. Le vrai peut quelquefois n'être point de saison; Et le plus grand des torts c'est d'avoir trop raison.

Autrefois, la Justice et la Vérité nues

Chez les premiers humains furent longtemps connues; -
Elles régnaient en sœurs mais on sait que depuis
L'une a fui dans le ciel, et l'autre dans un puits.

La vaine opinion règne sur tous les âges.

Son temple est dans les airs, porté sur les nuages;
Une foule de dieux, de démons, de lutins,
Sont au pied de son trône; et, tenant dans leurs mains
Mille riens enfantés par un pouvoir magique,
Nous les montrent de loin sous des verres d'optique.
Autour d'eux, nos vertus, nos biens, nos maux divers
En bulles de savon sont épars dans les airs;
Et le souffle des vents y promène sans cesse,
De climat en climat, le temple et la déesse.
Elle fuit et revient. Elle place un mortel,
Hier sur un bûcher, demain sur un autel.
Le jeune Antinoüs eut autrefois des prêtres.
Nous rions maintenant des mœurs de nos ancêtres;
Et qui rit de nos mœurs ne fait que prévenir
Ce qu'en doivent penser les siècles à venir.
Une beauté frappante, et dont l'éclat étonne,
Les Français la peindront sous les traits de Brionne,
Sans croire qu'autrefois un petit front serré,
Un front à cheveux d'or fut souvent adoré.
Ainsi, l'opinion changeante et vagabonde
Soumet la beauté même, autre reine du monde.
Ainsi, dans l'univers ses magiques effets

Des grands événements sont les ressorts secrets.
Comment donc espérer qu'un jour, aux pieds d'un sage,
Nous la voyions tomber du haut de son nuage,

Et que la Vérité, se montrant aussitôt,

Vienne au bord de son puits voir ce qu'on fait en haut?

A MADAME LA COMTESSE D'EGMONT

AU BAL

Beau masque, on vous connaît; la preuve, la voici : Vous êtes et belle et jolie;

Et pourtant la nature oublie

Sur chacun de vos yeux la moitié d'un sourcil.

Ce caprice a même son charme,

L'Amour a su s'en faire une arme;

Et n'a-t-il pas souvent blessé,

En se servant d'un arc cassé ?

Vous savez bien que votre oreille

A le renom d'une merveille;

Dans vos yeux noirs tout se peint vivement,

La rougeur aisément colore votre joue;

Et dans ce visage charmant

Il n'est pas un trait qui ne joue
Et n'ait l'expression de quelque sentiment.
Vos lèvres sont faites de rose;

Trop petite est celle d'en haut,

Sa forme naturelle est d'être demi-close,
Et l'agrément naît du défaut.

Plus éclatant que l'albâtre ou l'ivoire,
Votre col a plus de beauté,

Inspire plus de volupté,

Que ce cygne fameux, d'amoureuse mémoire.

Un jour, vous faisiez un serment,

Votre main pressait doucement
Votre gorge qu'on ne voit guère;
Alors, votre robe légère

En marqua bientôt le contour:

Les dieux que vous juriez soupirèrent d'amour,

Et les déesses de colère.

Beau masque, sont-ce là vos traits?

Tous, vos défauts y sont, et peu de vos attraits.
La louange et la flatterie

Ne sont point la langue du bal;

Et je vous ai peint tout le mal

Qu'a découvert en vous l'œil perçant de l'envic.

L'A-PROPOS

Cet infatigable vieillard,

Qui toujours vient, qui toujours part, Qu'on appelle sans cesse en craignant ses outrages, Qui mûrit la raison, achève la beauté,

Et, que suivent en foule, à pas précipité,

Les heures et les jours, et les ans et les âges;
Le Temps, qui rajeunit sans cesse l'univers,
Et, de l'immensité parcourant les espaces,
Détruit et reproduit tous les mondes divers,
Un jour, d'un vol léger suspendu dans les airs,
Aperçut Aglaé, la plus jeune des Grâces.
Son cortége nombreux fut prompt à s'écarter;
Le dieu descendit seul vers la jeune immortelle :
Ainsi, l'on voit encore, à l'aspect d'une belle,
Les heures, les jours fuir, et le temps s'arrêter.
Il parut s'embellir par le désir de plaire,

Et, sans doute, le dieu du temps
Sut préparer, sut choisir les instants,

Ceux de parler, ceux de se taire;

Enfin, il fut heureux malgré ses cheveux blancs. Un autre dieu naquit de ce tendre mystère.

Cherchez la troupe des Amours,

La plus leste, la plus gentille;

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