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N'en eût compté plus encore que l'aurore.
Ce jour coula dans l'attente du soir.

Le soir, aux champs je courus te revoir;
Un autre autel eut d'autres sacrifices.

La nuit revint, et passa ton espoir.

Que de beaux jours, que de nuits plus propices, Ont secondé nos furtives délices!

Faut-il, Claudine, en voir finir le cours?

Le temps m'appelle et m'entraîne à la ville;
Je vais quitter le plus beau des séjours.
Mon âge d'or coulait dans cet asile;
L'âge de fer est aux lieux où je cours.
Sans être ému, j'y verrai tout Cythère,
L'art des cités et la pompe des cours;
J'en fais serment au dieu de ma bergère,
Claudine aura mes dernières amours.

Toi que je laisse oisive et solitaire

Dans ce hameau, tu verras tous les jours

Ces bois, ces eaux, ces fleurs, cette fougère,

Lubin, Antoine, et ce jeune vicaire...

Claudine, hélas! m'aimeras-tu toujours?

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Est-ce un poëte? Est-ce simplement un homme d'esprit ? N'est-ce pas, avant tout, un de ces favoris de la fortune, pour lesquels elle garde, en jalouse, le trésor avare des destinées heureuses? Voilà ce qu'involontairement on se demande en fermant ce livre, où paillettes et fleurettes brillent et fourmillent tour à tour devant le regard indulgent qui sourit; en songeant aussi à cette vie molle et douce, où les joies et les honneurs sont venus, comme d'eux-mêmes, s'offrir à la main potelée de cet enfant gâté. Il avait intimement conscience de cette prédilection du sort. Il se livra tout d'abord avec une insouciante sécurité, qui a sa grâce, aux caressantes promesses d'un avenir qui semblait ne pouvoir lui échapper. Lui-même, en parlant du jour de sa naissance, ne dit-il pas avec un sentiment épanoui où se mêle autre chose que de la félicité poétique :

C'était lorsque Vénus remonte vers les cieux,
Pour quelque amant chéri venue en ces bas lieux;
Au moment où l'Aurore avec ses doigts de rose
Sépare en souriant la nuit d'avec le jour,

Et que la terre qui repose

Est des dieux regardée avec des yeux d'amour.

Comment ne pas s'associer à cette lyrique sérénité? On le croirait volontiers le fils de Vénus elle-même; un fils qu'en effet elle eût amoureusement doué de grâce et de beauté, sur la joue ronde duquel fût tombée une des roses matinales échappée aux doigts de la mythologique Aurore. Pourquoi les abeilles de Platon ne sont-elles pas venues effleurer les lèvres de Bernis? Un épigrammatiste d'anthologie dira peut

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être un jour que ce qui voltigea sur son berceau, ce fut un essaim de

papillons.

J'ai dit le mot lyrique en parlant de cette poésie, et le mot est sans doute un peu ambitieux; ce sont les deux derniers vers de la période qui l'ont amené: ils ont en effet du rhythme et du charme; on dirait presque une note pressentie, mais faible, de quelque harmonieuse lyre d'aujourd'hui. Après cela, je me hâte de convenir que ces notes de l'instrument vrai, tout en revenant de temps en temps, sont, au milieu de tant d'arpéges surannés, malheureusement bien noyées et trop

rares.

Que nous importe ensuite de savoir que François Joachim de Pierres, de la famille ancienne des Bernis, naquit à Saint-Marcel de l'Ardèche, le 22 mai 1715? On s'en tiendrait volontiers à la poétique origine que nous nous plaisions à supposer. La date toutefois n'est pas indifférente. C'était bien à la veille même de la folle régence, et, pour mieux dire, avec elle, que devait venir au monde ce galant abbé-poëte qui, vingt ans plus tard, se trouva si vite à l'unisson des esprits éclos à son gai soleil.

A peine sorti du séminaire, où les profanes rêveries durent plus d'une fois troubler ses études théologiques, le jeune abbé entra d'emblée dans le monde où l'appelaient naturellement sa naissance, sa bonne grâce et son esprit. Les maisons les plus renommées, les sociétés les plus charmantes, dont l'accès était si fort envié, s'ouvrirent tout d'abord devant sa belle tournure, son fin sourire et ses jolis vers. Sa muse alternait avec celle du maître (alternæ camana) à l'hôtel du duc de Nivernois. Il comptait dans la brillante compagnie de madame Dupin, « à laquelle, dit Jean-Jacques, il ne manquait que d'être un peu moins nombreuse, pour être d'élite dans tous les genres. » Ce fut là qu'il rencontra pour la première fois Fontenelle, Buffon et Voltaire; et sa liaison avec les deux plus aimables de ces trois illustres date certainement de cette époque. Dans ce salon célèbre, cependant, l'éclat du talent et du génie ne séduisit pas seul cet aimable Bernis. Des femmes renommées alors pour leur esprit, leur beauté, leur rang (presque toutes étaient de haute qualité) no composaient pas le côté le moins éblouissant de la société de madame Dupin. Une d'elles, la princesse de Rohan distingua Bernis, et la faveur de cette dame contribua puissamment à mettre le galant rimeur en évidence, et bientôt en vogue. Ce fut le moment où l'abbé-poëte, «< bien joufflu, bien frais, bien poupin, en compagnie du gentil Bernard, amusa de ses jolis vers les joyeux soupers de Paris. »>

C'est Marmontel qui nous l'affirme ainsi, avec un accent un peu amer, qui sent le jaloux, et dont il est à propos de se défier. En tout cas, cette heureuse vogue et ces tendres amitiés de grande dame conduisirent tout doucement, sans plus d'obstacle que d'effort, l'abbé de Bernis à l'Académie. Il avait vingt-neuf ans; Voltaire en avait cinquante et n'était pas encore un des élus. « Ce fut le premier pas vers une fortune au delà du vraisemblable, » nous dit le président Hénault. Ainsi, d'ailleurs, commençait à se réaliser cette brillante destinée que lui avait prédite, «< avec bien des choses surprenantes1, » une sorcière en réputation à cette époque, la Bontemps.

Cependant, nous n'avons pas dit un mot encore de la belle occasion que lui ménageait la fortune. On sait combien il sut en profiter. Une fois le pied sur l'échelle des grandeurs, il monta vite et l'on vit promptement se dégager le souple esprit que contenait ou plutôt voilait le petit poëte. Car il faut bien le reconnaître, - et l'on peut s'en convaincre en étudiant les choses un peu à fond, s'il y eut bien du bonheur dans cette élévation d'un cadet de Languedoc, devenu ministre et cardinal, il y eut aussi le fin savoir-faire de l'homme qui ne fut pas un instant dépaysé dans ces hautes régions; et si, dans des circonstances épineuses, le pouvoir accabla vite cette gracieuse nature, elle sut du moins plus tard se montrer, en toute convenance, de niveau avec de suprêmes dignités.

L'heureuse occasion dont il convient de consigner ici la date, la source de toutes ces grandeurs tout à coup survenues, ce fut la franche amitié de madame de Pompadour. Jusqu'à ce moment, fêté partout pour sa séduisante légèreté, sa bonne humeur et ses jolis vers, Bernis, petite gloire mondaine, avait bien peu, ce nous semble, éveillé le regard de l'envie; il vivait chez les grands comme un hôte aimable, mais il était toujours dans une pauvreté qu'il savait porter d'ailleurs avec la plus galante insouciance; jusqu'alors on est tout tenté de croire qu'il était sans ennemis. Les faveurs de cour qui se succédèrent si rapidement rendirent tout d'un coup l'attention plus sérieuse, c'est-à-dire plus sévère. On examina plus rigoureusement la valeur de l'homme; on compta vite, avec un sourire moins bienveillant, ses légers titres de poésie. Pourtant Bernis n'était encore qu'au début de cette carrière de prospérités, qui vint surprendre et sans doute aigrir d'anciens compagnons de poésie et de plaisir, que le sort, sou

1 Mémoires de madame Du Hausset.

vent injuste, il est vrai, continuait de maltraiter. « Dans son logement, sous le toit du palais des Tuileries, que madame de Pompadour avait meublé en brocatelle, il vivait « le plus content des hommes 1. » L'ambitieux n'était pas né : l'abbé rimait toujours. Cependant, il n'ajouta guère dès lors un trait notable qui vînt changer sa physionomie de poëte. L'opinion était fixée; et, sous ce rapport, le seul qui soit ici de notre ressort de critique, nous n'avons d'autre intérêt que d'établir quelle était, en résumé, cette opinion des contemporains, et ce que demeure l'œuvre en elle-même au point de vue de l'histoire littéraire et de l'art pur.

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Le piquant sobriquet, comme les aimait et savait si bien les trouver Voltaire, il est resté, tout le monde le sait; à nos yeux pourtant, il a le tort de représenter, pour beaucoup d'esprits qui ne le connaissent guère que par ce trait si vite consacré, Bernis tout entier. Le mot de Babet la Bouquetière est devenu l'enseigne indélébile du petit magasin poétique de l'auteur des Quatre Saisons. Eh! sans doute, il y a trop de bouquets, trop de fleurs coupées, jetées en tas ou artificiellement arrangées. L'aspect dominant de cette poésie d'abbé de cour est vu et bien saisi par un coup d'œil de maître. Pour avoir l'idée juste et complète de Bernis, il ne faut pourtant pas s'en tenir là.

Le mot de Voltaire, d'ailleurs, a son inévitable écho dans le vers, devenu proverbial, du roi de Prusse :

Et je laisse à Bernis sa stérile abondance.

Mais combien de lettrés ne savent rien du poëte que par ces deux jolis mots, qui, depuis cent ans, circulent ainsi, frappés comme une médaille !

On le compara souvent à Chaulieu, dont on le faisait, assez à la légère, selon nous, l'imitateur ou le disciple. Bernis ne s'inquiéta guère du chantre de Fontenay-aux-Roses; je ne vois pas, surtout, qu'il pensât à l'imiter. S'il eut une ressemblance un peu vague avec le petit Horace des Vendôme, assurément ce fut par quelques traits d'existence mondaine et de voluptueuse paresse, plutôt que par des affinités d'écrivain. Cependant, en vers ou en prose, on établit entre eux plus d'une fois des parallèles en règle. J'en trouve un dans la correspondance de Grimm, où la plus belle part de l'hommage revient à Chaulieu, mais

1 Marmontel, Mémoires.

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