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A MADAME DU CHATELET

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Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'âge des amours;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s'il se peut, l'aurore.

Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l'Amour tient son empire,

Le Temps, qui me prend par la main,
M'avertit que je me retire.

De son inflexible rigueur

Tirons au moins quelque avantage.
Qui n'a pas l'esprit de son âge,
De son âge a tout le malheur.

Laissons à la belle jeunesse

Ses folâtres emportements.

Nous ne vivons que deux moments :
Qu'il en soit un pour la sagesse.

Quoi! pour toujours vous me fuyez,

Tendresse, illusion, folie,

Dons du ciel, qui me consoliez

Des amertumes de la vie!

On meurt deux fois, je le vois bien :
Cesser d'aimer et d'être aimable,
C'est une mort insupportable;
Cesser de vivre, ce n'est rien.

Ainsi je déplorais la perte

Des erreurs de mes premiers ans;

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Et mon âme, aux désirs ouverte,
Regrettait ses égarements.

Du ciel alors daignant descendre, L'Amitié vint à mon secours; Elle était peut-être aussi tendre, Mais moins vive que les Amours.

Touché de sa beauté nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis; mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu'elle.

A MADAME LULLIN

Eh quoi! vous êtes étonnée Qu'au bout de quatre-vingts hivers, Ma Muse faible et surannée Puisse encor fredonner des vers?

Quelquefois un peu de verdure Rit sous les glaçons de nos champs; Elle console la nature,

Mais elle sèche en peu de temps.

Un oiseau peut se faire entendre

Après la saison des beaux jours;
Mais sa voix n'a plus rien de tendre,
Il ne chante plus ses amours.

Ainsi je touche encor ma lyre
Qui n'obéit plus à mes doigts;
Ainsi j'essaie encor ma voix
Au moment même qu'elle expire.

« Je veux dans mes derniers adieux, Disait Tibulle à son amante,

Attacher mes yeux sur tes yeux,
Te presser de ma main mourante. »

Mais quand on sent qu'on va passer, Quand l'âme fuit avec la vie, A-t-on des yeux pour voir Délie, Et des mains pour la caresser?

Dans ce moment chacun oublie
Tout ce qu'il a fait en santé.
Quel mortel s'est jamais flatté
D'un rendez-vous à l'agonie?

Délie elle-même, à son tour,
S'en va dans la nuit éternelle,
En oubliant qu'elle fut belle,
Et qu'elle a vécu pour l'amour.

Nous naissons, nous vivons, bergère, Nous mourons sans savoir comment; Chacun est parti du néant :

Où va-t-il?... Dieu le sait, ma chère.

L'ORIGINE DES MÉTIERS

Quand Prométhée eut formé son image D'un marbre blanc façonné par ses mains, Il épousa, comme on sait, son ouvrage : Pandore fut la mère des humains.

Dès qu'elle put se voir et se connaître, Elle essaya son sourire enchanteur,

Son doux parler, son maintien séducteur,
Parut aimer, et captiva son maître;
Et Prométhée, à lui plaire occupé,
Premier époux, fut le premier trompé.
Mars visita cette beauté nouvelle ;
L'éclat du dieu, son air mâle et guerrier,
Son casque d'or, son large bouclier,
Tout le servit, et Mars triompha d'elle.

Le dieu des mers, en son humide cour,
Ayant appris cette bonne fortune,
Chercha la belle, et lui parla d'amour :
Qui cède à Mars peut se rendre à Neptune.

Le blond Phébus, de son brillant séjour,
Vit leurs plaisirs, eut la même espérance :
Elle ne put faire de résistance

Au dieu des vers, des beaux-arts et du jour.
Mercure était le dieu de l'éloquence:

Il sut parler, il eut aussi son tour.

Vulcain, sortant de sa forge embrasée, Déplut d'abord, et fut fort mal traité; Mais il obtint par importunité

Cette conquête aux autres dieux aisée.

Ainsi Pandore occupa ses beaux ans,

Puis s'ennuya sans en savoir la cause.
Quand une femme aima dans son printemps,
Elle ne peut jamais faire autre chose;

Mais, pour les dieux, ils n'aiment pas longtemps.

Elle avait eu pour eux des complaisances:

Ils la quittaient; elle vit dans les champs

Un gros satyre, et lui fit les avances.

Nous sommes nés de tous ces passe-temps;

C'est des humains l'origine première :
Voilà pourquoi nos esprits, nos talents,

Nos passions, nos emplois, tout diffère;

L'un eut Vulcain, l'autre eut Mars pour son père.

L'autre un satyre; et bien peu d'entre nous

Sont descendus du dieu de la lumière.

De nos parents nous tenons tous nos goûts; Mais le métier de la belle Pandore,

Quoique peu rare, est encor le plus doux; Et c'est celui que tout Paris honore.

LES VOUS ET LES TU

Philis, qu'est devenu ce temps
Où, dans un fiacre promenée,
Sans laquais, sans ajustements,
De tes grâces seules ornée,
Contente d'un mauvais soupé
Que tu changeais en ambroisie,
Tu te livrais, dans ta folie,
A l'amant heureux et trompé
Qui t'avait consacré sa vie?

Le ciel ne te donnait alors,
Pour tout rang et pour tous trésors,

Que les agréments de ton âge,

Un cœur tendre, un esprit volage,
Un sein d'albâtre, et de beaux yeux.
Avec tant d'attraits précieux,
Hélas! qui n'eût été friponne?
Tu le fus, objet gracieux;
Et (que l'Amour me le pardonne!)
Tu sais que je t'en aimais mieux.

Ah, madame! que votre vie,
D'honneurs aujourd'hui si remplie,
Diffère de ces doux instants!
Ce large suisse à cheveux blancs,

Qui ment sans cesse à votre porte,

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