A MADAME DU CHATELET Si vous voulez que j'aime encore, Des beaux lieux où le dieu du vin Le Temps, qui me prend par la main, De son inflexible rigueur Tirons au moins quelque avantage. Laissons à la belle jeunesse Ses folâtres emportements. Nous ne vivons que deux moments : Quoi! pour toujours vous me fuyez, Tendresse, illusion, folie, Dons du ciel, qui me consoliez Des amertumes de la vie! On meurt deux fois, je le vois bien : Ainsi je déplorais la perte Des erreurs de mes premiers ans; 14 Et mon âme, aux désirs ouverte, Du ciel alors daignant descendre, L'Amitié vint à mon secours; Elle était peut-être aussi tendre, Mais moins vive que les Amours. Touché de sa beauté nouvelle, A MADAME LULLIN Eh quoi! vous êtes étonnée Qu'au bout de quatre-vingts hivers, Ma Muse faible et surannée Puisse encor fredonner des vers? Quelquefois un peu de verdure Rit sous les glaçons de nos champs; Elle console la nature, Mais elle sèche en peu de temps. Un oiseau peut se faire entendre Après la saison des beaux jours; Ainsi je touche encor ma lyre « Je veux dans mes derniers adieux, Disait Tibulle à son amante, Attacher mes yeux sur tes yeux, Mais quand on sent qu'on va passer, Quand l'âme fuit avec la vie, A-t-on des yeux pour voir Délie, Et des mains pour la caresser? Dans ce moment chacun oublie Délie elle-même, à son tour, Nous naissons, nous vivons, bergère, Nous mourons sans savoir comment; Chacun est parti du néant : Où va-t-il?... Dieu le sait, ma chère. L'ORIGINE DES MÉTIERS Quand Prométhée eut formé son image D'un marbre blanc façonné par ses mains, Il épousa, comme on sait, son ouvrage : Pandore fut la mère des humains. Dès qu'elle put se voir et se connaître, Elle essaya son sourire enchanteur, Son doux parler, son maintien séducteur, Le dieu des mers, en son humide cour, Le blond Phébus, de son brillant séjour, Au dieu des vers, des beaux-arts et du jour. Il sut parler, il eut aussi son tour. Vulcain, sortant de sa forge embrasée, Déplut d'abord, et fut fort mal traité; Mais il obtint par importunité Cette conquête aux autres dieux aisée. Ainsi Pandore occupa ses beaux ans, Puis s'ennuya sans en savoir la cause. Mais, pour les dieux, ils n'aiment pas longtemps. Elle avait eu pour eux des complaisances: Ils la quittaient; elle vit dans les champs Un gros satyre, et lui fit les avances. Nous sommes nés de tous ces passe-temps; C'est des humains l'origine première : Nos passions, nos emplois, tout diffère; L'un eut Vulcain, l'autre eut Mars pour son père. L'autre un satyre; et bien peu d'entre nous Sont descendus du dieu de la lumière. De nos parents nous tenons tous nos goûts; Mais le métier de la belle Pandore, Quoique peu rare, est encor le plus doux; Et c'est celui que tout Paris honore. LES VOUS ET LES TU Philis, qu'est devenu ce temps Le ciel ne te donnait alors, Que les agréments de ton âge, Un cœur tendre, un esprit volage, Ah, madame! que votre vie, Qui ment sans cesse à votre porte, |