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Le lendemain promet des plaisirs non moins doux,
Et la gaîté revient, exacte au rendez-vous.
Ainsi dans l'hiver même on connoît l'allégresse.
Ce n'est plus ce dieu sombre amant de la tristesse ;
C'est un riant vieillard, qui sous le faix des ans
Connoît encor la joie, et plaît en cheveux blancs.
En tableaux variés les beaux jours plus fertiles
Ont des plaisirs plus vifs, des scènes moins tranquilles.
Eh! qui de ses loisirs peut mettre alors l'espoir

Dans ces tristes cartons peints de rouge et de noir?
L'homme veut des plaisirs; mais leurs pures délices
Ont besoin de santé, la santé d'exercices.

Laissez donc à l'hiver, laissez à la cité,

Tous ces jeux où la sombre et morne oisiveté,
Pour assoupir l'ennui réveillant l'avarice,
Se plaît dans un tourment et s'amuse d'un vice...
Loin ces tristes tapis! L'air, l'onde et les forêts
De leurs jeux innocens vous offrent les attraits,
Et la guerre des bois, et les piéges des ondes.
Compagne des Silvains, des nymphes vagabondes,
Muse, viens, conduis-moi dans leurs sentiers déserts;
Le spectacle des champs dicta les premiers vers.
Sous ces saules touffus, dont le feuillage sombre
A la fraîcheur de l'eau joint la fraîcheur de l'ombre,

Le pêcheur patient prend son poste sans bruit,
Tient sa ligne tremblante, et sur l'onde la suit.
Penché, l'œil immobile, il observe avec joie
Le liége qui s'enfonce et le roseau qui ploie.
Quel imprudent, surpris au piége inattendu,
A l'hameçon fatal demeure suspendu ?
Est-ce la truite agile, ou la carpe dorée,
Ou la perche étalant sa nageoire pourprée ;
Ou l'anguille argentée, errante en longs anneaux;
Ou le brochet glouton, qui dépeuple les eaux? 2

Aux habitans de l'air faut-il livrer la guerre ?
Le chasseur prend son tube, image du tonnerre;
Il l'élève au niveau de l'œil qui le conduit:
Le coup part, l'éclair brille, et la foudre le suit.
Quels oiseaux va percer la grêle meurtrière?
C'est le vanneau plaintif, errant sur la bruyère:
C'est toi, jeune alouette, habitante des airs!
Tu meurs en préludant à tes tendres concerts.

Mais pourquoi célébrer cette lâche victoire, Ces triomphes sans fruits et ces combats sans gloire? O Muse, qui souvent, d'une si douce voix, Imploras la pitié pour les chantres des bois, Ah! dévoue à la mort l'animal dont la tête Présente à notre bras une digne conquête,

L'ennemi des troupeaux, l'ennemi des moissons.
Mais quoi? Du cor bruyant j'entends déjà les sons;
L'ardent coursier déjà sent tressaillir ses veines,
Bat du pied, mord le frein, sollicite les rênes.
A ces apprêts de guerre, au bruit des combattans,
Le cerf frémit, s'étonne et balance long-temps.
Doit-il loin des chasseurs prendre son vol rapide ?
Doit-il leur opposer son audace intrépide?
De son front menaçant ou de ses pieds légers,
A qui se fiera-t-il dans ces pressans dangers?
Il hésite long-temps: la peur enfin l'emporte;
Il part, il court, il vole: un moment le transporte
Bien loin de la forêt, et des chiens et du cor.
Le coursier, libre enfin, s'élance et prend l'essor;
Sur lui l'ardent chasseur part comme la tempête,
Se penche sur ses crins, se suspend sur sa tête.
II perce les taillis, il rase les sillons,

Et la terre sous lui roule en noirs tourbillons.

Cependant le cerf vole, et les chiens sur sa voie Suivent ces corps légers que le vent leur envoie ; Par tout où sont ses pas sur le sable imprimés, Ils attachent sur eux leurs naseaux enflammés. Alors le cerf tremblant, de son pied, qui les guide, Maudit l'odeur traîtresse et l'empreinte perfide.

Poursuivi, fugitif, entouré d'ennemis,

Enfin dans son malheur il songe à ses amis.
Jadis de la forêt dominateur superbe,

S'il rencontre des cerfs errans en paix sur l'herbe,

Il vient au milieu d'eux, humiliant son front,
Leur confier sa vie et cacher son affront.

Mais, hélas! chacun fuit sa présence importune
Et la contagion de sa triste fortune:

Tel un flatteur délaisse un prince infortuné.
Banni
par eux il fuit, il erre abandonné ;

Il revoit ces grands bois, si chers à sa mémoire,
Où cent fois il goûta les plaisirs et la gloire,
Quand les bois, les rochers, les antres d'alentour,
Répondoient à ses cris et de guerre et d'amour,
Et qu'en sultan superbe à ses jeunes maîtresses
Sa noble volupté partageoit ses caresses.
Honneur, empire, amour, tout est perdu pour lui.
C'est envain qu'à ses maux prêtant un noble appui,
D'un cerf tout jeune encor la confiante audace
Succède à ses dangers et s'élance à sa place.
Par les chiens vétérans le piége est éventé.
Du son lointain des cors bientôt épouvanté,
Il part, rase la terre; ou, vieilli dans la feinte,
De ses pas, en sautant, il interrompt l'empreinte ;

Ou, tremblant et tapi loin des chemins frayés,
Veille et promène au loin ses regards effrayés,
S'éloigne, redescend, croise et confond sa route.
Quelquefois il s'arrêté; il regarde, il écoute;

Et des chiens, des chasseurs, de l'écho des forêts
Déjà l'affreux concert le frappe de plus près.
Il part encor, s'épuise encore en rusės vaines.
Mais déjà la terreur court dans toutes ses veines;
Chaque bruit est pour lui l'annonce de son sort,
Chaque arbre un ennemi, chaque ennemi la mort.
Alors, las de traîner sa course vagabonde,
De la terre infidèle il s'élance dans l'onde,
Et change d'élément sans changer de destin.
Avide et réclamant son barbare festin,

Bientôt vole après lui, de sueur dégouttante
Brûlante de fureur et de soif haletante,
La meute aux cris aigus, aux yeux étincelans.
L'onde à peine suffit à leurs gosiers brûlans:

Mais à leur fier instinct d'autres besoins commandent;
C'est de sang qu'ils ont soif, c'est du sang qu'ils demandent.
Alors désespéré, sans amis, sans secours,

A la fureur enfin sa foiblesse a recours.

Hélas! pourquoi faut-il qu'en ruses impuissantes

La frayeur ait usé ses forces languissantes?

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