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» songe que de son jugement définitif peut résulter la ruine de Per>> sépolis, il trouve dans chaque chose des avantages qu'il n'avait pas » d'abord aperçus, et se refuse à la destruction de la ville. Tel fut Voltaire. Il voulait qu'il lui fût permis de juger légèrement et de >> railler toutes choses; mais un renversement était loin de sa pensée; >> il avait un sens trop droit, un dégoût trop grand du vulgaire et de » la populace, pour former un pareil vou. Malheureusement, quand » une nation en est arrivée à philosopher comme Babouc, elle ne sait >> pas, comme lui, s'arrêter et balancer son jugement; ce n'est que » par une déplorable expérience qu'elle s'aperçoit, mais trop tard, qu'il n'aurait pas fallu détruire Persépolis '. »

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Surtout il n'aurait pas vu sans horreur approcher une république. « Les républiques ne lui apparaissent à travers l'histoire que par leur » côté sanglant 2. »

Il est donc certain, à cause de ses tendances, à cause des sociétés qu'il fréquentait, à cause de ses doctrines, à cause de la proclamation de l'égalité, que Voltaire aurait émigré en 1791, et qu'il serait parti en secouant sur la France la poussière de ses pieds.

7° VOLTAIRE ET LE PEUPLE.

Ouvrez sa correspondance, l'aristocratie de ses dédains y éclate à chaque page. »

LOUIS BLANC.

Et au profit de qui Voltaire, l'ami des rois, l'idolâtre des despotes, cût-il donc voulu une révolution et la liberté? Au profit du peuple, apparemment ? Mais, le peuple, Voltaire le foulait aux pieds! Voltaire lui crachait au visage! Il dédaignait même de s'occuper de lui pour l'affranchir de la tyrannie de l'Église et de la Foi! Il abandonnait, disait-il, le soin de ce vil troupeau humain aux Apôtres!

Ah! il aurait eu bien raison d'abandonner véritablement le peuple aux Apôtres, et de ne pas user sa vie entière à le leur ravir! Il existe, entre lui et eux, une indestructible sympathie, une vieille piété filiale qui n'est point sans cause. Le peuple, sans Jésus, ne serait pas encore.

, 78.

• Tableau de la lillerature française, p. 77,7
2 M. Louis Blanc, Histoire de la Révolution, 1, 358.

La philosophie lui eût-elle jamais donné le jour ? N'est-ce pas l'Église qui, la première, l'a serré contre son cœur et tenu sur ses genoux? Et quand il a quitté cette mère divine, n'a-ce pas toujours été pour devenir la dupe et la proie des méchants? Sans doute, les Apôtres n'avaient pas autant d'esprit que Voltaire. Ce n'étaient pas des hommes qui composaient une foule de beaux poèmes; qui vivaient somptueusement en la compagnie des rois et des seigneurs ; qui se moquaient de la parole de Dieu; qui insultaient au pauvre et à sa misère. C'étaient des hommes simples et illettrés, dont tout le savoir et le talent consistaient à reproduire quelques paroles et quelques actions qu'ils avaient apprises de leur maître. Ils n'écrivaient qu'un livre, celui du dévouement et de la fraternité, et ils le signaient de leur sang. Leur vie était pauvre; souvent ils étaient sans asile et sans pain. On ne les voyait pas dans les palais des grands ni à la cour des souverains; ou plutôt, ils y allaient; mais c'était pour y dire qu'il faillait obéir à Dieu avant d'obéir aux hommes; pour y déclarer que la volonté du monarque éternel était supérieure aux lois des tyrans; pour y rappeler ce dogme effacé, que l'esclave est l'égal de l'empereur; pour y prêcher que nous sommes tous fils du même Dieu, sauvés par le même Rédempteur, appelés à la même destinée; que pesées dans la balance de l'éternité, les œuvres et les souffrances du peuple sont bien souvent au-dessus des œuvres et du bonheur des rois; et enfin, que le Fils de Dieu, s'étant fait homme, avait surtout affectionné le peuple, les simples et les pauvres !

Et Voltaire?

Vous avez déjà vu comment il appréciait le peuple auprès des grands, et quelle gracieuse dénomination il lui avait imposée, en lui versant le baptême de la philosophie. Il va suffire de quelques traits pour compléter la théorie.

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Voltaire écrivait au duc de Richelieu : « Vous avez bien raison de dire, Monseigneur, que les Genèvois ne sont guère sages; mais c'est que le peuple commence à être le maître'.

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Il recommandait à Diderot de convertir à l'impieté exclusivement les gens de la bonne compagnie, parce que l'impiété, pas plus que la

Foltaire au duc de Richelieu, t. xvii, p. 239.

raison, n'était pour la canaille. « Je vous recommande l'Infáme. » Il faut la détruire chez les honnêtes gens, et la laisser à la canaille'.»

Il fallait aussi lui laisser la misère; « car ceux qui crient contre ce » que l'on appelle le luxe, ne sont guère que des pauvres de mau>> vaise humeur 2. »

yeux ce

L'existence même du peuple lui était à charge: elle semblait mettre son génie mal à l'aise, et il aspirait à n'avoir plus sous les spectacle dégoûtant. Marie Arouet de Voltaire, gentilhomme de la maison du roi, etc., était-il fait pour être coudoyé par des cordonniers et des servantes? « Nous aurons bientôt de nouveaux cieux et une » nouvelle terre ; j'entends pour les honnêtes gens; car, pour la canaille, le plus sot ciel et la plus sotte terre sont tout ce qu'il faut 3. » Bénissons cette heureuse révolution qui s'est faite dans l'esprit des >> honnêtes gens depuis quinze ou vingt années. Elle a passé mes espérances. A l'égard de la canaille, je ne m'en mêle pas; elle restera toujours canaille. Je cultive mon jardin ; mais il faut qu'il y ait » des crapauds; ils n'empêchent pas mes rossignols de chanter 4. »

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Voltaire à Diderot, XIV, 448.

2 Vollaire à Frédéric, t. 111, 3.

3 Voltaire à d'Alembert.

Voltaire à d'Alembert, 4 juin 1767.-Comme tout cela est plein d'esprit, de délicatesse et d'atticisme! Il y a encore des gens qui, soyez-en sùr, en lisant ces jolies choses, se frottent les mains d'orgueil et de plaisir. Ecoutez : « Vol>> taire est tout raison.... Ce n'est plus ici la raison de Luther, de Rabelais, de >> Montaigne, de Bayle, de Rousseau, la raison révoltée pour le choix des mystėres, enveloppée de folie, capricieuse, sceptique, paradoxale : C'EST LA RAI» SON. ELLE N'EST MÊME QU'ICI, PURE DE TOUTE ALLIANCE COM» PROMETTANTE, pure de ses complaisances pour les opinions singulières, d'où naissent les hypothèses et les utopies; elle parle seule, elle parle à tous, >> entendue de tous. » (La liberté de penser, 15 décembre 1847, p. 37). Et plus Join: » La passion de Voltaire est la raison émue, c'est toujours la raison, ce » n'est que la raison » (p. 61). D'où il suit que la raison, c'est Voltaire, tout Voltaire, rien que Voltaire! Il ne faut pas oublier que M. Saisset, un des fondateurs de la Liberté de penser, signalait pourtant, l'année dernière, dans la Revue des deux mondes, la renaissance du Voltairianisme comme une honte et un malheur. Qu'en conclure, sinon que le 15 décembre 1847, l'éclectisme était déjà bien malade ?

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C'est assez; aussi bien le cœur me manquerait, s'il fallait transcrire toutes les strophes de cet hymne infernal.

M. Louis Blanc va conclure.

« Le soin de sa mémoire nous touche moins que le sort du peuple, qu'il pouvait mieux servir. Non, Voltaire n'aima point assez le » peuple. Qu'on eût allégé le poids de leurs misères à tant de travail» leurs infortunés, Voltaire eût applaudi sans nul doute, par huma» nité (??); mais sa pitié n'eut jamais rien d'actif et qui vînt d'un » sentiment démocratique : c'était une pitié de grand seigneur, mêlée » de hauteur et de mépris '.

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Ce n'était donc pas sans motif, que cet homme voyait dans les apôtres des rivaux terribles, et pressentait que son œuvre ne pouvait grandir que sur les débris de l'Église. Une voix incorruptible, à laquelle il eût voulu rester sourd, lui criait au fond de la conscience, qu'il faut plus que de l'espritfet autre chose que des vices pour régénérer le monde.

Charles-Marin ANDRÉ, prêtre.

Histoire de la Révolution française, 1, 355.

Morale Chrétienne.

LA

PURETÉ DU CŒUR

PAR

M. L'ABBÉ FRÉDÉRIC - ÉDOUARD CHASSAY 1.

Accord intime du dogme et de la morale. L'auteur en montre bien la nécessité.-Antagonisme entre la chair et l'esprit. —Effets du sensualisme.—

Il ruine le jeune homme et dégrade le vieillard. Il est funeste à la famille.

La femme régénérée par le christianisme. - Le mariage chrétien seul est béni de Dieu.

Le monde intellectuel est tellement un, que tout système de métaphysique a pour corollaire forcé un système de morale; l'histoire de la philosophie est là pour prouver cette assertion que l'histoire des peuples anciens et modernes démontre. Le Christianisme en rétablissant et en complétant les premières révélations de Dieu, en enseignant des dogmes si certains et une morale si pure, avait détruit ces barbares et honteuses doctrines du paganisme ; tant que les hérésies ne prévalurent pas, cette morale resta une, car il n'y a pas eu même dans son sein de dogme essentiel attaqué sans qu'un point de morale n'ait été aussi battu en brèche ; à mesure que les erreurs dogmatiques se sont multipliées, les attaques contre la morale se sont produites. Enfin la philosophie, en acceptant les sensations pour base, devenant matérialiste, la morale s'est faite aussitôt sensualiste; les préceptes chrétiens ont été abandonnés et il s'est formé une doctrine ayant l'homme pour unique objet.

Un antagonisme profond a dû se réveiller entre le Christianisme et les philosophes du siècle dernier, et leurs disciples dans celui-ci. A ceux-ci l'humanité progressant par elle-même et en elle-même,

Vol in-18, à Paris, chez Lecoffre, prix 2 f. 50.
III SÉRIE. TOME XVII. —No 102; 1848.

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