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» et enfin, tenus en conscience d'user de ce droit et de ce pouvoir suprême, ils doivent lire la Bible sous peine de damnation. La Réformation, dit M. Monot, dans son opuscule couronné, est » toute entière dans ce principe qu'un chréticn peut et doit lire » la Bible lui-même en implorant les lumières du S.-Esprit1.» Chillingworth avait dit en moins de mots : « La Bible est la religion » des protestans 2. » Toute cette controverse roule sur une triple erreur, et quant au fait, et quant au dogme, et quant à la discipline.

I.

2. Les versions vulgaires de la bible ne datent pas de Luther. —Noms de ces diverses versions. — En Allemagne. — En Angleterre. —En Espagne. — En France.

En fait, il est faux que la lecture de la Sainte Bible fût avant Luther inconnue au peuple chrétien, qu'il faille dater de lui les versions en langue vulgaire et qu'on doive lui faire honneur d'une plus grande place faite à la parole de Dieu dans le Christianisme.

L'Église maintint aussi longtems qu'elle put son peuple dans l'intelligence des langues saintes, et quand cette science dut lui échapper, elle y suppléa par les mille accents de son langage de mère, multifariam, multisque modis. La parole de Dieu n'a cessé d'être publiée dans les chaires, interprétée dans la liturgie, exposée par les évêques, commentée par les docteurs, distillée même aux plus petits par les catéchèses, méditée par les solitaires, signée du sang des martyrs, transcrite par les cénobites à la sueur de leurs fronts, enluminée, historiée, moralisée sur le vélin, la pourpre, les tapisseries, fondue et incrustée jusque dans l'émail des mosaïques et des vitrages. Toutes les magnificences de l'art, toutes les combinaisons de la foi et du génie, tous les monumens du catholicisme de nos pères, même l'écu de leurs tournois, leur cri de guerre, leur devise et leurs pierres tombales, c'était comme la voix de Dieu qui retentissait sur les grandes eaux, qui brisait les cèdres, qui ébranlait les déserts. Qu'a fait le protestantisme de cette voix de Dieu, de cette voix du peuple chrétien?

· P. 10.

The Dublin review. July 1836, p. 370.

La liturgie, le prône, le catéchisme, les images, les peintures, les chants, l'art populaire, voilà la vraie langue vulgaire du peuple chrétien; pendant trois lustres de siècles, la Bible a été traduite, comprise, lue et vénérée en cette langue; Luther l'a tuée pour ceux qui ont pris sa version nouvelle, et encore peut-on dire cette œuvre nouvelle, après plus de soixante autres qui l'avaient précédée dans la seule Allemagne ?

Il est bien constaté que presque tous les peuples ont été chrétiens pendant plusieurs siècles sans avoir de traductions complétes de la Bible; il en est même parmi ces peuples qui, complettement illettrés, ont vécu et sont morts chrétiens, sans avoir ni su ni pu faire cette indispensable lecture, imposée maintenant sous peine de damnation. Il n'est pas moins certain que toutes les versions anciennes que l'on rencontre, par leurs gloses, leurs paraphrases, leur contrôle, leur réserve même et leurs lacunes, tranchent du tout sur les productions des sociétés bibliques. Mais ces deux points entendus, on s'étonne de la quantité et de l'antiquité des versions vulgaires que bien avant la Réforme l'Église accorde à ses enfans avec la plus libérale prodigalité. Nous serions ici plus à l'aise que le savant professeur qui s'efforce de circonscrire ce fait dans des limites, à notre avis, trop étroites. Voyez plutôt même en Allemagne, le tudesque éclôt et se débrouille par des versions de Bible. Otfried, Kero, Notker et Willeramn, etc., traduisent avec les premiers rudimens germaniques les Évangiles, les Psaumes, un cantique des cantiques. Ulphilas, ce Cadmus des Goths, crée leur langue et leur écriture pour semer au nord le grec des septante d'Alexandrie, revu sur le latin de Rome. Au berceau des idiômes slaves et pannoniens, on ne rencontre que saint Cyrille et saint Méthode, avec leur Bible glagolytique. Un hermite de l'ordre de Saint-Paul, Ladislas, de la noble famille de Bathor, ramassait les Hongres à peine faits hommes, autour de sa cabane et les émerveillait, comme un autre Hercule gaulois, des chaînes d'or de sa version demeurée classique. Dans la Saxe de Luther, et du vivant de Wttikind, Louis le pieux enjoignait de par l'empereur, à un noble barde (non ignobilis vates) de mettre les saints livres à la portée de gens de sa race, lettrés ou non. La chose était déjà faite ou à peu près, chez leurs confrères, les Anglosaxons,

chez leurs voisins, les Danois. Accordons en passant à Usserius qu'une ancienne version danoise a précédé Snore et Sturlesson et remonte au moins à l'an 1020. Puis, laissons-le nous dire ce qu'il trouve en Albion : qu'en 706, Adhelmar avait traduit le Psautier, et que son maître Bêde avait pris déjà les devans par une version intégrale qui pourrait bien, nous dit-on, n'être pas la première; qu'en effet vers 670 ou à peu près, un saint barde, Ceadmon, mystique improvisateur, rendait dans la langue d'Ossian ce cycle pascal et biblique qu'un Irlandais du 5e siècle, Sedulius, exprimait en hexamètres des plus virgiliens: qu'en outre en 710, quatre ans après Adhelmar, Eadfrid, évêque de Lindisfarne, donnait une 3o ou 4o version anglo-saxone, qui subsisterait encore; que, voulant mieux, Alfred-le-Grand, de 874 à 890, rassemblait en son palais, avec les airs d'un Ptolémée, des bandes de doctes moines, latinistes, hellenistes, hébraïsans, pour traduire de source toute la Bible et bon nombre d'interprètes, se réservant pour sa royale tâche le Psautier, pour sa gouverne les livres sapientiaux, pour sa récréation le pastoral de saint Grégoire. Ce n'est pas tout: enchérissant sur le grand Alfred, le roi Athelstan, 30 ans après, comme s'il se fût défié des moines, s'adresse à des rabbins et leur paie largement une translation du texte hébraïque. Voici encore que, prenant revanche, un abbé de Malmesbury, Elfin, depuis évêque de Cantorbery, donne, en 990, une 9e ou 10e version de l'optateuque. Nous ajoutons à ces récits. que nous n'avons que faire de contrôler, qu'on montre à Cambridge des manuscrits du 11e siècle, qui renferment une glose normande, ce qui serait bien le plus ancien monument du franc-picard, puisque les plus vieilles bibles du fonds Coton, au British-museum, et de la Bodléienne d'Oxford sont saupoudrées partout de gloses saxonnes, interlinéaires et marginales.

Poussons plus loin les Espagnols n'ont pas voulu rester en arrière de personne. Bien avant une version qui fait déjà tapage sous Jacques Ier d'Aragon, bien avant une autre interprétation castillanne que tolère l'un des premiers Alphonse, le graye Mariana affirme, et Florès, Antonio répètent, que vers 840, Jean de Séville lança parmi les Maures, nouveaux venus de la veille, une version arabe de la Bible, opposée au Coran,

Et pour dire enfin un mot de nous autres Français, nous commençons au moins aux Carlovingiens à lire passablement la Bible; et pour ne citer que notre Charlemagne, ne s'avisait-il pas de régler en plein Champ-de-Mars ou de Mai et par capitulaire, les versions théostiques; d'interroger même des clercs et des académiciens de son palais, sur leur progrès et leur entente dans la sainte lecture; et d'y consacrer jusqu'à ses derniers jours, les longues insomnies de ses nuits impériales, sonnant ses chapelains et dressant école autour de sa couche et devisant par distraction, de grec et de syriaque. Eginhard y était et nous en a donné sa foi. Et depuis, qui nous nombrerait tous les orientalistes du moyen-âge épluchant le texte sacré, tous les exégètes dictant et dirigeant les éditions des manuscrits, toutes les armaria et librairies remplies de cette Bibliothèque divine, toutes les chaires de glossateurs et tous les maîtres de sentences, tous les colléges des évêques, toutes les universités des papes, tous les chapitres de moines, tous les couvents de moniales parlant, écrivant, méditant et priant de la Bible? On nous dit tout cela, nous l'avons dit les premiers, nous le disons, et qu'en conclure, de grâce? Que Luther ne nous a rien donné ; qu'avant la secte évangélique, l'Église était trèsbiblique et qu'en aucun lieu, qu'en aucun tems, elle n'a prohibé indistinctement pour tous toute lecture de la Sainte-Bible. Première erreur de la présente controverse. Il en est une autre.

II.

3. Aucun texte de la bible n'impose le devoir de lire personnellement la bible. - Aucun père n'a de texte décisif ou obligatoire. — Par lecture des écritures, ils entendaient l'assistence aux offices ou l'enseignement de toute la religion.

La réforme a créé un dogme inouï, un précepte imaginaire qui imposerait la lecture de la Sainte-Bible comme un rigoureux devoir, sous peine de damnation. Les Protestans et les Jansénistes ont fait de vains efforts pour trouver soit dans l'écriture, soit dans les pères, un seul texte qui établit clairement cette obligation si formidable.

Ils ont beau citer sans discernement tous les textes sacrés où ils trouvent les mots parole, loi, commandement. Une nouvelle fois le professeur de Louvain les invite à renoncer enfin à ces passages qui ne

parlent d'aucun précepte formel, qui conseillent seulement la leture de la Sainte-Bible, qui en louent simplement la méditation, qui même ne concernent pas la parole écrite, ou n'y ont pas un rapport direct; puis il repasse par ordre tout ce qui peut rester encore de textes ambigus et les ramène tous à l'une ou l'autre des catégories éliminées.

A défaut du texte sacré et sans craindre un paralogisme, les défenseurs des sociétés bibliques en appellent aux pères de l'Église. Altérant au besoin ou forçant des textes isolés de leur ensemble, ou les entassant pour en imposer par la masse des témoignages, ils ont créé des volumes entiers de citations, espèce d'arsenaux où se trouvent préparées les armes qu'ils n'auraient pas le courage de chercher eux-mêmes dans les monumens de l'antiquité. Le plus célèbre de ces recueils est celui d'Usserius publié à Londres en 1690. Ce livre exploité pendant plus d'un siècle, malgré ses citations défectueuses, tombé en discrédit depuis les nouvelles éditions patristiques, devenu même assez rare, a été remplacé en Allemagne par un recueil publié en 1816, à Sulsbach. Il est douloureux de dire que c'est l'œuvre d'un prêtre catholique, d'un religieux et d'un pasteur. Dom Léandre van Ess, imbu de ces malheureuses doctrines joséphistes et hermésiennes qui ont désolé les ruines de l'Allemagne catholique, crut devoir faire à la pénurie de la réforme, cette aumône de sa science et de sa patience. « Cette publication valut à son auteur la protection et >> les hommages des sociétés bibliques, fières de trouver dans les >> rangs du clergé catholique un auxiliaire sur lequel elles ne devaient » pas compter. Ce livre contient l'exposé le plus complet des argu» mens que les ministres puissent emprunter aux écrits des pères et » résume toutes les raisons que la réforme peut faire valoir contre » nous. Puisque nos adversaires n'ont pas encore déposé cette arme >> qui leur inspire une vaine confiance et qui pourrait encore devenir >> funeste à nos frères infirmes, arrachons de leurs mains un instru» ment fatal et prouvons que le volumineux recueil de M. Van Ess » ne prête aucun appui aux principes de la réforme et qu'il ne blesse » point ceux de l'Église. Les témoignages qu'on y trouve ou bien >> confirment des vérités que l'Église ne conteste pas, ou bien énon» cent des opinions qu'elle n'est pas obligée d'accepter. Tous les >> passages qui rappellent la sublimité, la profondeur, l'excellence des

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