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ne fût composée alors que de quelques étudiants, et encore étudiants de la faculle ès-arts. C'est donc de cette manière que l'évêque Tempier nous dit quel était le véritable état de la philosophie scholastique à son époque ? Ce sont vos paroles.

Notre honorable adversaire exagère nos paroles, et puis change nos expressions et notre pensée.

1° Nous n'avons pas dit que l'enseignement du 13° siècle fût sceptique, rationaliste, illuminé, mais seulement qu'il s'y était introduit des principes qui conduisaient à ces conclusions, qu'il était gros de rationalisme, etc. Nous avons désigné ces principes, ce sont › ceux des livres de philosophie naturelle. S'y sont-ils introduits, oui ou non ? Qu'en pense M. Espitalier?

2o Il attache à un mot du pape un sens qu'il n'a pas, comme si cé mot jusqu'à présent voulait dire qu'on n'avait jamais enseigné qu'une doctrine pure; contre le témoignage de Grégoire IX et l'évidence des faits, et contre ce que vient de citer M. Espitalier lui-même,

3o Il voudrait encore restreindre les reproches à quelques individus isolés, et à quelques erreurs surgissant à l'improviste du milieu d'un enseignement pur. Nous y répondons par le fait non contestable que, de 1228 à 1277, tous les livres d'Aristote forment la base unique de l'enseignement philosophique, et qu'ils s'étaient introduits dans la théologie. Aussi les 219 propositions étaient-elles presque toutes extraites des livres d'Aristote et de ses commenteurs arabes; on croit en reconnaître même une 20e dans les écrits du frère Thomas. C'est donc à bon droit que nous avons pu dire que la philosophie, et avec elle la vérité, la religion payenne, s'introduisaient dans la société chrétienne? Pourquoi fermer les yeux à la lumière? Oui ou non, Aristote a-t-il ou n'a-t-il pas régné dans les écoles, même de théologie, malgré les défenses expresses et réitérées des conciles et des papes? A quoi bon disputer sur des faits acquis à l'histoire! Ainsi donc nous avons pu dire et nous répétons que la philosophie enseignée dans les écoles fut, à dater de cette époque, basée sur Aristote.

Nous ne disons pas que les erreurs professées par quelques étudiants ne fussent étranges et perverses. Nous ne disons pas que le pape Jean XXI eut tort de s'alarmer de cette nouvelle; il n'y a rien que l'on doive, négliger quand on jouit de la paix ; la moindre étincelle peut causer un incendie, surtout en fait de doctrine; nous ne disons pas que l'évêque Etienne Tempier n'ait agi

avec beaucoup de prudence et rempli dignement ses fonctions en reprimant toutes les aberrations qui pouvaient se manifester et prévenant les moindres dangers qui pouvaient menacer la foi dans son diocèse, dans la France et dans l'univers catholique; car l'université était fréquentée par tout ce qu'il y avait de personnages distingués dans le monde chrétien; mais ce que nous disons c'est qu'un tel fait, même joint à ceux qui précèdent, ne peut servir à inculper tout un siècle, et à faire peser sur lui l'anathème de la proscription.

Notons bien que Grégoire IX parle non pas de quelques étudians, mais de quelques professeurs de théologie; c'est aux professeurs qu'il s'adresse : quand il dit de s'abstenir de cette folie, et d'enseigner la pureté théologique, sans se servir de la science mondaine, M. l'abbé Espitalier change toute la physionomie de cette discussion. Qui ne sait, en effet, que ce sont les maîtres autant que les étudians, qui ont usé et abusé de la méthode aristotélicienne ou philosophique ?

Quant à la répression complète de ces erreurs, nous avons vu qu'elles avaient persisté, malgré toutes les condamnations.

Enfin, nous n'avons pas inculpé tout un siècle ni lancé l'anathème sur tout l'enseignement, nous avons dit simplement que, par l'introduction des livres et de la philosophie d'Aristote, on avait laissé introduire les principes philosophiques, comme M. l'abbé Espitalier le dit, sans doute, de la méthode cartésienne. C'est là notre thèse, celle qu'il faut attaquer directement, et non défendre une thèse attaquée par personne.

Que dans le 13° siècle il y ait eu des erreurs, personne ne le nie, il y avait des hommes comme nous; mais ce qu'on loue dans ce siècle, c'est que ces erreurs furent très-rares et très-partielles (quelques professeurs et quelques étudiants et à des intervalles considérables); c'est que ces erreurs ne deviennent jamais hérésies dans leurs auteurs par la pertinacité; c'est que malgré un développement immense dans les études, la foi catholique avec la pureté de sa doctrine et la prudence de son enseignement dominait toute parole humaine; c'est qu'aucun siècle, peut-être, n'a produit des hommes aussi éminents par la science et la sainteté réunies.

Je voudrais bien qu'il me fût permis de conclure ceci par un travail sur les principaux docteurs de cette époque, qui ont élevé des monuments impérissables dans la science, et malheureusement trop méconnus aujourd'hui, par suite des préjugés que nous ont légués l'hérésie et le philosophisme, et

surtout par suite de la légèreté de nos études et des mouvements politiques qui remuent depuis 50 ans le sal de l'Europe. Plus tard, peut-être, je pourrai satisfaire més, désirs. Mais toujours est-il, monsieur le directeur, que quoi qu'on en ait dit et quoi qu'on en dise, toutes les objections que l'on peut faire et que l'on a faites sur la scholastique tombent devant l'étude des faits et des monumens, et qu'il devient évident pour quiconque veut se donner, sans préjugé et sans passion, la peine de revenir sur ce passé, que c'est encore dans la science véritable, c'est-à-dire, dans la science catholique, une des plus belles époques de l'histoire de l'esprit humain, parce que c'est aussi l'époque la plus catholique.

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Du reste je renouvelle, monsieur le directeur, la protestation que je ne viens pas soulever une polémique, mais seulement examiner quelques faits dans l'intérêt de la science. Je vous prie de m'excuser si malgré mon bon vouloir, quelques-unes de mes expressions pouvaient paraître dépasser les limites de la plus stricte convenance et du respect avec lesquels,

J'ai l'honneur d'être, etc.

L'abbé ESPITALIER.

En finissant cette polémique, nous remercions de nouveau M. Espitalier des observations qu'il a bien voulu nous soumettre; elles partent d'un esprit élevé et plein de zèle pour la foi catholique. Et cependant, s'il veut continuer ses investigations, nous osons lui conseiller de changer l'objet de ses études. Personne ne nie que le 13 siècle ne fût un siècle de foi vive, de dévouement à la religion, de conviction profonde, de croyance forte et sincère. Ce n'est pas là la question. La question est toute de savoir si les livres de philosophie naturelle n'ont pas été introduits dans les écoles, si ces livres ne renferment pas le germe des erreurs rationalistes et pantheistes actuelles. L'histoire de ces erreurs philosophiques n'a pas été faite encore; il faudrait remonter de siècle en siècle, d'école en école, de livre en livre, et l'on verrait que l'on arrive forcément à ces livres philosophiques, introduits alors même dans notre occident, et contre lesquels les papes nous avaient si fort prémunis. Pourquoi cette défense à outrance de la méthode scholastique fondée sur les livres de philosophie naturelle? La plus belle preuve qu'elle n'était pas nécessaire, c'est que les saints Pères ne la connaissaient pas, ou plutôt l'avaient expulsée de l'Église ; c'est que, peu à peu, elle a été exclue en grande partie de ces écoles, où elle a si longtems dominé ; c'est que, en effet, cette philosophie part nécessairement du prin

cipe d'invention, opposé au principe historique et traditionnel du Christianisme.

Voilà ce qu'il faut faire; sans blâmer les graves et saints personnages qui s'en sont servis, disons qu'ils ne s'en serviraient plus aujourd'hui ; et, s'il le faut, prenant exemple sur les belles paroles des légats du pape, que nous avons citées dans le précédent article, disons: que quelques-uns des nôtres ont bien pu se tromper dans leurs bonnes intentions.

Ajoutons encore que bien que persuadés de l'influence funeste d'Aristote et des philosophes dans l'enseignement, nous ne pensons pas qu'il fût nécessaire de supprimer ses livres, ou de n'en jamais parler dans l'enseignement. Non, Aristote résume en lui une des faces, et une face très importante, de l'esprit humain. Non, il fallait seulement que les professeurs montrassent, prouvassent, ce qui est vrai, que toutes les vérités de dogme et de morale, qui sont dans ses ouvrages, non pas été inventées par lui, mais qu'il les avait eues de la tradition orientale et primitive. Avec cette distinction, les préceptes de philosophie naturelle n'ont rien de dangereux. Or c'est ce que les professeurs scholastiques n'ont pas su faire. A. B.

Polémique Philosophique.

DÉVELOPPEMENT DU VOLTAIRIANISME

DANS L'HISTOIRE

DES GIRONDINS, PAR M. A. DE LAMARTINE.

Deuxième Article'.

M. de Lamartine en contradiction avec l'histoire. — Voltaire et le peuple de Voltaire et l'égalité. Voltaire et les grands.

1791. France.

Voltaire et la

II.-M. DE LAMARTINE EN CONTRADICTION AVEC L'HISTOIRE.

« Le génie mérite qu'on le salue mais il doit souffrir qu'on le juge. » LOUIS BLANC.

M. de Lamartine, qui saisit autrefois avec tant de bonheur les Harmonies de la Création, et qui nous les traduisit dans une incomparable poésie, n'a point voulu comprendre celles de l'histoire. Son talent, qui se trouve mal à l'aise dans le moule trop étroit des faits; les vagues tendresses de son âme, qui ont toujours besoin de s'épancher sur quelque chose, ne lui permettent guère de faire exactement la part de la perversité humaine. C'est pour cela, sans doute, qu'au lieu de raconter, il suppose; qu'au lieu de peindre, il idéalise. Par malheur, dans l'histoire, il n'est point possible d'établir en équation l'idéal e la réalité. Sur ce terrain, le génie lui-même n'a pas le droit de procéder autrement que le plus humble mortel. Ici, tout défend d'altérer les faits, rien ne dispense de les connaître.

C'est pourtant un de ces deux reproches que nous sommes obligés d'infliger à M. de Lamartine, à propos de Voltaire. Mais nous n'hésiterons pas sur un choix injurieux. Nous lui ferons l'honneur de sup

Voir le premier article au no 97 ci-dessus, p. 68.

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