Page images
PDF
EPUB

jestueux, que nous avons cité ci-dessus; que ces protestans ont été coupables, non d'avoir formulé des plaintes, fait des critiques, demandé des réformes; mais qu'ils sont coupables 1° d'avoir exagéré et dénaturé les défauts qui se trouvaient dans l'Église; 2o d'avoir cru qu'on ne pouvait les guérir dans l'Eglise et par l'Eglise ; 3° d'avoir augmenté le mal et rendu la plaie incurable; 4. et enfin, qu'ils sont surtout inexcusables d'être sortis de l'Eglise. Nous sommes sûrs de ne pas juger avec trop d'indulgence ni avec trop de sévérité, en parlant ainsi du Protestantisme, car c'est le langage même Bulle qui les a condamnés :

[ocr errors]

de la

<< Dans cette cour romaine, que si amèrement il (Luther) censure, » dit Léon X, en lui attribuant plus de vices qu'il ne convient, d'après les vaines rumeurs d'esprits malveillans, il n'aurait point » trouvé lant d'erreurs, et nous lui aurions fait voir, clair comme le jour, que les saints pontifes romains nos prédécesseurs, qu'il dé» chire par ses injures et sans retenue, n'ont jamais erré dans ces >> canons et ces constitutions, qu'il s'efforce de mordre; car, comme > dit le prophète : Il ne manque ni médecine ni médecin dans » Galaad'.»

[ocr errors]

Quant à ce que nous disons, que les Protestans fondèrent des abus mille fois plus crians, nous citerons pour preuve les aveux même de Luther, qui écrit ainsi, peu de tems après, sa séparation de l'Eglise.

Lettre de Luther sur les fruits de la Réforme.

« Je ne m'étonnerais pas que Dieu ouvrît à la fin les portes et les fenêtres de l'enfer, et qu'il fit neiger et grêler des flots de diables, » ou pleuvoir du ciel sur nos têtes le soufre et la flamme, et qu'il nous » ensevelît dans des abîmes de feu, comme Sodome et Gomorrhe. Si » Sodome et Gomorrhe avaient reçu les dons qui nous ont été accor» dés, si elles avaient eu nos visions et entendu nos prédications, » elles seraient encore debout. Mille fois moins coupables cependant » que l'Allemagne; car elles n'avaient pas reçu la parole de Dieu de » ses prédicateurs. Et nous, qui l'avons reçue et ouïe, nous ne cher>> chons qu'à nous élever contre le Seigneur. Des esprits indisciplinés

• Bulle Exurge domine dans le Bull. mag., t. 1, p. 610, édit. de Luxembourg. Nous l'avons traduite en grande partie dans l'Univ. Catholique, t. XII, p. 141.

[ocr errors]

» compromettent la parole divine, et les nobles et les riches travaillent » à lui ôter sa gloire, afin que nous autres, peuple, nous ayons cè » que nous méritons: la colère de Dieu !

« Si l'Allemagne doit vivre ainsi, je rougis d'être un de ses fils, de parler sa langue ; et s'il m'était permis de faire taire la voix de ma » conscience, je voudrais appeler le pape, et l'aider lui et ses sup» pôts à nous enchaîner, à nous torturer, à nous scandaliser plus qu'il » ne l'a fait encore...

» Depuis la chute du papisme, de ses excommunications et de ses » châtiments spirituels, le peuple s'est pris de dédain pour la parole » de Dieu : le soin des églises ne l'inquiète plus; il a cessé de craindre » et d'honorer Dieu. C'est à l'électeur, comme au chef suprême, » qu'il appartient de veiller, de défendre l'œuvre sainte, que tout le >> monde abandonne.... Je voudrais, si cela était possible, laisser ces » hommes sans prédicateur ni pasteur, et vivant en pourceaux. Il n'y >> a plus nicrainte ni amour de Dieu; le joug du pape brisé, chacun » s'est mis à vivre à sa guise. Mais à nous tous, et principalement » au prince, c'est un devoir d'élever l'enfance dans la crainte et » l'amour du seigneur; de leur donner des maîtres et des pasteurs; » que les vieillards, s'ils n'en veulent pas, s'en aillent au diable! Mais >> il y aurait, pour le pouvoir, honte à laisser les jeunes gens se vautrer » dans la fange1. »

Voilà ce qu'il faut répondre aux Protestants, et non pas venir leur dire qu'à priori une chose est bonne parce qu'ils l'ont attaquée, et que les catholiques doivent défendre tout ce que leurs adversaires ont blâmé. Et pour parler de la Scholastique en particulier, il se rencontre que ce sont les protestants principalement qui ont admis et soutenu les principes que nous reprochons à quelques scholastiques, à savoir: la vision, l'intuition personnelle de la vérité, la communication directe et intérieure de Dieu à l'homme. Comment un professeur de théologie ne voit-il pas que c'est là le principe même du Protestantisme et du Philosophisme? Ici même Luther leur parle de ses visions, comme les éclectiques, M. Maret, dom Gardereau et l'abbé Gioberti,

1 Luther's Werke. Edit. d'Altenburg, t. 1, p. 519.— Reinhard's Sâmmlliche Reformations predigten, t. ш, p. 445. — Audin, t. 1, p. 218.

sur les pas de M. Malebranché, parlent de leur intuition de l'essence de Dieu!

§ 2. Notre but dans cet article.

Si l'article que vous ayez publié ne devait avoir qu'une influence mesquine et restreinte, jamais nous ne nous serions permis d'y rien contredire; mais comme votre estimable journal exerce une grande influence sur beaucoup de bons esprits qui y voient un des meilleurs recueils apologétiques de leur foi, il serait fâcheux qu'à l'ombre de votre science et de votre réputation, ils y puisassent des idées fausses ou incomplètes sur une des plus illustres époques de l'histoire religieuse de l'esprit humain. C'est ce qui nous a déterminé à relever quelques inexactitudes et quelques conclusions dans l'article dont il s'agit. J'espère, monsieur le directeur, que vous ne serez pas offensé de ma démarche, elle n'a d'autre but et d'autre mobile que l'intérêt de la science et de la vérité. Ce n'est pas une polémique que je viens soulever, il y a assez de guerres civiles dans les rangs catholiques, et d'ailleurs mes occupations ne me permettraient pas de la soutenir; ce n'est pas même un examen détaillé et approfondi des auteurs du moyen-âge; je n'invoquerai pas saint Thomas, saint Bonaventure et les autres grands docteurs de ce siècle, pour les faire répondre au reproche général que vous avez fait peser sur leur enseignement. Ce serait trop long, et peu nécessaire pour ce dont il s'agit. Tout mon but est de relever quelques fails que vous citez, de les placer sous leur jour véritable, et de les soutenir par des faits analogues.

Nous acceptons avec grand plaisir l'examen de ces faits; nous ne nous croyons pas infaillible, et bien loin de nous croire offensé, nous nous croyons honoré de l'attention que notre savant adversaire veut bien donner à nos paroles.

§ 3. Autorité de l'histoire de la philosophie de Mgr Bouvier. Vous me permettrez d'abord, monsieur le directeur, de décliner l'autorité que vous apportez de Mgr Bouvier. Cet auteur, estimable d'ailleurs, composa son Histoire de la philosophie, moins pour accomplir une œuvre parfaite en son genre, que pour remplir, le plus tôt possible, un vide considérable dans l'enseignement catholique; son ouvrage se ressent de cette précipitation; souvent il ne fait que suivre des auteurs qui ne sont rien moins que recommandables par la bonne foi et la pureté de leurs doctrines, et presque jamais il ne puise aux sources originales. Il ne vous sera pas difficile de vous en convaincre, je suis même persuadé d'avance que votre bonne foi n'admet pas tout ce que vous citez de cet ouvrage dans votre article. Direz-vous en effet, comme il y est dit, que la scholastique fut un tems de scepticisme universel'?

[ocr errors]

Annales, n° 95, t. xvi, p. 359.

Admettez-vous, comme retombant sur la scholastique, les plaintes du P. Mersenue, contemporain de Descartes, contre le grand nombre d'athées qu'il y 'avait de son tems1? Traiterez-vous avec autant de légèreté de ce que saint Bonaventure dit des anges qui est presque tout d'après saint Augustin? Et pourriez-vous dire, si la préoccupation d'un moment ne vous avait distrait, que ces citations sont toutes très-justes ? Vous me permettrez d'en finir là sur ce chapitre, et vous comprendrez facilement que c'est avec une peine infinie que je me vois obligé de parler de la sorte3.

Nous répondons directement à M. l'abbé Espitalier : 1o Il est vrai que nous ne regardons pas l'ouvrage de Mgr Bouvier comme complet, et il ne le croit pas tel lui-même; mais nous croyons que ce que nous lui avons emprunté, et pour le motif que nous l'avons emprunté, est parfaitement juste. On nous accusait de manquer de respect à saint Bonaventure, parce que nous critiquions quelques parties de sa méthode philosophique. Nous avons cité l'exemple d'un évêque qui le critique à bon droit, et qui, se tromperait-il en le critiquant, n'aurait pas manqué de respect pour cela à saint Bonaventure; car enfin ce grand saint n'est ni infaillible ni inattaquable, et nous défions M. l'abbé Espitalier de soutenir pour son compte ce que ce docteur dit des anges, sa théorie de la mémoire, qui retient les choses futures par prévision, etc.

20 Oui, nous disons avec Mgr Bouvier que la scholastique fut un tems de scepticisme universel, en ajoutant (ce que M. Espitalier a supprimé) pour tous ceux que la foi divine ne guidait pas (Ann. ibid.). Oui, nous admettons les plaintes du P. Mersenne sur le nombre des athées, en ajoutant, (ce que M. l'abbé Espitalier a supprimé), que ce nombre paraît exagéré, etc. Il ne faut pas changer le sens des paroles d'un auteur, en supprimant les restrictions qu'il y a ajoutées.

§ 4. Preuves qui ne vont pas au sujet propre de l'article. Avant de discuter les autorités et les faits que vous apportez ensuite, il est bon de mettre d'abord de côté tout ce qui a rapport à Raymond Lulle. Il

[blocks in formation]

A

3 Par rapport à l'autorité de cet auteur touchant la Scholastique, nous pourrions renvoyer aux articles que vous citez des Annales, t. iv, p. 132 et 311 ( 1re série).

s'agit précisément et proprement du 13° siècle, et Raymond Lulle appartient au 14 qui, quoique glorieux encore, commence la décadence selon l'aveu de tous. Ce que vous dites d'ailleurs de Raymond Lulle pourrait facilement fournir matière à une intéressante discussion, sur laquelle nous pourrons revenir. Toujours est-il que cela fait peu au 13° siècle dont il s'agit. - Il faut laisser encore le paragraphe 14' qui a rapport à l'approbation et à la condamnation de Descartes, Avicenne, Aristote au nom du roi par l'Université il s'agit du 13° siècle et cet événement est de 1691. Cela posé, franchement et sans passion, mais seulement par intérêt pour la vérité, discutons les autorités et les faits que vous apportez.

Nous devons faire remarquer ici que M. Espitalier change complétement le sens, la portée et tout l'esprit de notre article, et nous concevons maintenant pourquoi il a retranché du titre de cet article ces derniers mots, et qui se sont continuées jusqu'à nos jours. Non, il ne s'agit pas seulement du 13° siècle, mais surtout de l'influence que ce siècle a eue sur les suivants et sur le nôtre. Nous ne fesons pas de ces exercitationes, ou gymnastiques littéraires. Les tems sont trop graves pour songer à s'amuser. Nous n'avons attaqué dans le 13° siècle que les erreurs qui s'étaient propagées dans les siècles suivants. Voilà pourquoi il a été nécessaire de parler de Raymond Lulle, qui peut passer pour celui qui a fondé l'école des intuitions directes, de l'invention de la vérité par l'homme, etc. Sa méthode n'est pas un fait isolé ; tout un ordre puissant, les Franciscains, l'a défendue, adoptée et protégée, de même que les Dominicains ont propagé la méthode de trouver tout dans Aristote; les uns et les autres ont contribué à fonder une philosophie naturelle, distincte et séparée de la tradition. C'est cette philosophie qui a fondé la religion dite naturelle, qui est devenue logiquement humanitaire et pantheiste. C'est donc à son origine qu'il fallait signaler cette aberration. Nous avons dû aussi noter cet enseignement fait forcément au nom du roi : c'était une idolâtrie, de même que c'est une idolâtrie individuelle que de prétendre inventer soi-même un dogme ou une morale. Tout cela se tient; tout cela est clair comme le jour. Nous sommes étonnés qu'une personne d'un esprit élevé, comme M. Espitalier, n'en ait pas vu l'intime connexion. Il y va de la vie ou de la mort du catholi

1 Ibid., 377.

« PreviousContinue »